Auteur : Shaul Ariel, Haaretz, 6 décembre 2024
Traduction : Dory, revue par Y. M.
Photo : Une vue de l’implantation israélienne d’Eli en Cisjordanie, octobre 2024. ©: Sharon Aronowicz/AFP
La semaine dernière, des dizaines d’activistes de droite, de personnalités publiques et de chefs de gouvernement locaux se sont réunis à l’hôtel Ramada à Jérusalem pour une conférence inhabituelle organisée par le Conseil des colonies de Yesha et présidée par le député du Likoud Avichay Buaron. La conférence a été motivée par le désir de préparer des plans pratiques pour les années à venir avant l’investiture prochaine de l’administration Trump. L’objectif déclaré était « de créer les conditions pour faire de la Judée, de la Samarie et de la vallée du Jourdain une partie intégrante de l’État d’Israël ».
Les plans montrent que les tendances actuelles de l’entreprise de colonisation de Cisjordanie ne fournissent pas de base pour changer la réalité dans ce domaine. Comme l’a clairement expliqué Buaron, « nous avons ici une fenêtre d’opportunité, et nous pouvons l’utiliser de manière intelligente ou stupide. Si nous sommes stupides, nous aurons 700 000 résidents et autant de logements supplémentaires que nécessaire dans quatre ans. » (En fait, selon les tendances actuelles, dans quatre ans, le nombre d’Israéliens en Cisjordanie ne dépassera pas 570 000.)
Sur la base des données du groupe Tamrur-Politography, je m’efforcerai ici d’examiner en détail la faisabilité et les ramifications du plan grandiose révélé lors de la conférence. Les principaux points du plan sont : la création de quatre nouvelles villes en Cisjordanie, dont une pour les ultra-orthodoxes et une pour les Druzes; la transformation des colonies stratégiques en villes; l’extension de la zone de juridiction des conseils régionaux aux zones situées entre les colonies; l’imposition de la souveraineté israélienne sur des zones non construites et la création d’autorités municipales arabes pour remplacer l’Autorité palestinienne (comme l’a signalé Hanan Greenwood en Israel Hayom).
Concernant le premier point, quatre nouvelles villes : on peut supposer sans risque que des Haredim peuvent être trouvés pour une nouvelle ville en Cisjordanie, malgré le fait que les deux villes Haredi existantes dans la région – Betar Ilit et Modi’in Ilit – ont enregistré des soldes migratoires négatifs au cours des cinq dernières années. Le facteur le plus important sera l’emplacement de la ville, compte tenu de l’échec de l’expérience de la colonie d’Immanuel. Immanuel a été établie il y a 40 ans au cœur de la Samarie, mais ne compte actuellement que 5 500 habitants. À moins que la nouvelle ville Haredi ne soit établie sur la Ligne verte et à l’ouest de la barrière de séparation, ses chances de succès seront minimes. En ce qui concerne les deux autres villes prévues, il est important de garder à l’esprit que les Juifs laïcs quittent la Cisjordanie : ils représentaient 36 % de tous les colons en 2010, mais ce chiffre est tombé depuis à 26 %. Quant à une ville druze, quelle est la probabilité qu’elle se crée à moins qu’Israël ne modifie la loi sur l’État-nation ?!
Le deuxième objectif propose de transformer Ma’aleh Efraim, Efrat, Eli, Nahliel et Kiryat Arba en villes. Ma’aleh Efraim a été créée il y a près de 50 ans et compte actuellement une population de seulement 1 692 habitants. La colonie était censée fournir des services aux colons dans la vallée du Jourdain, mais cette population ne dépasse pas plus de 7 500 personnes. Ma’aleh Efraim n’a ni industrie, ni agriculture ni tourisme. Bien qu’elle soit classée dans le groupe socio-économique relativement élevé 6, le gouvernement couvre 75 % de son budget actuel.
La population d’Efrat est passée à 12 392, bien qu’au cours des trois dernières années, elle ait enregistré un solde migratoire négatif. Sa zone bâtie n’est que de 350 acres. Efrat est relativement prospère et se classe dans le groupe socio-économique 7, mais là encore le gouvernement couvre 70 % de son budget actuel. Elle est très proche de Jérusalem et de Betar Illit et il est donc peu probable qu’elle attire des résidents Haredi ou laïcs, malgré sa bonne connexion avec le réseau routier national (route 60). Eli est située au cœur de la Samarie et fait partie du Conseil régional de Mateh Binyamin. La colonie est éloignée de Jérusalem et de Tel-Aviv; elle compte moins de 5 000 habitants et sa superficie construite est inférieure à celle de la vieille ville de Jérusalem. La colonie s’appuie sur sa proximité avec la route 60, mais n’a pas d’industrie.
Nahliel, dans l’ouest de Binyamin, est une petite colonie située à une distance considérable des principales artères de circulation (telles que la route 443). Elle compte 744 habitants sur une superficie de moins de 20 hectares. Kiryat Arba a une population de 7 600 habitants et connaît un solde migratoire négatif depuis près d’une décennie. Elle est extrêmement faible sur le plan socio-économique (groupe 2) et se situe au cœur d’une population palestinienne de près de 850 000 habitants.
Le troisième objectif est d’imposer la souveraineté israélienne à toute la zone C. Cela multiplierait par 10 la superficie des autorités locales juives. Par exemple, le Conseil régional de Samarie passerait de 72 km² à 680 km². Le projet de loi garantirait le contrôle israélien de tous les sites archéologiques (environ 2 000 dans la zone C) et de dizaines de sites touristiques dans les zones ouvertes. Sur la base de l’expérience acquise à Jérusalem-Est, imposer la souveraineté et établir des autorités municipales pour les 400 000 Palestiniens qui vivent dans la zone C nécessiterait un budget actuel de 15 milliards de shekels (4,2 milliards de dollars) par an. Des dizaines de milliards supplémentaires seront nécessaires pour les infrastructures et les institutions imposées par la loi israélienne.
Après avoir annexé la zone C, la frontière israélienne avec les territoires palestiniens passera de 311 km (longueur de la Ligne verte) à 1 800 km. – soit trois fois la longueur totale de toutes les autres frontières israéliennes. Si l’on décide d’établir une barrière de séparation le long de ce tracé, le coût supplémentaire sera de 60 milliards de shekels. Il sera également nécessaire de mobiliser des forces de réserve de manière permanente pour protéger la nouvelle frontière. En outre, plus de la moitié des terres de la zone C appartiennent à des Palestiniens qui vivent dans les zones A et B. Comment les urbanistes permettront-ils à ces propriétaires d’accéder à leurs terres – ou l’idée est-elle simplement de les exproprier ?
Le projet de transformer la vallée du Jourdain en centre d’énergie solaire israélien devra répondre à la nécessité de conduire l’électricité depuis le point le plus bas du monde occidental à travers la chaîne de montagnes centrale, qui atteint des altitudes de 800 mètres au-dessus du niveau de la mer.
La conclusion est évidente : le projet est totalement irréalisable, et Israël ne sera pas en mesure de faire face à ses ramifications financières, sécuritaires et diplomatiques. En 1982, Yehoshafat Harkabi expliquait succinctement la différence entre une vision et un fantasme : « Le risque d’une catastrophe nationale est inhérent à notre existence en tant que pays de vision, car une vision souhaite changer la réalité. Cependant, l’ampleur de cette vision, qui détermine la réussite de sa réalisation, dépend de son lien avec la réalité, de sorte que même si la vision souhaite prendre le pas sur la réalité, elle est toujours ancrée dans cette réalité. C’est la différence entre une vision et « un fantasme flottant sur une illusion ». »
Dr. Shaul Arieli est l’un des chefs du groupe de recherche Tamrur-Politography.