Bitterlemons, 12 février 2007
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Trad. : Gérard Eizenberg pour La Paix Maintenant
Les photos parues la semaine dernière, prises dans l’élégant et spacieux palais al-Safa de La Mecque racontent l’histoire des coulisses du sommet « historique » entre les délégations du Fatah et du Hamas.
Dans l’enthousiasme ambiant, le leader du Hamas Khaled Mesh’al a oublié un instant que le président palestinien Mahmoud Abbas (Abou Mazen) avait tenté de renverser le gouvernement Hamas à Gaza, avec la bénédiction de Washington et de Jérusalem. Les deux hommes ont roulé dans la même voiture, de villes en villes saoudiennes, puis ont inauguré par une prière les conversations de réconciliation. Des serveurs portaient des plateaux chargés de nourriture, les délégations ont dormi, puis délibéré dans le palais où leurs hôtes se sont faits discrets, sauf quand on a eu besoin d’eux. Quelques jours plus tard, les deux leaders palestiniens ont couronné leur accord par une visite très médiatisée sur le lieu saint, drapés de tuniques blanches symbolisant la pureté de leurs intentions.
Il est rare que le palais royal, qui surplombe la Ka’aba [[Ka’aba : la célèbre « pierre noire », bâtiment de forme approximativement cubique avec ses 15 mètres de haut et ses côtés de 10 et 12 mètres, situé au centre de la Grande Mosquée de La Mecque, vers lequel les musulmans se tournent pour prier. Après avoir pendant un temps dirigé la prière vers Jérusalem, dont il avait eu une vision, Mahomet aurait choisi de l’orienter vers la Ka’aba, sans doute pendant son exil à Médine. Recouverte d’un brocart noir (la kiswa) brodé de versets coraniques, c’est autour de la Ka’aba que les pèlerins effectuent les sept tours du tawaf, également appelé la circumambulation. (source : Wikipedia)]], lieu saint pour des centaines de musulmans de par le monde, laisse pénétrer des caméras de télévision, bien que les organisateurs de la conférence se soient assurés que les médias seraient tenus à bonne distance des nombreuses scènes de désaccords et de bouffées de colère. L’Arabie saoudite a tout misé sur le sommet de La Mecque, en faisant savoir dès le début que c’était la « dernière chance » pour les deux parties. Le roi Abdallah a voulu une série de résultats diplomatiques, là où précisément ses prédécesseurs en Egypte, en Jordanie, au Qatar et même dans une certaine mesure en Syrie, avaient échoué.
Pour autant que nous le sachions, au moins cinq des plus hauts dignitaires du régime saoudien se sont mobilisés pour cette entreprise : le roi Abdallah, son frère Sultan, prince de la Couronne, le ministre des affaires étrangères Saoud al-Fayçal, le prince Mukrin bin Abdul-Aziz, nouveau chef du renseignement, et l’étoile montante de la nouvelle diplomatie d’ouverture du roi, le prince Bandar, conseiller pour la sécurité nationale. Les conseillers ont recommandé d’utiliser un modèle américain de gestion de crise dans les négociations tout en l’adoptant aux conditions du Moyen-Orient. Ils ont fait se heurter de front Abou Mazen et Khaled Mesh’al, ainsi que leur important entourage respectif, jusqu’à l’obtention d’un accord sur un gouvernement d’union nationale, même rédigé à la hâte, sous la pression, matelassé de généreuses promesses financières et plein de formulations qui paraissent fragiles et peu convaincantes. Tous les experts s’accordent à dire que le véritable test sera de voir si la promesse de la fin de l’effusion de sang en Palestine sera tenue sur le terrain. Israël a été à peine mentionné lors du sommet de La Mecque.
Nous savons aujourd’hui qu’une semaine avant le début des négociations, Mesh’al avait pris soin d’envoyer à Damas une clarification claire et nette : le Hamas ne s’engageait pas à reconnaître Israël. La politique du mouvement, dictée par Mesh’al au premier ministre Haniyeh, n’allait donc pas changer radicalement. Mesh’al signalait ainsi au monarque saoudien qu’il pouvait se débrouiller sans ses millions.
L’accord de gouvernement d’union nationale était donc pré-formaté : il traiterait des questions internes palestiniennes, contiendrait de vagues formules de coopération entre Abou Mazen et un gouvernement dirigé par le Hamas, et, plus important, accorderait une plus grande importance à leurs hôtes [saoudiens] en tant que gestionnaires de crise et négociateurs. Si les deux camps palestiniens respectent leur accord, les Saoudiens feront parvenir un milliard de dollars pour des projets économiques, des aides et des reconstructions, en Cisjordanie et dans la bande de Gaza.
Pour le royaume pétrolier, la question financière est secondaire. La maison royale saoudienne est prête à dépenser encore bien plus de centaines de millions de dollars pour atteindre son grand objectif. A Washington, l’administration divise le monde musulman entre « alliés » (Arabie saoudite, Egypte, Jordanie, Maroc et Fatah) et « méchants » (Iran, Syrie). Mais les Saoudiens divisent la même carte selon des critères strictement communautaires : les musulmans sunnites sont les alliés de la famille royale wahabbite, contre les chiites d’Iran et du Hezbollah qui veulent abattre le gouvernement libanais à majorité sunnite pour y établir l’empire du « bon Islam ». Cette confrontation, autrefois refoulée, est devenue beaucoup plus aiguë depuis la chute de Saddam Hussein et la montée en puissance des chiites d’Irak.
L’Arabie saoudite perçoit deux types de menaces de la part de l’Iran : l’une nucléaire, à long terme, et l’autre, beaucoup plus aiguë, omniprésente et avancée : la formation d’un « croissant chiite » depuis Téhéran jusqu’au Hezbollah du Liban en passant par ses alliés chiites irakiens. L’objectif ultime des Iraniens est de mettre à feu l’Egypte, le plus grand des pays arabes, et d’atteindre le Saint des Saints, le royaume où l’islam est né. Qui contrôle la Ka’aba contrôle le monde musulman. Cela explique pourquoi la sécurité saoudienne et ses services de renseignement mènent une guerre totale contre les cellules fondamentalistes implantées avec le financement et sous l’inspiration de Téhéran.
Vis-à-vis de l’étranger, Riyad aurait considérablement renforcé ses relations avec Téhéran : Ali Lanjani, conseiller iranien pour la sécurité, et son homologue saoudien le prince Bandar se sont rendu mutuellement visite ces dernières semaines. Mais l’ambassadeur saoudien à Washington, l’ancien chef du renseignement Turki al-Fayçal (frère du ministre des affaires étrangères), a été rappelé sans ménagement à Ryad après avoir appelé au dialogue avec les ayatollahs. Les Saoudiens sont également en train d’intensifier leur engagement discret en Irak et de renforcer le gouvernement libanais de Fouad Siniora contre l’intervention brutale de l’Iran, pour laquelle le président syrien Bachar Assad se montre pour le moins indulgent.
Malgré ses défauts, l’accord de La Mecque est aujourd’hui considéré par Washington et par le camp des « bons » dans le monde arabe comme pouvant mener à un premier pas dans les efforts de Riyad de renforcer ses positions dans le monde arabe. Fin mars, les 22 leaders arabes se réuniront lors d’un sommet destiné à relancer l’initiative de paix du roi Abdallah. L’équation diplomatique est simple : le monde arabe, qui a déjà approuvé ce plan à Beyrouth en 2002, offre à Israël une paix totale et une normalisation des relations (qui seront testées « sur le terrain », comme c’est le cas pour l’accord de La Mecque) en échange d’un engagement de la part d’Israël de se retirer sur les frontières de 1967[Sur l’initiative saoudienne, voir par exemple : « A propos de l’initiative de paix saoudienne » : [ et, plus récent : « Les Saoudiens poussent Bush à adopter leur plan de paix »
[->https://www.lapaixmaintenant.org/article1506] ]]
Jusqu’à maintenant, les premiers ministres israéliens ont évité de réagir directement à cette initiative. Mais les Saoudiens n’ont pas l’intention de relâcher la pression. Ils ont le soutien des Etats-Unis, qui a intérêt à voir aboutir un processus de paix. Et la lutte continue contre l’OPA iranienne sur le leadership du monde musulman.