Auteurs : Sivan Hirsch-Hoeffler, Gilad Hirschberger, Maoz Rosenthal et Shaul Arieli, membres du groupe de recherche « Tamrour » traitant du conflit israélo-palestinien, Haaretz, 5 mars 2025

https://www.haaretz.co.il/opinions/2025-03-05/ty-article-opinion/.premium/00000195-6612-da40-a5fd-ee9b7ca10000?utm_source=App_Share&u

Traduction : Version française par DORY (groupe WhatsApp « Je suis Israël)

Photo : Olivier Fitoussi : Manifestation de la droite à Jérusalem sous les slogan: « Le peuple israélien revient à la maison. Conquérir, expulser, s’installer à Gaza. » « Seul le transfert apportera la paix« .
Surprenant, un tiers de ceux qui se qualifient de droite ont une préférence pour un retrait de Cisjordanie malgré le prix éventuel s’agissant du terrorisme.

Mis en ligne le 18 mars 2025


Le changement d’administration aux États-Unis donne un nouveau souffle au vieux fantasme de déplacer les Palestiniens vers un autre lieu. Mais les fantasmes ne se trouvent pas seulement à droite. Aux marges de la gauche radicale israélienne, on trouve une dévotion religieuse similaire : si nous demandons simplement pardon gentiment, nous assisterons à une transformation miraculeuse de la société palestinienne du militarisme au pacifisme. Où cela laisse-t-il la majorité de la population israélienne ? La majorité comprend que les Palestiniens ne disparaîtront pas, qu’il est impossible de continuer à les contrôler sans mettre en danger le caractère juif et démocratique d’Israël, et qu’il est également impossible de construire une paix utopique après les crimes de guerre du 7 octobre.

Les enquêtes que nous avons menées avec le groupe de recherche « Tamrour » montrent que l’opinion juive en Israël comprend le dilemme dans lequel se trouve le pays : malgré le traumatisme du 7 octobre et la crise profonde dans laquelle il se trouve, nombre de ses citoyens considèrent encore la séparation d’avec les Palestiniens – par accord ou unilatéralement – comme une meilleure solution que l’annexion. Environ 50 % de l’opinion publique est favorable à une séparation unilatérale ou à un accord, et environ 25 % est favorable à une annexion unilatérale (en décembre 2024).

Comment expliquer le soutien à la sécession unilatérale ou bilatérale dans une période sécuritaire aussi complexe ? La réponse réside dans le piège dans lequel se trouve Israël, entre la menace qu’on peut attendre d’un contrôle continu des territoires et la menace qui pourrait se développer à la suite d’un retrait de ces territoires. La continuation du contrôle et l’annexion formelle ou rampante des territoires s’accompagnent d’un lourd tribut : environ trois millions de Palestiniens, qui menacent le caractère juif de l’État s’ils obtiennent la citoyenneté, et son caractère démocratique s’ils ne l’obtiennent pas. Le retrait des territoires pourrait également avoir un prix en termes de terrorisme contre l’État et ses résidents, une menace qui deviendra particulièrement tangible après le 7 octobre.

Ce dilemme, qui s’est aggravé pendant la guerre, se reflète dans plusieurs tendances à long terme. Premièrement, la majorité de la population juive en Israël ne soutient pas la solution à deux États, surtout après les événements du 7 octobre. Depuis 2018, on observe un déclin continu du soutien de l’opinion publique juive à une solution à deux États (de 47 % en 2018 à un niveau sans précédent de 25 % en décembre 2024). Cela ne signifie pas pour autant que la majorité de l’opinion publique soit favorable au maintien du contrôle des territoires. 25 % supplémentaires de l’opinion publique soutiennent un désengagement israélien proactif, défini comme l’évacuation des colonies à l’est de la barrière de sécurité et le déploiement continu de l’armée israélienne dans toute la zone, jusqu’à ce qu’un accord puisse être trouvé.

Cela signifie que la moitié de la population juive d’Israël soutient les mesures visant à se séparer des territoires de Cisjordanie, que ce soit par un accord permanent immédiat ou par des mesures mesurées en vue d’un accord futur. Si l’on ajoute à ce chiffre les citoyens arabes d’Israël, parmi lesquels il y a une nette majorité de plus de 60% qui soutiennent un accord permanent et environ 20% qui soutiennent une séparation volontaire, la majorité des citoyens du pays, tant juifs qu’arabes, préfèrent un avenir dans lequel les territoires de Cisjordanie ne feraient pas partie de l’État d’Israël.

La moitié de la population juive soutient la séparation d’avec la Cisjordanie, et si l’on y ajoute les citoyens arabes israéliens, la majorité est favorable à l’accord. Les sceptiques diront que les questions posées sur une paix tant attendue ou sur une sorte de solution politique, sans présentation des risques et des coûts, créent la fausse impression d’un accord public écrasant, car beaucoup répondront par l’affirmative à des questions rhétoriques telles que « Qui est en faveur de l’élimination du terrorisme ? » Pour répondre à cette critique, nous avons posé deux questions supplémentaires dans lesquelles nous avons présenté le prix le plus élevé (qui n’est pas forcément certain) pour chaque scénario et une question de choix entre les options.

Lorsqu’on leur a demandé s’ils soutenaient un accord permanent avec les Palestiniens, et si le prix à payer serait une augmentation du terrorisme, dans six sondages menés entre juin 2023 (avant le 7 octobre) et décembre 2024, seulement 10 % environ du public juif a exprimé son soutien. Mais lorsqu’on leur a demandé s’ils soutenaient le maintien du contrôle des territoires ou l’annexion, si le prix à payer serait la perte de l’identité juive et démocratique du pays, même dans ce cas, seulement un peu plus de 10 % l’ont soutenu.

Il est donc clair que le prix de toute politique la rend moins attractive, mais finalement, une décision doit être prise : rester dans les territoires ou se retirer ? Et face à ces deux options, l’opinion juive est à nouveau divisée en deux : une moitié préfère un accord permanent, même si le prix pourrait être le terrorisme, et l’autre moitié préfère rester dans les territoires, même au prix de changer l’identité juive de l’État. Ce dilemme est devenu plus aigu le 7 octobre : dans un sondage réalisé plus tôt, la majorité de l’opinion juive (54 %) était prête à payer le prix sécuritaire d’un retrait des territoires afin de préserver l’identité juive démocratique.

Comme on pouvait s’y attendre, dans l’opinion publique qui se définit comme de gauche, plus de 70 % ont préféré le retrait des territoires à l’annexion, lorsqu’on leur a présenté le prix de chaque alternative. Mais étonnamment, la plupart de ceux qui se définissent comme étant au centre politique (60%) et un tiers de ceux qui se définissent comme de droite ont préféré le retrait de Cisjordanie malgré le coût possible des missiles et du terrorisme.

Et si l’on isole l’extrême droite de la droite (ceux qui ont répondu 1 sur une échelle de 1 à 7 concernant la position politique), même parmi eux, 35 % sont favorables au retrait de Cisjordanie, même à la lumière des conséquences possibles d’une telle démarche. Il s’agit d’une découverte importante, qui indique que la logique de la séparation d’avec les Palestiniens parle également à certains militants de droite lorsqu’ils doivent faire face aux conséquences à long terme du contrôle continu des territoires.

Quant au soutien à l’annexion, parmi les centristes, le soutien à l’annexion n’est que de 10 %, et parmi la droite et l’extrême droite, le soutien à l’annexion est respectivement de 40 % et 50 %. L’opinion juive en Israël et même l’opinion de droite craignent le terrorisme, mais ils craignent tout autant le prix à payer pour perdre l’identité juive et démocratique du pays.

Et c’est dans ces jours d’incertitude et d’anxiété face à l’avenir que se révèle la sobriété du public. Le soutien à la séparation ne découle pas de « l’amour d’Ismaël », mais d’une reconnaissance sobre : « Il n’y a pas d’autre choix ». Peut-être qu’aujourd’hui, alors que les illusions sont en train de voler en éclats, le temps est venu de prendre une décision réfléchie, d’ouvrir un débat public approfondi sur l’avenir que nous voulons ici. Un avenir qui assurera notre sécurité, mais préservera également notre identité. Selon les paroles d’avertissement de Josaphat Harkabi il y a 40 ans : « C’est le moment de prendre des décisions fatidiques. »