JERUSALEM – On peut comprendre a peu pres tout ce qu’il y a a comprendre sur
le conflit israelo-palestinien aujourd’hui a travers une simple operation
arithmetique fournie par Danny Rubinstein, specialiste des affaires
palestiniennes pour le quotidien Haaretz. L’operation est la suivante :
supposons qu’Israel decouvre que 10 Palestiniens de Naplouse sont en train
de planifier des attentats suicides en Israel. Israel dit : si on peut en
tuer au moins deux, cela sera un progres, car il n’en restera que huit. Les
Palestiniens disent : si vous en tuez deux, quatre de plus seront
volontaires pour prendre leurs places, et vous en aurez 12.
Donc, pour Israel : 10 – 2 = 8.
Pour les Palestiniens : 10 – 2 = 14.
Et cela explique pourquoi les contre-mesures « baton sans carotte » d’Ariel
Sharon, depuis deux ans, ont echoue a ameliorer la securite d’Israel. Quand
Sharon a succede a Barak, environ 50 Israeliens avaient ete tues a cause du
soulevement palestinien. Aujourd’hui, le nombre est d’un peu plus de 700
Israeliens morts, et de plus de 2.000 Palestiniens. Quand j’ai demande a un
officiel de l’armee israelienne pourquoi tous ces morts et toutes ces
arrestations de Palestiniens avaient eu si peu d’effet, il a repondu :
« c’est comme tondre une pelouse. Un jour on tond sa pelouse, et le jour
d’apres, la pelouse repousse. »
Alors, pourquoi Sharon va-t-il probablement gagner les prochaines elections?
Deux raisons :
La premiere, c’est que, si vaine que soit la strategie de Sharon, celle des
Palestiniens a ete encore pire. Les Palestiniens agissent encore comme s’ils
croyaient pouvoir obtenir davantage d’Israel en sapant la securite des
Israeliens plutot qu’en la renforcant. Au bout d’un moment, on ne peut plus
appeler cela une erreur. Il faut alors se poser la question de savoir si
cela ne reflete pas la conviction qu’une presence juive florissante au coeur
du monde islamique est tout simplement inacceptable a leurs yeux. Bien sur,
la seule chose que Sharon sache faire est de tondre la pelouse. Mais la
seule chose qu’Arafat sache faire, c’est de la faire pousser : sacrifier des
generations de Palestiniens, l’une apres l’autre, au nom du reve de retour a
toute la Palestine.
La seconde, c’est l’echec du Parti travailliste israelien a proposer une
alternative a la politique de Sharon. Le probleme du candidat travailliste,
Amram Mitzna, qui a ete un tres honorable commandant responsable de la
Cisjordanie, n’est pas de defendre ce que 70% des Israeliens souhaitent :
une separation d’avec les Palesttniens et une renonciation a la plupart des
colonies. Son probleme est plutot de ne pas reussir a persuader les
Israeliens, au niveau des tripes, que lui et son parti sont assez fermes
pour le mener a bien dans la securite.
Comme l’a ecrit Ari Shavit, editorialiste d’Haaretz : « je compare cela a une
operation a coeur ouvert. Israel sait que si nous ne la faisons pas, si nous
ne nous separons pas, Israel mourra. Mais si nous le faisons de maniere
precipitee, ou desordonnee, nous mourrons aussi. Quand Mitzna reclame une
separation, 70% des Israeliens sont d’accord. Mais quand il dit qu’il est
pret a le faire de facon unilaterale, si necessaire, ou de negocier avec
Arafat, ou meme de negocier alors que l’intifada continue, la plupart
refusent de le suivre. C’est au niveau des tripes que cela se passe. Donc,
ce qu’ils veulent, c’est une operation de gauche effectuee par un chirurgien
de droite. Le probleme est que Sharon n’effectuera pas cette operation. Il
est tellement engage sur les colonies qu’il a construites qu’il semble
paralyse. »
Et, en effet, Sharon beneficie du desir des gens de le voir appliquer la
separation de Mitzna. Mais au lieu de tenter veritablement de le faire,
Sharon manipule les peurs des gens, pour rester au pouvoir et conserver les
colonies, et ce tout en faisant des clins d’oeil aux Americains en disant
qu’il finira, un jour, par vraiment faire un accord.
Le resultat, c’est que ce conflit est en train d’entrer dans une nouvelle
phase : le debut de la fin d’une solution a deux Etats. Sous le gouvernement
Sharon, les colons ont developpe les colonies existantes en Cisjordanie, et
en ont etabli de nouvelles, illegales. Les colons veulent assurer l’annexion
par Israel, de facto ou de jure, de la Cisjordanie, de la Bande de Gaza et
de Jerusalem Est. Et, sans initiative de paix arabe ou palestinienne
credible pour les contrer, sans pression de l’administration Bush, et sans
parti politique israelien pour mener a bien une separation, les colons sont
en train de gagner par defaut, et par inertie. Gagner, cela veut dire qu’ils
rendent une separation impossible.
Mais s’il n’y a pas de separation, en 2010 il y aura plus de Palestiniens
que de Juifs qui vivront en Israel et dans les territoires occupes. Israel
aura alors trois options : ou bien les Israeliens controleront la totalite
du territoire par l’apartheid, ou bien il la controleront en expulsant des
Palestiniens, ou bien ils donneront aux Palestiniens le droit de vote, et
Israel ne sera plus un Etat juif. Dans tous les cas, cela signifiera la fin
d’Israel en tant qu’Etat juif et democratique.