Ha’aretz, 2 juin 2010
Traduction : Gérard Eizenberg pour La Paix Maintenant
Aucune explication ne peut justifier ni blanchir ce crime. Aucun prétexte ne peut servir à excuser ou à expliquer la stupidité des actes du gouvernement et de l’armée. Israël n’a pas envoyé ses soldats pour tuer des civils de sang-froid. De fait, c’était même la dernière chose qu’il voulait. Et pourtant. Une petite organisation turque, fanatique du point de vue religieux et radicalement hostile à Israël, a rallié à sa cause plusieurs centaines de chercheurs de paix et de justice, et a fait en sorte de prendre Israël au piège, précisément parce qu’elle savait comment Israël réagirait, comment Israël était programmé pour réagir comme il l’a fait.
Combien un pays doit ressentir d’insécurité, de confusion et de panique pour agir comme l’a fait Israël ! En combinant force militaire excessive et manque fatal d’anticipation de l’intensité des réactions de ceux qui se trouvaient à bord, il a tué et blessé des civils et l’a fait (comme une bande de pirates) en-dehors des eaux territoriales israéliennes.
Il est clair que ce jugement n’implique aucun accord avec les motivations, ouvertes ou cachées, et souvent malveillantes, de certains participants à la flottille de Gaza. Car tous ne sont pas des humanitaires épris de paix, et les déclarations de certains d’entre eux sur la destruction d’Israël sont criminelles. Mais cela ne compte pas, tout simplement, car autant que nous le sachions, ces opinions ne méritent pas la peine de mort.
Les actes d’Israël d’hier ne sont que dans la continuité du blocus honteux de Gaza, blocus qui n’est que la perpétuation de l’approche condescendante et oppressive du gouvernement israélien, prêt à pourrir la vie d’un million et demi d’innocents dans la bande de Gaza pour obtenir la libération de notre soldat captif. Car, tout précieux et aimé que soit Gilad Shalit, ce siège n’est que la conséquence naturelle d’une politique idiote et fossilisée, qui recourt encore et encore à l’usage massif et exagéré de la force, à chaque instant décisif, quand sagesse, bon sens et pensée créative sont si nécessaires.
D’une certaine manière, toutes ces calamités (y compris les événements sanglants d’hier) semblent faire partie d’un processus corruptif plus large qui affecte Israël. Comme si un système politique souillé et boursouflé, affreusement conscient du gâchis produit depuis des années par ses propres actes et dysfonctionnements, et désespérant de la possibilité de démêler l’infini fouillis qu’il a lui-même créé, devenait encore plus inflexible devant des défis complexes et pressants, et perdait en chemin les qualités qui, naguère, caractérisaient encore Israël et ses dirigeants : fraîcheur, originalité et créativité.
Le siège de Gaza a échoué. Cela fait quatre ans qu’il a échoué. Ce que cela signifie, c’est qu’il n’est pas seulement immoral, mais encore impraticable et qu’il empire la situation tout entière, ce qui nous encore été rappelé à cette heure même, et qu’il nuit aux intérêts vitaux d’Israël. Les crimes des dirigeants du Hamas, qui ont retenu Gilad Shalit en captivité pendant quatre ans sans permettre une seule fois à la Croix-Rouge de lui rendre visite, et qui ont tiré des milliers de roquettes sur des villages et des villes d’Israël depuis la bande de Gaza, sont des actes dont il faut s’occuper avec fermeté, en usant des moyens légaux dont dispose un Etat souverain. Le siège d’une population civile n’en fait pas partie.
J’aimerais croire que le choc créé par les actes fous d’hier mènera à une réévaluation de toute l’idée du siège et délivrera enfin les Palestiniens de leurs souffrances tout en nettoyant Israël de sa tache morale. Mais l’expérience, dans cette région riche de tragédies, nous enseigne que c’est le contraire qui se produira : les mécanismes de réaction par la violence, les cercles vicieux de vengeance et de haine. Hier, un nouveau round a commencé, dont on ne peut pas encore prédire l’ampleur.
Mais par-dessus tout, la folle opération d’hier montre combien Israël a décliné. Il n’est pas besoin d’en dire davantage. Quiconque a des yeux pour voir le comprend et le ressent. Déjà, il y en a chez nous pour chercher à communiquer sur le sentiment naturel et justifié de culpabilité en Israël, en affirmant avec stridence que le monde entier est coupable. Mais il nous sera plus difficile de vivre avec la honte.