« 74 ans se sont écoulés depuis la résolution de l’Onu sur la partition. Aujourd’hui encore, seule une solution à deux Etats reste possible au vu des conditions actuelles, permettant ainsi aux deux peuples de prendre leur place comme nations indépendantes. «
Traduction : Marina Ville pour LPM
Auteur : Shaul Arieli, Ha’aretz, 25 Novembre 2021
https://www.haaretz.co.il/opinions/.premium-1.10415696
Photo : Marquage de la ligne verte près de Maccabim. Les Premiers ministres israéliens précédents ont compris la nécessité d’une partition et de la séparation. © Photo: Dudu Bachar
Mis en ligne le 12 décembre 2021
Dans la résolution de la partition de l’ONU (181) du 29 novembre 1947, il est écrit; “Il y a aujourd’hui en Palestine environ 650 000 Juifs et environ 1,2 million d’Arabes, et ces deux groupes diffèrent par leurs modes de vie et leurs intérêts politiques”. Et du fait que “les revendications sur la Palestine, celles des Arabes et celles des Juifs, sont toutes les deux valables et qu’on ne peut pas satisfaire les deux à la fois”, la conclusion est que “de toutes les propositions qui ont été avancées, la partition est la plus réalisable”. Qu’est-ce qui a conduit l’ONU à cette conclusion? Et est-ce que la situation d’aujourd’hui en 2021 amène à la même conclusion – à savoir que la partition est nécessaire – ou peut-être y a-t-il aujourd’hui, pour résoudre le conflit, d’autres solutions plus pertinentes et pas forcément nouvelles, comme une confédération ou un Etat unique?
La partition n’a pas été le premier choix des parties. Elles ont commencé le combat pour la terre dans un esprit de jeu à somme nulle. Benny Morris, dans son livre “Un Etat, deux Etats: Israël et la Palestine” mentionne des affirmations énoncées par les Arabes du style “nous jetterons les Juifs à la mer ou ils nous renverrons dans le désert”. Et comme l’a déclaré David Ben Gurion en 1919: “Nous voulons que la Terre d’Israël soit à nous en tant que peuple. Les Arabes veulent que cette terre soit à eux en tant que peuple”. (Extrait de son livre “La terre d’Israël”).
Pour réaliser cet objectif – l’établissement d’un Etat avec une identité juive sur toute la terre d’Israël – les dirigeants sioniste ont cherché à obtenir une majorité juive dans le pays, comme l’a dit Zeev Jabotinski dans un discours au congrès sioniste de 1931 : “la terre d’Israël sera la terre des Juifs dès le moment où il y aura dessus une majorité juive”. En même temps, les dirigeants étaient conscients de la réalité démographique en Palestine où les Arabes formaient 90% de la population et ils ont rapidement évoqué des solutions de compromis, temporaire ou permanent.
Yehudah Magnes, du mouvement “Brit Shalom” (“l’alliance de la paix”), a souhaité en 1925 “ouvrir la voie à une entente entre Juifs et Arabes pour créer une vie commune sur la terre d’Israël sur la base de l’égalité complète des droits politiques des deux peuples”. Jabotinski écrit en 1926: “La terre d’Israël devrait être bâtie, du point de vue de la structure juridique, comme un “Etat binational””. Ben Gurion déclare dans un discours de 1924 à Ein Hador “Bien sûr que la population arabe en terre d’Israël a le droit à l’auto-détermination, à se gouverner elle-même… Et seule une alliance des travailleurs hébreux et arabes mettra en place et maintiendra l’alliance des peuples hébreu et arabe sur la terre d’Israël”.
L’alternative de la partition a été avancée de manière officielle par les Britanniques en 1937. La commission gouvernementale sous la direction de Lord Peel fournit, le 7 janvier 1937, l’explication suivante: “Un conflit qu’on ne peut pas éteindre a éclaté entre les deux groupes ethniques… il n’y a rien de commun entre eux. Ils sont différents par la religion et par la langue. Leur vie, leur culture et leurs sociétés. Leurs manières de penser et leur style de vie ne sont pas moins éloignés les uns des autres que leurs ambitions nationales.” Et c’est pourquoi la commission a recommandé la partition de la Palestine en un Etat juif petit et un territoire arabe qui sera annexé à la Transjordanie.
Au bout de dix ans, en février 1947, Ben Gurion, qui soutenait l’idée de la partition, a présenté au ministre des Affaires étrangères britannique, Ernest Bevin, sa position sur la manière de régler le conflit: “ L’unique arrangement immédiat possible… est la création de deux Etats, l’un juif et l’autre arabe”. La commission de partition (UNSCOP) n’a pas jugé nécessaire en 1947 de changer l’estimation de la commission Peel sur la faisabilité d’une existence politique commune et seule une minorité parmi ses membres ont recommandé un Etat binational fédéral. La majorité des membres sont restés attachés à la partition comme solution la plus faisable.
Le grand défi de traduire la partition politique en frontières concrètes a échu à Paul Mohan, le vice-représentant de la Suède à l’UNSCOP. Il a souhaité “unir deux idées inconciliables ». La première est la crainte de “l’hostilité judéo-arabe”, qui a mené à la séparation entre les deux populations. Mais le manque de continuité territoriale pour la population arabe a donné naissance à une division problématique de chacun des Etats en trois secteurs réunis entre eux par deux points. Cette division qui laissait dans l’Etat juif une importante minorité arabe – 45% – et l’impossibilité de diviser l’infrastructure et les ressources du pays, ont donné naissance à la seconde idée :”une collaboration judéo-arabe” qui a amené la création du concept d’ “union générale” dans la résolution. Ce qui signifiait l’exploitation, la gestion et le développement en commun par les deux Etats dans divers domaines économiques: la douane, la monnaie, les infrastructures, les ports et aéroports, le développement économique, l’eau etc. De même, chaque personne de la minorité d’un des Etats aurait la possibilité d’avoir la citoyenneté de l’autre Etat. La suite de l’histoire est connue: l’hostilité a défait l’espoir de coopération.
Et quelle est la réalité aujourd’hui? D’abord le déploiement de la population et l’équilibre démographique aujourd’hui sont complètement différents de ce qu’ils étaient en 1947. Depuis 1949 Israël bénéficie d’une continuité territoriale de Metulla à Eilat et d’une majorité juive décisive et stable de 80%. Sur le territoire de l’Etat arabe – la Palestine- la situation est également différente aujourd’hui. Dans la bande de Gaza ne vivent plus de Juifs depuis 2005; et en Cisjordanie (Jérusalem-Est inclus), certes vivent 670 000 Juifs, mais 80% d’entre eux habitent près de la ligne verte, et on pourra les annexer à Israël avec des échanges de 4% de territoire. Devant cela, la solution de la confédération – qui permet de résider, d’habiter et de circuler dans tout le territoire – modifierait la répartition de la population et rendrait routinières dans la vie de la confédération les frictions violentes du style des événements de mai 2021.
De plus, l’équilibre démographique changerait. Aujourd’hui les Juifs représentent 48% de la population de la terre d’Israël/Palestine mandataire et d’après les prévisions du démographe Sergio della Pergola, cette proportion descendrait à un tiers en 2050. Avec le retour des réfugiés, rendu obligé par la solution de la confédération, la proportion de Juifs chuterait de manière dramatique. Dans une telle réalité, la confédération se transformerait en peu de temps en un Etat unique, arabe, avec une minorité juive en son sein.
Deuxièmement, les écarts économiques entre les deux côtés sont immenses, à la différence de l’égalité qui existait en 1947. D’après l’indice socio-économique du Bureau central des statistiques*, se trouvent aujourd’hui dans le tiers inférieur 16% des citoyens juifs et 89% des citoyens arabes. En face de cela, toute la population arabe à Gaza et en Cisjordanie dans l’”Etat arabe”qui sera créé, appartiendra au groupe 1. Israël appartient au club prestigieux des 20 économies de tête, avec un PIB par habitant de 43 700 dollars. Le PIB par habitant dans l’Autorité Palestinienne est 4928 dollars (en 2020). On retrouve ces écarts dans tous les domaines: la consommation individuelle, le taux de chômage, l’exportation, le salaire minimum etc. Enfin, dans l’”Etat juif” se trouvent tous les aéroports, les centrales électriques, les usines de désalinisation, l’”aqueduc principal” (une artère qui va du Nord au Sud, comportant les principales stations hydrauliques et qui permet entre autres, d’acheminer l’eau du Nord plus pluvieux vers le Sud plus sec, note de la traductrice), les chemins de fer, les autoroutes, les centrales nucléaires, les grand centres industriels et les centres de commerce international.
Les apôtres des idées de confédération pensent-ils vraiment que la société arabe, qui compte des millions de pauvres qui bénéficieraient de la liberté de mouvement et de résidence dans tout le pays, pourra vivre en paix et sans friction avec la société juive qui est des dizaines de fois plus riche? Ne comprennent-ils pas que les résidents de l’”Etat arabe” refuseront de servir de “fendeurs de bois et porteurs d’eau”** pour l’“Etat juif”? En d’autres termes, la réalité d’aujourd’hui de polarisation économique d’après l’appartenance ethnique, ne permet pas une confédération.
Troisièmement, les récits nationaux opposés, chacun d’eux étant d’avis que la terre est “entièrement à moi” , ne changeront pas. L’OLP, même en comprenant la nécessité de faire un compromis et de se contenter de 22% de la terre (la Cisjordanie et la bande de Gaza) d’après la résolution de l’ONU a souligné que cela ne constituait pas un changement dans leur récit national. En introduction à la déclaration de l’Etat de Palestine en 1988, le Conseil National Palestinien de l’OLP a annoncé son accord à la partition du pays en deux Etats “en raison de l’injustice historique que le peuple arabe palestinien a subie”. Au sein du Hamas, bien que l’on puisse voir des signes de compromis par rapport à la partition, le sujet des réfugiés n’a pas été décidé.
En face, parmi les Israéliens, l’aspiration au grand Israël ne s’est pas atténuée. En septembre 2016, Naftali Bennett a déclaré “ le rêve est que la Judée-Samarie fasse partie de la terre d’Israël souveraine.” En avril 2019, l’ancien Premier ministre Benyamin Netanyahu a déclaré : “Nous imposerons progressivement la souveraineté israélienne sur des parties de la Judée-Samarie”.
Tant que des deux côtés on continue à nourrir des rêves nationaux, il semble que la solution de la confédération, qui n’assure pas un contrôle exclusif sur les frontières, sur l’immigration et sur la résidence, n’est pas réalisable et menacerait la vision sioniste d’un Etat démocratique à caractère juif. Le grand défi donc, n’est pas dans la dimension de l’espace physique – car la solution à deux Etats sur la base des paramètres qui ont guidé les négociations à Annapolis en 2007 est toujours possible – mais dans la dimension politique. Les conditions pour répondre à ce défi sont la disposition pour le gouvernement israélien d’adopter à nouveau la solution à deux Etats, et la capacité des Palestiniens de fournir une adresse agréée et légitime pour la négociation et pour la signature d’un accord définitif.
Les Premiers ministres israéliens précédents ont compris la nécessité d’une partition et de la séparation. Ainsi déclarait Itshak Rabin en 1995: “ Je vois dans la question de la séparation un sujet central”. Ehud Barak dit en 2000 qu’il “voyait dans la séparation une nécessité nationale supérieure en termes de démographie, d’identité et de démocratie israélienne”. Ariel Sharon dit en 2003: “J’ai cru et espéré que nous pourrions garder pour toujours [les territoires]… mais la réalité changeante dans le pays, dans la région et dans le monde nous a obligés à une évaluation différente et à un changement de positions”. Et Ehud Olmert dit en 2007 : “Soit deux Etats, soit Israël est fini”. Il semble que la perspicacité qui se manifeste dans la décision de partition, est encore valable 74 ans après. Dans les mots de la résolution: “seulement au moyen d’une partition ces deux aspirations nationales contradictoires pourront s’exprimer réellement et permettre aux deux peuples de prendre leur place comme nations indépendantes”.
Notes
*indice attribué aux localités qui va de 1 à 10, 1 pour le plus bas et 10 pour le plus haut (note de la traductrice)
** expression biblique qui est passée en hébreu moderne et désigne les emplois vraiment subalternes (note de la traductrice)