8 janvier 2009
Israël devait-il se lancer dans cette guerre ? La situation dans les villes
du Sud du pays était impossible à supporter depuis que le Hamas avait mis
fin à la trêve. Je ne crois pas que la France aurait laissé les villes
alsaciennes bombardées depuis l’Allemagne ou les Etats-Unis celles du Texas
à partir du Mexique. Face à l’opinion israélienne, surtout à quelques
semaines des élections, le gouvernement israélien se devait de réagir. C’est
pour cette raison qu’un large consensus a accompagné le déclenchement de
cette guerre, d’autant plus qu’elle était soutenue tacitement par les pays
arabes pro-occidentaux, au premier plan desquels se trouve l’Egypte,
intéressée à un affaiblissement du Hamas qui est, ne l’oublions pas, l’allié
des Frères musulmans ennemis du régime de Moubarak. Ce consensus a commencé
à se fracturer depuis le déclenchement de l’opération terrestre. Un débat a
même divisé, au début du conflit, le camp de la paix, partagé entre la
nécessité de réagir aux bombardements des villes du Sud et la crainte de
voir Israël tomber dans un piège analogue à celui de 2006 au Liban, où une
relative victoire militaire s’était vite transformée en une défaite
politique et médiatique. Dans les guerres asymétriques, comme celle menée
par les Palestiniens, la guerre des images est plus importante que celle qui
se déroule sur le terrain. Et, quelle que soit la suite des événements,
Israël a d’ores et déjà perdu cette guerre. Le blocus imposé aux
journalistes étrangers pour entrer dans Gaza laisse aux seuls journalistes
locaux la possibilité de travailler sur place. C’est ainsi que se mêlent parfois aux images de la guerre actuelle, comme l’a reconnu la rédaction de France 2, des images
tournées en 2005 où, suite à un « accident de travail palestinien », une
explosion avait causé la mort de civils.
Quatre épisodes dramatiques, survenus les 5 et 6 janvier, illustrent les
conditions dans lesquelles se déroule la guerre à Gaza et ses limites,
empêchant probablement les dirigeants israéliens d’atteindre les objectifs
politiques et militaires qu’ils se s’étaient fixés.
Le premier événement, le plus marquant de cette journée, largement repris
par les médias, est la mort d’une quarantaine de civils palestiniens suite
au tir d‘un tank israélien en réponse, selon Tsahal, à des tirs de mortier
du Hamas provenant d’une école de l’ONU où s’étaient réfugiés des civils. De plus, Tsahal a reconnu aujourd’hui (vendredi)i qu’il s’agissait d’une « erreur » et qu’il n’y avait pas eu de tirs en provenance de cette école.
Le second est survenu lorsqu’un Palestinien, bardé d’une ceinture
d’explosifs, s’est jeté sur un soldat l’enfermant dans une étreinte
mortelle.
Le troisième est la mort, suite à des « tirs amis », de 4 soldats israéliens
au cours des combats.
Enfin le dernier, se terminant lui heureusement sans
victime, s’est produit quand, après avoir passé la nuit avec son unité dans
une école abandonnée, un soldat a découvert que le bâtiment était
entièrement miné et que par miracle aucun des soldats présents n’avait
actionné la charge de dynamite.
Ces quatre exemples, aux conséquences dramatiques différentes, sont la
preuve qu’il ne s’agit pas de blâmer l’armée dans le déroulement de cette
opération, mais plutôt l’échelon politique qui lui a confié cette mission.
Aux dires des commentateurs militaires israéliens eux-mêmes, tels qu’ils
sont rapportés dans les médias, l’ordre de priorité que se sont donné les
militaires est le suivant :
Protéger en priorité les soldats sur le terrain. L’expérience de la
guerre de 2006 a en effet montré que le soutien de la population israélienne
à la politique de son gouvernement est inversement proportionnelle au nombre
des victimes civiles et militaires occasionnées par le conflit. Au-delà d’un
certain seuil, l’opinion risque de basculer, empêchant l’armée d’atteindre
ses objectifs.
Limiter, voire si possible arrêter, les tirs sur les villes israéliennes
en détruisant les stocks des missiles rassemblés par le Hamas ces dernières
années, éradiquant ainsi sa force de frappe.
Et seulement en troisième position, éviter les pertes civiles
palestiniennes. Cette troisième priorité était potentiellement en
contradiction avec la première, comme l’a montré le bombardement de l’école
de l’ONU.
Je doute qu’une autre armée aurait eu un ordre de priorités différent. Le
problème réside dans l’équation impossible qui lui est posée par l’échelon
politique. Face à une organisation préparée à mener une guerre au sein de sa
propre population civile qu’elle prend volontairement en otage, il est
impossible de mener une guerre propre. Les stratèges militaires avaient
d’ailleurs intégré ces paramètres avant de déclencher ce conflit. Ils
estimaient, aux dires mêmes des commentateurs militaires, à plusieurs
centaines le nombre des victimes civiles palestiniennes potentielles. Ce qui
pose problème dans une telle statistique, ce n’est pas en soi qu’elle
existe, mais qu’elle n’ait pas constitué un frein suffisant pour repousser
la décision de se lancer dans cette opération. A combien doit se monter le
nombre des victimes civiles pour forcer les dirigeants israéliens à chercher
une autre façon de régler ce conflit ? Ne comprennent-ils pas que la colère
et la haine suscitées par les images de ces victimes civiles, dans le monde
et en particulier dans le monde musulman, sont davantage porteuses de
menaces pour la sécurité à long terme d’Israël que tous les missiles du
Hamas réunis ?
Il est urgent aujourd’hui d’arrêter au plus vite cette guerre. Ses
conséquences sont catastrophiques au regard des intérêts vitaux des
Israéliens et des Palestiniens, en quête d’une solution politique au
conflit. Même si ses infrastructures sont détruites et sa direction
politique affaiblie, aux yeux de l’opinion palestinienne, le Hamas risque de
sortir renforcé de ce conflit. Le témoignage publié dans le Figaro du 6 janvier de
Qadura Fares [[Ministre en charge des prisonniers, Qadura Fares, lui-même ancien
prisonnier, est un proche de Marwan Barghouti]], que j’avais interviewé pour Bâtisseurs de paix [[Paru en 2005 aux Editions Liana Levi]], montre bien le dilemme posé aux leaders du Fatah qui, bien que s’opposant à l’idéologie du Hamas, doivent durcir aujourd’hui leur ton pour ne pas perdre ce qui leur reste de crédit dans les territoires palestiniens occupés. Il est dans l’intérêt stratégique des Israéliens de renforcer la position de l’Autorité palestinienne et de son dirigeant Mahmoud Abbas qui est leur seul partenaire crédible.
Nous appuyons les efforts de la communauté internationale, et en particulier
ceux menés par la France, pour imposer rapidement un cessez-le-feu et pour
que celui-ci soit accompagné des mesures de contrôle destinées à empêcher la
poursuite de la contrebande d’armes à la frontière égyptienne. Un tel
cessez-le-feu ne pourra perdurer que si, via l’Egypte ou tout autre
intermédiaire, des négociations sont menées avec le Hamas, qui conduisent
dans un premier temps au retour de la trêve, puis à la fin du blocus de
Gaza. C’est avec son ennemi d’aujourd’hui, le Hamas, qu’Israël doit négocier
cette trêve afin de trouver une solution politique à un conflit dont tout le
monde s’accorde pour reconnaître qu’il n’a pas de solution militaire. Et si
le Hamas refuse alors de négocier, il en portera seul, aux yeux du monde et
de son peuple, l’entière responsabilité.
Nous devons enfin tous veiller ici à ce que conflit ne soit pas à nouveau
importé en France.