Source : [->http://www.mideastweb.org/log/archives/00000402.htm]
1er novembre 2005
Trad. : Gérard Eizenberg pour La Paix Maintenant
Sur le plan personnel, en tant que Palestinien engagé de façon responsable depuis 31 ans, y compris 5 années passées en prison en tant que prisonnier politique, il est très difficile pour moi de continuer comme si rien ne s’était passé en entendant le président d’un Etat musulman revenir aux slogans des années 60 et 70 qui réclamaient l’élimination d’Israël. A cette époque, c’étaient les slogans des mouvements arabes nationalistes, ainsi que des organisations palestiniennes marxistes. Aujourd’hui, ces slogans sont devenus de la propagande politique islamiste mise au goût du jour par les Iraniens et par différents mouvements politiques qui utilisent l’islam comme idéologie de façade.
Les dangers de pareils slogans ne tiennent pas seulement à leur rôle d’incitation à la haine, mais aussi au fait qu’ils expriment une absence de vision stratégique sur une question liée également à l’après désengagement en Palestine, à savoir : comment aborder la « question juive » dans les contextes israélo-palestinien et israélo-arabe/musulman ?
Le premier point à examiner à cet égard est la « question juive » elle-même. Nous, au Moyen-Orient, nous posons-nous cette question ? A l’exception d’un livre écrit il y a quelques années par un journaliste libanais, Joseph Samahah, je n’ai vu aucun écrit arabe qui reconnaisse qu’il existe une « question juive », non seulement en tant que problème européen, mais aussi en tant que problème arabo-musulman.
Le deuxième point découle du premier. Si la question juive est reconnue, alors, il faut en discuter. Et il faut poser très franchement certaines questions. Les droits des Juifs ont-ils été garantis à travers les siècles dans les pays arabes et musulmans ? Si la réponse est oui, alors pourquoi les Juifs de ces pays ont-ils choisi d’émigrer en Israël ? Ne s’agissait-il que de propagande sioniste ? Et si la seule propagande sioniste les a poussés à émigrer en Israël, alors pourquoi une partie importante des Juifs israéliens originaires des pays arabes et musulmans adoptent-ils des positions de droite à l’égard des Palestiniens et des Arabes ? De plus, qu’ont fait les pays arabes et musulmans pour maintenir de bonnes relations avec ces Juifs une fois ceux-ci émigrés en Israël ? Ces questions appellent des réponses claires, et si nous continuons à justifier les dénis et les omissions, il en résultera une détérioration encore plus grande dans les relations entre Israël et les Palestiniens, et plus généralement, entre Israël et le Moyen-Orient.
Le troisième point concerne la stratégie vis-à-vis d’Israël. Ahmadinejad et les autres de son espèce pensent-ils que ce genre de propagande aide les Palestiniens ? Pensent-ils aider Israël à s’intégrer au Moyen-Orient ? Ou bien cette attitude ne fait-elle que renforcer ces tendances qui appellent Israël à faire partie de l’Occident et à se déconnecter des liens avec l’Orient et de la culture orientale, si l’on met à part ces sortes de liens faits de domination et d’hégémonie ? Ces déclarations aident-elles à apporter la paix au Moyen-Orient, ou davantage de haine, de violence, et de prolifération de l’arme nucléaire ? Ahmadinejad espère-t-il utiliser ces armes pour éliminer Israël ? Bien plus, se rend-il compte qu’une réaction israélienne pourrait provoquer l’élimination de l’Iran et probablement d’autres pays du Moyen-Orient ? Pourquoi alimenter une dynamique de militarisation et de prolifération des armes de destruction massive, et non une dynamique de paix ? De quelle sorte de stratégie s’agit-il ? Et qu’est-ce que cela dit sur nos dirigeants ?
Le quatrième point concerne notre rôle dans la résolution de la « question juive ». Bien sûr, le problème est né en grande partie en Europe, mais puisque l’Etat juif a été créé au Moyen-Orient, il nous incombe de répondre à la question : allons-nous accepter le défi qui consiste à intégrer Israël dans cette région ? Ou bien voulons-nous créer d’autres problèmes pour la simple raison que nous ne portons pas de responsabilité dans la naissance du problème ? Même si la création d’Israël n’est pas de notre responsabilité directe, il existe malgré tout une responsabilité humaine globale qui nous oblige à trouver une solution au problème des Juifs, et non à traiter les souffrances créées par la création d’Israël en infligeant des douleurs au peuple juif ! Ce sont des questions auxquelles n’a pas pensé Ahmadinejad à cause de l’aveuglement de sa stratégie, incapable de voir l’humanité de l’autre côté.
Enfin, je me demande si ces actions reflètent bien l’islam. Est-ce cet islam tolérant que connaît tout citoyen, de cet islam qui reconnaît « l’Autre » ? Est-ce cet islam qui défend l’égalité des droits sans distinction de religion, de sexe ou de couleur de peau ? Ces idéologies aveugles n’ont rien à voir avec l’islam. Elles ne font que provoquer le contraire de ce que défend l’islam : la haine des différences de religion et, partant, les guerres de religion.
Sur tous ces points, il faut appeler les musulmans modérés à faire entendre leur voix. Les musulmans modérés doivent crier fort, vociférer même, contre ces stratégies aveugles. Ils doivent réclamer un débat réel et intensif autour de la question juive et de la position d’Israël au Moyen-Orient. Sans un pareil débat, profond et fructueux, jamais le conflit israélo-palestinien ne sera complètement résolu.