Auteur : Yossi Beilin, Al-Monitor, 6 mai 2019
Ma première rencontre avec le président de l’OLP, Yasser Arafat, alors que j’étais vice-ministre israélien des Affaires étrangères, a eu lieu à Tunis un mois après la signature des Accords d’Oslo à la Maison Blanche en septembre 1993. Une partie de la conversation s’est déroulée en présence de représentants des deux parties, et l’autre partie en tête-à-tête. Elle avait commencé à 22 h et s’est poursuivie jusque dans la nuit.
Parmi les sujets soulevés par Arafat figuraient les paiements aux familles des victimes palestiniennes du conflit avec Israël et des Palestiniens détenus dans les prisons israéliennes. Arafat déclara que l’OLP devrait continuer à dépendre de dons en leur faveur, car il était clair pour lui que la Banque mondiale ne serait pas en mesure, par principe, de financer ces paiements.
Je n’étais pas au courant de ces paiements, et quand Arafat a abordé la question, j’ai dit que même s’il ne s’agissait pas de financer le terrorisme, il était clair que ces fonds pouvaient encourager les jeunes à prendre des risques, voire à se sacrifier pour le bien de leur famille. Arafat a répondu qu’il souhaitait que le problème soit résolu dans le cadre d’un accord de paix, puisqu’il n’y aurait plus de prisonniers. Dans l’intervalle, cependant, cesser les paiements signifierait la fin de l’OLP. En d’autres termes, la rue palestinienne n’accepterait jamais la suspension de ces paiements.
Tous les gouvernements israéliens des 26 dernières années, y compris les quatre gouvernements dirigés par le Premier Ministre Benjamin Netanyahu, ont accepté cette situation. Même s’ils n’aimaient pas cela, ils comprenaient les conséquences qu’engendrerait le fait de mettre fin aux paiements. Puis, en juillet 2018, la Knesset a adopté une loi populiste introduite par Avi Dichter (Likoud) et Elazer Stern (Yesh Atid) afin de déduire les sommes correspondantes versées aux prisonniers et à leurs familles des recettes fiscales qu’Israël perçoit et transfère à l’Autorité Palestinienne (AP). La mesure a été adoptée à une écrasante majorité et a ignoré la tentative désespérée de Netanyahu d’ajouter une clause accordant au Cabinet le pouvoir discrétionnaire de l’appliquer. Cette loi viole explicitement les accords avec les Palestiniens, selon lesquels Israël n’a pas le droit de traiter les recettes douanières palestiniennes comme s’il s’agissait des siennes, en dehors des 3% considérables qu’il perçoit en tant que commission pour la gestion de cet argent.
Le Président palestinien Mahmoud Abbas est politiquement beaucoup plus faible qu’Arafat ne l’était, mais lorsqu’il dit que même si l’AP reçoit un seul shekel, celui-ci sera attribué aux prisonniers, il le pense, que cela lui plaise ou non. Sa décision de ne pas accepter de recettes douanières d’Israël en raison de la déduction témoigne de son rejet clair du diktat israélien. Il s’agit d’une importante somme d’argent – quelque 400 à 500 millions de shekels par mois (entre 111 et 139 millions de dollars) – et l’AP en dépend pour son existence. Il est donc clair que, dans quelques mois, l’AP s’effondrera si un donateur généreux ne couvre pas le montant ou si une formule de compromis n’est pas trouvée entre Israël et les Palestiniens.
Il semble que ce soit un piège qui lie les deux parties : le financement des familles des Palestiniens emprisonnés est problématique dans le contexte de la lutte contre le terrorisme et sur le plan moral ; que pour contrer ce financement, Israël utilise les recettes douanières de l’AP est un acte de piraterie ; le refus des Palestiniens d’accepter le reste des recettes douanière imposerait un fardeau trop lourd aux nations qui font des dons à l’AP depuis plus d’un quart de siècle.
Cependant, comme la plupart des crises, celle-ci constitue aussi une occasion : les Palestiniens pourraient profiter de ce moment pour déclarer la mort de l’AP.
Israël et l’OLP s’étaient engagés à parvenir à un accord permanent avant le 4 mai 1999, mais aucun accord n’a été conclu. Le premier gouvernement de Netanyahu fit tout ce qui était en son pouvoir pour contrecarrer les accords d’Oslo sans les annuler officiellement. Aujourd’hui, après plus de deux décennies, pendant lesquelles Netanyahu a dirigé le gouvernement israélien, il est clair que la politique de Netanyahu consiste à utiliser les Accords d’Oslo, qui sont clairement un accord intérimaire, comme s’il s’agissait d’un accord permanent.
Netanyahu s’efforce de perpétuer la situation actuelle, de continuer à construire des logements pour les Juifs dans les territoires occupés sous les auspices d’Oslo; de poursuivre la coopération en matière de sécurité avec l’AP (ce qui épargne beaucoup de sang et de sueur à Israël); de jeter à l’occasion un os à la gauche (par exemple, son discours de Bar-Ilan en 2009), puis un autre à la droite (par exemple, sa promesse d’annexer prochainement des colonies en Cisjordanie) et surtout « de gérer le conflit ». Tout cela est fait dans l’espoir, non soutenu par quoi que ce soit, que le temps travaillera en faveur d’Israël.
L’OLP aurait dû mettre fin à ce jeu il y a longtemps en démantelant l’AP, dans laquelle elle est prédominante, et en remettant les clés à Israël. Dans la situation actuelle, elle est considérée par la plupart des Palestiniens comme coopérant à la transformation de l’accord intérimaire en accord permanent, ce qui fait le jeu de la droite en Israël et aux États-Unis.
On peut supposer que les dirigeants palestiniens bénéficient dans une certaine mesure de l’existence d’un proto-État, avec son Président, son Premier ministre, ses ministres, ses conseillers et autres fonctionnaires. On pourrait également supposer que l’AP, en tant que premier employeur dans les territoires palestiniens, est préoccupée par l’augmentation du chômage si l’autorité ferme ses portes. Cela ne justifie cependant pas de maintenir le simulacre d’un « État en devenir » sous la forme de l’AP, car tant que l’AP existe, cet État ne peut advenir.
Il n’y a pas lieu de craindre pour le gagne-pain des employés de l’AP parce que la situation reviendrait à celle qui prévalait avant Oslo : Israël serait responsable de tout et l’on peut être sûr qu’il agirait efficacement. Il s’occuperait des enseignants, des écoles, des hôpitaux et du personnel médical. Les soldats israéliens maintiendraient l’ordre public dans les villes palestiniennes, et les pays donateurs seraient libérés du fardeau du financement de l’entité palestinienne au pouvoir. Les dirigeants de l’AP se recentreraient sur les activités au sein de l’OLP, qui poursuivrait sa lutte diplomatique, tandis qu’Israël paierait le prix fort de l’occupation.
Tel est le défi auquel Abbas est confronté à ce stade tardif de sa vie et de son parcours politique. L’AP est la seule carte importante qu’il détient, après avoir rejeté, pour la bonne fortune des Israéliens et des Palestiniens, le recours à une violence inutile contre Israël. La décision d’abandonner les recettes douanières palestiniennes devrait être la dernière étape avant de clore délibérément le chapitre de l’AP, au lieu d’attendre son effondrement. Si cela devait se produire, il serait préférable que diverses entités dans le monde, y compris l’Union européenne, ne prennent pas des mesures pathétiques pour la ressusciter afin d’empêcher une telle décision à la dernière minute.
A en juger par les récentes déclarations et publications, les Palestiniens rejetteront vraisemblablement le prochain plan de paix du Président Donald Trump. Ce rejet permettra à son tour à Israël de prétendre « qu’il n’y a pas de partenaire pour la paix ». Ainsi, en supposant que « l’accord du siècle » de Trump ne soit pas un point d’ancrage permettant de progresser sur le plan diplomatique, mais la preuve, pour ainsi dire, qu’Israël n’a pas de partenaire, Abbas n’a d’autre choix que de saisir le taureau par les cornes et faire ce qu’il aurait dû faire depuis si longtemps, à savoir démanteler l’AP. Plus que tout autre geste, cela réveillerait tous ceux qui apprécient le statu quo actuel à prendre des risques pour le changer.