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Jewish Telegraphic Agency, 8 juin 2005
Trad. : Gérard Eizenberg pour La Paix Maintenant
« Vos papiers! », aboie le soldat vêtu d’un casque et d’un treillis à la foule des spectateurs qui cherchent leurs sièges.
Les visages pâlissent. Puis un rire nerveux parcourt la foule quand elle comprend que le soldat n’en est pas un, mais un comédien dans la pièce qu’ils s’apprêtent à voir : une production sur le conflit israélo-palestinien nommée « Plonter » – en hébreu, bourbier.
L’idée d’un checkpoint au milieu d’une salle de théâtre encore dans l’ombre peut sembler absurde, mais c’est de l’absurdité du conflit que parle « Plonter ». La pièce, qui a fait ses débuts au prestigieux théâtre « Cameri » de Tel-Aviv, est une création de la troupe, mélange de comédiens israéliens juifs et arabes qui font revivre sur scène des situations réelles du conflit, certaines tirées de leurs expériences personnelles.
A travers une série de saynettes et de sketches, les neuf comédiens passent de personnages israéliens à personnages palestiniens, en arabe et en hébreu.
Dans l’une des scènes, Youssef Saweid, un Arabe israélien qui a grandi à Haïfa, joue le rôle d’un haut gradé israélien qui coordonne la dissimulation par l’armée de la mort d’un jeune garçon palestinien par balles. Dans la scène suivante, il devient un Palestinien radical, porte un keffieh à carreaux noirs et blancs et tire en l’air en criant vengeance.
Dans une autre scène, Irit Kaplan, une comédienne israélienne juive, endosse les vêtements et le châle de deuil d’une femme palestinienne, puis passe au personnage d’une mère juive entre deux âges qui s’agite autour de son soldat de fils, lequel vient de tuer accidentellement un garçon en Cisjordanie: l’enfant que pleurait précisément la Palestinienne en deuil.
Cet enchevêtrement des histoires fait partie du message de la pièce : tous les acteurs du conflit israélo-palestinien sont des êtres humains; les larmes d’une mère palestinienne qui a perdu son fils tué par les balles d’un soldat, ou un colon juif qui a perdu son bébé victime d’une balle, véhiculent les mêmes sentiments de perte et de chagrin.
« Un colon, c’est vraiment à l’opposé de moi », dit Mira Awad, qui joue le rôle d’une femme colon dans plusieurs scènes, mais qui elle-même est arabe. Au début, en répétant le rôle, elle a eu du mal, mais a fini par percevoir l’humanité qu’il y a dans le personnage. « Une mère qui perd son enfant, c’est universel, c’est la même tragédie partout ».
La troupe a passé 7 mois en recherche, en écriture et en débats sur le script. Ils se sont rendus à des checkpoints, dans des villages arabes, et un peu partout en Israël, interrogeant les gens par écrit sur leurs opinions à l’égard du conflit.
L’écriture et les répétitions ont donné lieu à des tensions et à des disputes, mais tous se mirent finalement d’accord autour de l’idée de décrire la vie des deux côtés du conflit,, dans sa douleur, son absurdité et même son humour.
La metteure en scène Yaël Ronen dit que l’un des buts de la production a été de pousser les comédiens et le public à voir le conflit à travers les yeux de l’autre côté. « Nous sommes moins aveugles que nous ne l’étions au début », dit-elle.
La pièce s’ouvre sur une réplique de la section en béton de la barrière de sécurité en Cisjordanie. Les comédiens, vêtus de noir, repoussent les blocs du mur et révèlent ainsi le monde des deux côtés. La pièce peut commencer.
La première scène montre un couple juif accueillant pour la première fois à dîner des invités arabes. Dans cette scène comique, la femme juive révèle son ignorance en demandant à longueur de temps à ses invités s’il n’a pas été trop difficile de passer les checkpoints pour arriver. Ils lui répètent qu’ils viennent de Tira, une ville arabe à l’intérieur d’Israël, et qu’ils n’ont donc pas eu de checkpoints à franchir.
L’une des scènes les plus fortes est tirée de l’expérience personnelle de Yoav Levy, un comédien juif qui a servi dans une unité combattante en Cisjordanie. Dans cette scène, Levy joue le rôle d’un officier qui pourchasse et roue de coups un jeune Palestinien qui avait lancé des pierres sur lui et ses soldats. L’officier bande les yeux du gamin et lui pointe un pistolet sur la tête, avant de le ramener à son père.
Le père reprend son fils et se met à le corriger pour avoir jeté des pierres. L’officier, qui, quelques minutes auparavant, était en train de cogner le garçon, demande au père comment il peut ainsi battre son fils. En rage, le père interdit à l’officier de lui dire quoi faire chez lui, et lui dit que l’occupation s’arrête au seuil de sa maison.
Levy a vécu un incident similaire à Naplouse. C’est au moment où il a vu le père battre son enfant, dans sa maison, qu’il a vu pour la première fois « une lumière rouge s’allumer et dire ‘quelque chose ici ne va pas' ». Levy raconte que plusieurs de ses camarades de l’armée sont venus voir la pièce,mais se sont éclipsés une fois le rideau baissé. Il les a trouvés en larmes, dehors sur les marches;
Pour moi, cette pièce est une thérapie, dit Levy, une occasion de voir comment le fait d’être au front l’a affecté en tant qu’être humain.
A images fortes, réactions fortes. « Je suis venue sans savoir ce que j’allais voir. J’ai pleuré, j’ai ri, j’ai été gênée. A la fin, j’ai été tétanisée », dit Dvora Averbuch, une spectatrice venue parler à la troupe après le spectacle. « Je veux vous remercier pour avoir montré sur scène ce dont nous parlons tous chez nous. Cela devient soudain si réel ».