Yossi Beilin, que nos amis de JCall recevront au CBL le 25 mars 2019, rappelle dans cet article publié après la rencontre du 2 septembre dernier à Ramallah entre M. Abbas et une délégation de Shalom Arshav et du Camp de la paix, que n’est pas nouveau l’intérêt des Palestiniens pragmatiques pour une confédération avec un Etat riche et démocratique à l’ouest du Jourdain plutôt qu’avec une monarchie appauvrie et antidémocratique à l’est.


Traduction : Bernard Bohbot pour LPM

Le Président palestinien Mahmoud Abbas rencontre une délégation de la Paix Maintenant à Ramallah, Cisjordanie, le 2 septembre, 2018. Photo : Peace Now – Israel

Al Monitor, 6 septembre 2018

https://www.al-monitor.com/pulse/originals/2018/09/israel-jordan-palestinians-us-donald-trump-mahmoud-abbas.html

Could Israeli-Palestinian confederation bring peace?


Lors d’une réunion le 2 septembre à Ramallah, le Président palestinien Mahmoud Abbas a surpris ses invités du Parti Meretz et du mouvement La Paix Maintenant à deux occasions distinctes. La première surprise fut quand il leur a dit que les membres de l’équipe de négociations de paix du président américain Donald Trump avaient évoqué l’idée d’une confédération jordano-palestinienne. La deuxième surprise, fut lorsqu’il leur a fait part de sa réponse : il ne serait prêt à entrer dans une telle confédération que si Israël en fait partie.

La proposition américaine prouve que l’équipe a passé pas mal de temps à examiner de nombreux documents dans les archives poussiéreuses. Le regretté roi Hussein de Jordanie a évoqué pour la première fois l’idée d’une confédération il y a 35 ans, et le Conseil national palestinien l’a adoptée en 1983. Le Conseil a même donné au leader de l’OLP, Yasser Arafat, le mandat d’entamer des négociations avec le roi sur les détails d’une telle confédération. Mais ces négociations n’ont pas abouti.

J’en ai parlé avec le roi Hussein pendant les négociations entre les parties, puis avec le Président Arafat des années plus tard. Arafat m’a dit que le roi insistait pour être à la tête du nouveau cadre politique, alors qu’Arafat exigeait une rotation. Selon lui, le roi Hussein a répondu que les rois « ne font pas de rotations ». Hussein n’a pas non plus accepté sa demande d’établir tout d’abord un État palestinien et ensuite seulement de s’unir à la Jordanie dans le cadre d’une confédération.

Le roi a déclaré que sa proposition initiale, qui remonte à 1972, était d’établir une fédération fondée sur un retrait israélien de Cisjordanie et la création d’une entité palestinienne autonome, sous pavillon jordanien, dans le territoire occupé en 1967. L’OLP et Israël ont rejeté cette proposition. Lors d’une conférence qui s’est tenue dans la capitale marocaine, Rabat, deux ans plus tard (en 1974), la Ligue arabe a publié une résolution qui a retiré à la Jordanie le droit de représenter les Palestiniens et l’a remise à l’OLP, au grand dam du roi Hussein (qui malgré son désaccord a néanmoins apporté son soutien formel à la résolution car tous les autres États ont voté pour).

Cela signifiait que le roi n’avait plus le droit de parler d’une fédération. Il a alors commencé à parler d’une confédération à la place. L’entité palestinienne proposée est passée du statut d’entité autonome à celui de souveraine, et le roi proposa donc de créer un cadre commun pour les deux entités : le Royaume hachémite de Jordanie et la Palestine. Cette fois, ce sont les conditions posées par Arafat qui ont saboté l’idée.

En avril 1987, au cours de pourparlers secrets à Londres (pourparlers qui ont abouti à l’Accord de Londres), le ministre israélien des Affaires étrangères de l’époque, Shimon Peres, a tenté, avec l’aide de l’auteur de ces lignes, de conclure une série d’accords avec la Jordanie. Le Premier ministre jordanien Ziad al-Rifai a soutenu ces efforts. Le document qu’ils ont préparé proposait qu’une conférence internationale lance des pourparlers entre Israël et une délégation jordanienne, qui comprendrait également des représentants palestiniens. Le document stipulait que tous les participants – Palestiniens et autres – s’engageraient à renoncer au terrorisme et à accepter les résolutions 242 et 338 des Nations Unies. Le roi Hussein a accepté l’accord proposé. Mais le gouvernement d’unité nationale israélien dirigé par le Premier ministre de l’époque Yitzhak Shamir s’y est opposé. Fin juillet 1988, le roi Hussein a annoncé lors d’une conférence de presse qu’il abandonnait ses revendications sur la Cisjordanie. Pour lui, il s’agit dorénavant d’un territoire destiné uniquement aux Palestiniens.

La droite israélienne considère qu’il s’agit là d’une réalisation majeure. Pour elle, l’idée que « la Jordanie, c’est la Palestine » est devenue encore plus concrète : La Jordanie avait une majorité palestinienne depuis de nombreuses années déjà. Du point de vue de la droite israélienne, il s’agissait donc déjà d’un État palestinien. Les Palestiniens vivant en Cisjordanie, et peut-être aussi dans la bande de Gaza, pourraient continuer à vivre chez eux, mais sans droits politiques, ou encore s’installer en Jordanie.

Le camp qui soutenait la partition du territoire a réagi très différemment. Pour elle, la partition est la seule solution qui puisse garantir qu’Israël reste un État démocratique avec une majorité juive – un État binational incluant le territoire d’Israël et la Cisjordanie déboucherait sur une majorité palestinienne. Si la Jordanie ou une formation jordano-palestinienne n’est pas un partenaire dans la solution permanente, et si Israël veut éviter d’imposer une solution unilatérale, l’OLP est le seul partenaire possible sur le plan pratique.

Quatre mois plus tard, l’OLP a décidé d’adopter les résolutions en question du Conseil de sécurité des Nations Unies et a dénoncé le terrorisme. On était  dans les derniers jours de l’administration Reagan, et les États-Unis avaient commencé à parler publiquement avec l’OLP (le président Ronald Reagan l’a annoncé à la fin de l’année 1988).

Lorsque la Conférence de Madrid, de 1991, a débouché sur des négociations entre une délégation israélienne et une délégation conjointe jordano-palestinienne, il était évident pour tous que ce dernier groupe était en fait constitué deux délégations distinctes, l’une recevant des ordres du roi Hussein et l’autre d’Arafat (qui donnait ses instructions aux membres palestiniens de la délégation avant ou après leurs aller-retour à Washington). Il est donc apparu évident qu’il n’y a pas de solution jordano-palestinienne à l’horizon.

Au cours de l’été 1993, le comité directeur s’est réuni à Moscou pour des pourparlers multilatéraux impliquant des Israéliens, des Palestiniens, des représentants des États arabes et d’autres représentants de la communauté internationale. Le négociateur palestinien Faisal Husseini et moi-même, représentant Israël, nous sommes longuement entretenus en tant que chefs de nos délégations respectives. Les négociations d’Oslo étaient bien engagées lorsque je lui ai demandé ce qu’il pensait d’une éventuelle solution jordano-palestinienne. Husseini a rigolé et m’a demandé si les Israéliens pensent vraiment que tous les Palestiniens sont stupides à ce point. Il m’a expliqué : « Vous parlez toujours d’une confédération jordano-palestinienne, mais je vous dis que nous voulons une confédération israélo-palestinienne. Pourquoi pensez-vous que nous sommes particulièrement intéressés à créer un cadre commun avec une monarchie appauvrie et antidémocratique à l’Est du Jourdain ? Nous préférerions établir une confédération plus naturelle, à l’Ouest du fleuve, avec un État démocratique riche et stable, et  en tirer les enseignements. » Il m’a immédiatement assuré qu’il parlait par souci des intérêts nationaux palestiniens et non par amour pour Israël, mais il a expliqué qu’il croyait que c’était aussi la bonne solution pour Israël, car cela assurerait une coopération dans une longue liste de domaines.

Cette semaine, quand Abbas a dit qu’il insisterait pour une confédération tripartite, j’ai réalisé qu’il voulait dire la même chose que Husseini. Les dirigeants palestiniens pragmatiques veulent une confédération avec Israël. Si les intermédiaires américains sont vraiment intéressés par un nouveau modèle selon lequel les colons peuvent rester à l’Est de la frontière entre les deux États souverains et indépendants, ils feraient bien d’examiner l’option d’une confédération israélo-palestinienne, avec ou sans la Jordanie.

Il n’y a rien de plus logique que les deux États indépendants qui existeraient à l’Ouest du Jourdain pour fonctionner dans un cadre formel de coopération. Cela pourrait éviter d’avoir à évacuer les colons et permettre aux personnes intéressées de vivre en Palestine en tant que citoyens israéliens, tout comme un nombre similaire de citoyens palestiniens pourraient vivre en Israël. Une confédération israélo-palestinienne pourrait également permettre d’intégrer les forces de sécurité des deux entités et même faciliter le règlement de la question de la souveraineté sur la vieille ville, surtout si les institutions communes fonctionnent à partir de celle-ci. Il semble bien, après tout, qu’en parlant de confédération israélo-palestinienne, Abbas ne plaisantait pas vraiment.

Yossi Beilin a occupé divers postes à la Knesset et au gouvernement israélien, dont le dernier était ministre de la justice et des affaires religieuses. Après avoir démissionné du Parti travailliste, Beilin a dirigé le Meretz. Il a participé au lancement du processus d’Oslo, de l’accord Beilin-Abu Mazen, de l’Initiative de Genève et de Birthright (Taglit).