Un tel plan répondrait aux préoccupations de l’ensemble de l’échiquier politique des deux sociétés en abordant les questions les plus épineuses sous un angle nouveau.
Traduction : Bernard Bohbot pour LPM
Auteurs : Hiba Husseini et Yossi Beilin pour Foreign Policy Magazine, 23 mai 2022
Photo : Les forces de sécurité israéliennes surveillent le passage des Palestiniens à un checkpoint menant à Jérusalem où ils vont assister aux prières du Ramadan à la mosquée d’Al-Aqsa, le 29 avril 2022. © HAZEM BADER/AFP via Getty Images
https://foreignpolicy.com/2022/05/23/israeli-palestinian-confederation-peace/
Article mis en ligne le 20 juin 2022
Pendant plusieurs décennies, Palestiniens et Israéliens furent impliqués dans un processus de paix entre deux belligérants. Les deux parties ont déployé des efforts – parfois honnêtes, parfois superficiels – pour trouver des solutions aux principaux problèmes du conflit : le tracé des frontières entre les deux États, l’avenir de Jérusalem, le sort des colonies israéliennes, le retour des réfugiés palestiniens et la structure des accords de coopération en matière de sécurité.
Au fil des ans, des propositions constructives visant à résoudre toutes ces questions furent formulées, tant par des tiers (comme les paramètres de l’ancien président américain Bill Clinton en décembre 2000 et les propositions du secrétaire d’État américain John Kerry en 2014) que par des Palestiniens et des Israéliens, à titre officiel ou non (comme les accords conclus entre le président palestinien Mahmoud Abbas et l’un d’entre nous en 1995, l’Initiative de Genève en 2003 et le bref accord Ami Ayalon-Sari Nusseibeh, également en 2003).
Les grands principes d’une solution permanente font désormais l’unanimité, et ils ont été implicitement approuvés en 2016 par la résolution 2334 du Conseil de sécurité de l’ONU, qui appelait à un retour à la frontière d’avant 1967, avec des échanges de territoires égaux et la cessation des activités de colonisation, en plus d’encourager les négociations sur le statut final. Cet éventail de solutions recueille plus de soutien parmi les Israéliens et les Palestiniens que tout autre type de solutions envisagées, même si, parmi les deux peuples, le soutien est passé d’une majorité absolue à une pluralité.
On explique couramment par la faiblesse ou l’intransigeance des dirigeants des deux parties le fait que les accords d’Oslo (qui ont commencé par la Déclaration de principes, signée le 13 septembre 1993, et qui furent suivis par l’Accord intérimaire, signé deux ans plus tard), n’ont été mis en œuvre qu’en partie et n’ont pas abouti, dans les six années suivantes, à un accord permanent. Mais il est déraisonnable de rejeter toute la responsabilité sur les dirigeants. Nous pensons que de nouvelles idées peuvent également dégager des ouvertures positives dans cette longue impasse et remettre les négociations sur la voie d’un accord de paix permanent.
La « Confédération de la Terre Sainte » permettrait à des dizaines de milliers de citoyens de chaque État de vivre de l’autre côté de la frontière en tant que résidents permanents.
Il sera plus facile pour les deux parties de se mettre d’accord sur une solution à deux États si nous appliquons la notion de réciprocité, de sorte que les dirigeants israéliens soient libérés de la nécessité d’évacuer les colons de leurs maisons en Cisjordanie et que les dirigeants palestiniens bénéficient, en échange, d’un cadre permettant à un nombre similaire de Palestiniens de s’établir en Israël (en plus d’un nombre convenu de réfugiés palestiniens qui s’installeront en Israël en tant que citoyens à part entière).
En principe, ces propositions pourraient être mises en œuvre même sans arrangements confédéraux. Mais nous sommes convaincus que la confédération israélo-palestinienne que nous proposons, inspirée du modèle de l’Union européenne, permettra de développer une coopération économique et sécuritaire renforcée et facilitera une série d’initiatives qui renforceront la compréhension mutuelle et auront pour effet une diminution du rejet et de l’hostilité mutuelle.
Le cadre confédéral qu’un groupe de Palestiniens et d’Israéliens a proposé s’appelle la « Confédération de la Terre Sainte ». Il permettrait à des dizaines de milliers de citoyens de chaque État de vivre de l’autre côté de la frontière en tant que résidents permanents. Les colons israéliens dont les colonies resteront sur le territoire du futur État palestinien auront la possibilité de choisir entre retourner dans l’État d’Israël et recevoir une compensation ou rester dans l’État de Palestine et respecter ses lois et ses règles. Un nombre similaire de citoyens palestiniens se verront offrir la possibilité de vivre en Israël en tant que résidents permanents.
Comme dans l’UE, les deux groupes de résidents permanents, israéliens et palestiniens, voteront dans leurs élections nationales respectives (le pays de citoyenneté), plutôt que dans leur pays de résidence. Ils auront toutefois le droit de participer aux élections municipales dans leur lieu de résidence et bénéficieront des mêmes droits civils et avantages sociaux que les citoyens du pays.
En plus de ces mesures, cette approche cherche à traiter les conséquences de la guerre de 1948 de deux manières. Premièrement, à l’instar de l’Initiative de Genève de 2003, elle offre aux réfugiés palestiniens un éventail de choix (y compris une voie limitée vers la citoyenneté en Israël, distincte du cadre de résidence permanente exposé ci-dessus). Deuxièmement, la proposition de confédération s’efforce de développer un récit historique commun. Au cours des longues années du conflit, beaucoup ont supposé qu’il était impossible pour les parties de se mettre d’accord sur un récit commun et que le mieux que l’on pouvait espérer était une reconnaissance à contrecœur des récits séparés.
Mais nous avons fait un nouveau pas en avant en parvenant à un accord sur le passé – disponible ici. Le fruit de cet effort offre une preuve supplémentaire de ce qui peut être accompli lorsque nous privilégions la coopération à la division.
Les arrangements confédéraux que nous envisageons n’ont pas besoin d’être perpétuels pour avoir de la valeur. Au fil du temps, les Israéliens et les Palestiniens peuvent choisir d’approfondir ou de réduire la coopération entre leurs institutions publiques. Ce qui ne changerait pas, en revanche, c’est la frontière entre les deux États. (Notre carte prévoit l’annexion par Israël de 2,25 % de la Cisjordanie en échange d’une compensation territoriale complète pour les terres actuellement sous souveraineté israélienne).
Ce que nous prévoyons de modifier, avec le consentement des deux parties, c’est le régime frontalier et le degré de liberté de circulation des personnes et des biens. Selon notre proposition, tous les quatre ans (au minimum), les deux gouvernements se rencontreront pour étudier la possibilité de libéraliser davantage le régime frontalier et les questions connexes. Si la situation le permet, la frontière deviendra plus perméable à l’avenir, et les deux peuples pourront sentir que l’autre pays ne leur est pas « étranger » et qu’ils ont facilement accès aux lieux auxquels ils se sentent liés par l’histoire, la religion, la culture ou la famille. Les dispositions en matière de sécurité comprennent des forces multinationales, des stations d’alerte rapide et cellule de crise commune israélo-palestinienne.
Nous envisageons également une série de mesures qui favoriseront la réconciliation entre les parties, notamment l’obligation d’étudier l’hébreu et l’arabe dans toutes les écoles de la Confédération, l’ouverture mutuelle des archives et la signalisation bilingue obligatoire dans tous les lieux ayant une valeur historique.
Les critiques peuvent se demander comment une telle proposition peut revigorer le processus de paix dans le contexte politique actuel – alors que le Premier ministre israélien déclare sur toutes les scènes qu’il s’oppose fermement à une solution à deux États et refuse de rencontrer le Président palestinien, que la bande de Gaza est contrôlée par le Hamas et que l’Autorité palestinienne n’a pas autorité sur la majeure partie de la Cisjordanie.
Les déclarations faites aujourd’hui n’indiquent pas nécessairement les actions de demain. Les dirigeants visionnaires changent d’avis.
La réponse est que les déclarations faites aujourd’hui n’indiquent pas nécessairement les actions de demain. Les dirigeants visionnaires changent d’avis. En 1977, Menachem Begin s’est opposé avec véhémence à un retrait complet de la péninsule du Sinaï, pour ensuite consentir à s’en retirer totalement quelques années plus tard. Yitzhak Rabin, qui en 1991 s’était fermement opposé à la levée de l’interdiction de négocier avec l’OLP, a serré la main de Yasser Arafat en 1993. Ariel Sharon, qui s’était engagé à ne jamais renoncer à une seule colonie dans la bande de Gaza, a choisi de toutes les évacuer.
Du côté palestinien, Abbas s’est engagé depuis de nombreuses années en faveur d’une solution à deux États, et lorsqu’on lui a demandé en septembre 2018 s’il était favorable à la création d’une confédération palestinienne avec la Jordanie, il a répondu qu’il n’y adhérerait que si Israël s’y joignait. Dans notre document, nous ne proposons pas de confédération tripartite, mais cela pourrait très bien être une option future. Quant à la faiblesse politique d’Abbas, elle ne peut être niée, mais il est clair qu’en tant que l’un des pères fondateurs du Fatah, puis de l’OLP, il a suffisamment de légitimité pour signer un accord de paix avec Israël, même s’il est mis en œuvre par ses successeurs.
L’accord de paix devrait être signé par le gouvernement israélien et l’OLP. Il inclurait nécessairement la bande de Gaza et assurerait un lien territorial entre la Cisjordanie et la bande de Gaza. Le mouvement Hamas et l’OLP ont la responsabilité conjointe de rendre cela possible en parvenant à un accord de réconciliation. En effet, nous pensons qu’en facilitant l’accès des deux peuples aux sites sacrés, un cadre confédéral pourrait permettre aux factions opposées au partage du territoire d’adhérer plus facilement à une solution à deux États.
Cette proposition offre une nouvelle approche aux décideurs israéliens et palestiniens, avec des incitations pour parvenir à une solution pragmatique à deux États. L’approche n’est pas à somme nulle pour l’une ou l’autre des parties – mais pourrait servir de facilitateur pour atteindre les résultats souhaités depuis longtemps en matière de division du territoire sans porter atteinte à l’attachement historique de l’une ou l’autre des parties à l’ensemble de celui-ci.
Les dirigeants israéliens de centre-droit, qui s’inquiètent d’une situation dans laquelle une minorité juive domine une majorité palestinienne à l’ouest du Jourdain, mais qui hésitent à l’idée d’un retrait israélien de zones géographiques ayant une signification historique pour les Juifs, pourraient considérer la confédération comme une solution souhaitable pour répondre à leur dilemme.
L’option consistant à avoir une Cisjordanie accessible, où des milliers de Juifs continuent de vivre, avec une frontière poreuse permettant un accès et une circulation plus faciles, garantira qu’Israël restera un État démocratique pour les Juifs et pour tous ses citoyens ; avoir une frontière orientale convenue pour la première fois dans l’histoire d’Israël peut être très attrayant pour des dirigeants israéliens pragmatiques.
Pour des dirigeants palestiniens pragmatiques, la Confédération de Terre Sainte constitue une chance sérieuse d’obtenir le statut d’État, avec une frontière délimitée, tout en ayant une plus grande possibilité de bénéficier d’une coopération économique, de générer une plus grande croissance économique (en suivant l’exemple de certains des membres les plus pauvres de l’UE qui ont prospéré depuis leur adhésion), et de parvenir à une coopération mutuelle renforcée en matière de sécurité de manière efficace et rentable. Ce plan conduirait au retrait de l’armée israélienne de Cisjordanie et à la reconnaissance d’un État palestinien, et permettrait plus facilement aux Palestiniens d’exercer leur droit à l’auto-détermination.
Nous ne pouvons pas continuer à mettre des pansements sur une plaie qui s’infecte et espérer qu’elle se cicatrise d’elle-même.
Certains critiques prétendent qu’il n’y a pas de confédérations dans le monde aujourd’hui, soulignant que même les pays qui se disent confédérés (comme le Canada et la Suisse) sont, en fait, devenus des fédérations. Il y a deux réponses à cette affirmation. La première est que l’une entités politiques les plus importantes et les plus efficaces au monde aujourd’hui – l’UE – est à toutes fins pratiques, une confédération, même si elle n’en porte pas le nom.
La seconde est que, même si la confédération de la Terre Sainte ne dure pas ou si les arrangements sécuritaires et économiques changent, certaines de ses caractéristiques sont conçues pour perdurer : la frontière entre les deux États, le statut juridique des citoyens d’un État qui résident dans l’autre, la division de Jérusalem en deux capitales et, bien sûr, la solution au problème des réfugiés palestiniens.
Israéliens et Palestiniens doivent tout mettre en œuvre pour mettre fin à ce conflit, car nous payons tous le prix de sa poursuite. Les violences de ce printemps et de celles de mai 2021 à Jérusalem, Tel Aviv, Djénine, Gaza et ailleurs ont montré une fois de plus que sans l’horizon d’une solution pacifique, le conflit israélo-palestinien continuera à mettre en danger la fragile stabilité du Moyen-Orient.
Nous pensons que la seule façon de traiter le conflit israélo-palestinien est de s’attaquer à la cause profonde de ce conflit qui perdure en concluant un accord de paix permanent. Nous ne pouvons pas continuer à mettre des pansements sur une plaie qui s’infecte en espérant qu’elle se cicatrise d’elle-même. Une confédération s’attaquerait aux causes profondes du conflit et apporterait une solution juste et réelle. Elle nous mettra sur la voie de la sécurité et de la prospérité souhaitées pour les deux peuples.
Hiba Husseini dirige le cabinet d’avocats Husseini & Husseini, à Ramallah. elle a été conseillère légale pour les délégations palestiniennes négociant avec Israël.