La décision de N. Bennett de dissoudre la Knesset actuelle marque la fin d’une période particulière dans la vie politique israélienne. Particulière, elle l’était à plus d’un titre. Tout d’abord parce qu’elle mettait un terme à une instabilité qui durait depuis 2019, période au cours de laquelle pas moins de 4 élections avaient été nécessaires pour confirmer une impossibilité de mettre en place une coalition majoritaire. Ensuite, parce que pour la première fois dans l’histoire du pays, un parti arabe était partie prenante d’une coalition gouvernementale. Troisième particularité, la décision de mettre hors-champ la question palestinienne. Rattrapage socio-économique pour la population des Arabes israéliens, accords d’Abraham et collaboration régionale, autant de sujets à l’ordre du jour de cette coalition – dont le caractère pour le moins éclectique a suffisamment été mis en lumière pour qu’il ne soit pas utile d’y revenir. Mais la question palestinienne et celle du devenir des territoires occupés devaient rester un non-sujet.
En fin de compte, c’est le retour de cet éléphant, celui qui est au milieu de la pièce et dont tout le monde feint d’ignorer la présence, qui a fait voler en éclats un gouvernement qui a plus de mérites qu’on voudra bien le dire au cours de la prochaine campagne électorale qui s’annonce virulente et peut-être inutile, en ce sens qu’il est loin d’être acquis qu’une majorité claire puisse se dégager. Les députés qui ont quitté le bateau majoritaire ne l’ont pas fait sur des questions sociales, économiques ou sanitaires. Ces députés, en provenance en premier lieu de la droite – il convient de le rappeler tant les deux députés arabes, du Meretz et de Ra’am, ont été mis en avant alors qu’en fait, en désaccord certes, ils n’ont cependant jamais quitté officiellement la coalition et ont déclaré expressément qu’ils ne voteraient pas la chute du gouvernement – ces députés donc ont pris leur distance sur une thématique relevant d’un statu quo en fait impossible qu’on a voulu appliquer à une réalité mouvante, vivante, que ce soit visible ou pas.
C’est le renouvellement de la loi dite de « Judée et Samarie » – intitulé qui euphémise la dimension palestinienne et celle de l’occupation – qui a finalement contraint N.Bennett à jeter l’éponge. Cette réalité, qui s’est imposée au gouvernement uniquement du fait du hasard du calendrier, cette loi expirant fin juin, met en lumière ce que tous les gouvernements précédents, tant de droite que de gauche, se sont efforcés de maintenir dans l’ombre : la perpétuation depuis 1967, sans débat, de façon quasi automatique, de la cohabitation de deux législations s’appliquant à deux populations vivant sur un même territoire et leur assurant des droits et des statuts inégaux.
Si  un tel régime s’appliquant à la Cisjordanie, hors Jerusalem-Est, n’est pas un régime  d’apartheid, il lui ressemble comme deux gouttes d’eau, hors il est vrai, la dimension de suprématie raciale. Une telle situation peut se concevoir à titre temporaire, au cours d’une première période de mise en place d’une solution politique permanente, elle est plus que problématique dès lors que le temporaire devient permanent.
La question palestinienne a également été présente tout au long de cette année au travers de la délégitimation permanente et agressive à laquelle la droite extrême s’est adonnée avec délectation vis-à- vis du gouvernement accusé de ne pouvoir se maintenir que grâce à un parti arabe favorable au terrorisme et extorquant, en contrepartie de son soutien, des budgets considérables. S’agissant de cette dernière billevesée, il convient de préciser que ces budgets, qui parfois ne sont qu’annoncés et loin d’être versés, ne constituent qu’un rattrapage et une mise à niveau pour des équipements et infrastructures largement inférieurs à ceux dont bénéficie globalement la population juive. C’est au crédit de B. Netanyahu qu’il faut porter le lancement en 2015 du « plan 922 » de plusieurs milliards de shekels visant à combler les écarts importants entre les communautés juives et arabes en Israël. Ce programme a été prolongé d’un an en octobre 2020 pour assurer la jonction avec le plan 923 que le gouvernement de Netanyahu avait prévu de lancer en 2022. C’est encore Netanyahu, il convient de s’en souvenir, qui le premier avait engagé des contacts avec Mansour Abbas, le leader du parti Ra’am, pour l’associer plus étroitement à la vie politique israélienne. Certes, c’est un autre gouvernement qui, au final, a bénéficié de cette initiative mais il convient de rendre à César ce qui lui revient…
 
S’agissant du terrorisme, que le Ra’am, critiquable par ailleurs, n’a pas soutenu contrairement aux accusations de la droite, il reste une excroissance de la question palestinienne que le gouvernement s’est refusé à traiter, si ce n’est du point de vue sécuritaire, indispensable même si insuffisant. Le terrorisme ne se produit pas dans le vide, ex nihilo ; il est à mettre en relation – aussi même si pas seulement – avec l’impasse dans laquelle se trouve la résolution de la question palestinienne. Ni les accords d’Abraham et le nouveau contexte régional, aussi positifs soient-ils, ni l’amélioration des conditions socio-économiques des Arabes israéliens, aussi nécessaire soit-elle, ne suffiront à eux seuls à résoudre la question palestinienne, essentielle tant pour les Palestiniens que pour les Israéliens. Ces derniers sauront-ils tirer les enseignements du « retour du refoulé » qui a produit la chute du gouvernement actuel qui n’a pas été sans mérites?
Telle est la tâche qui, à l’orée de la joute électorale à venir, attend  tous ceux qui restent persuadés que le devenir d’Israël en tant qu’État juif ET démocratique, fidèle à ses valeurs, est irrémédiablement lié à une solution politique au conflit israélo-palestinien qu’il importe de faire advenir, le plus vite sera le mieux… s’il n’est pas déjà trop tard. On ne peut qu’être sensible à la métaphore sur laquelle Elie Barnavi termine sa récente autobiographie « Confessions d’un bon à rien » : « …Dans le train qui fonce dans la nuit, la plupart des voyageurs somnolent, inconscients du danger. D’autres prétendent que le conducteur ne dort que d’un œil, et que d’ailleurs, guidé par le doigt du Très-Haut, il sait très bien où il va. D’autres encore comprennent que la situation est grave, mais fatalistes, se disent qu’il n’y a rien à faire, on verra bien. D’autres, enfin, font ce qu’ils peuvent pour arrêter le convoi au bord du précipice. Ils s’agitent, tirent désespérément la sonnette d’alarme, appellent au secours sur leurs téléphones portables. Je fais partie de ceux-là…« . Il n’est pas le seul et nous serons, d’ici et d’ailleurs, à leurs côtés.