Même après le 7 octobre, les dirigeants politiques continuent d’ignorer le conflit.


Auteurs : Shaul Arieli et Maoz Rosenthal, Ha’aretz, 10 0ctobre 2024.

Traduction de l’hébreu : Dory, groupe WhatsApp « Je suis Israël »

https://www.haaretz.co.il/opinions/2024-10-10/ty-article-opinion/.premium/00000192-768a-d2b4-afbe-fe9b72f10000

Illustration : Marche israélo-palestinienne pour la fin de la guerre et de l’occupation; après le 7 octobre, il y a eu une augmentation passagère de la prise en compte du conflit, mais très rapidement l’évitement est redevenu semblable à ce qu’il était avant la guerre.

Photo : Yahel Gazit

Mis en ligne le 16 octobre 2024


On aurait pu croire que l’attaque du 7 octobre aurait ébranlé le mur de déni que le système politique en Israël a construit au sujet du conflit israélo-palestinien en général et sur sa solution en particulier. D’une part, le conflit a ressurgi, avec toute sa force, au centre du dialogue israélien, régional et mondial, après avoir été marginalisé pendant des années, et nous espérions que cela forcerait les politiciens à contempler la réalité douloureuse et à déterminer, en parallèle avec l’activité liée à la guerre à Gaza, les buts de la politique générale à long terme, en chemin vers sa résolution.

Nous avons été trompés. Les derniers mois, le Premier ministre Benjamin Netanyahou et son gouvernement – ainsi que des responsables de l’opposition, s’occupent principalement de sujets liés à la survie de la coalition, comme le remplacement du ministre de la Défense Yoav Galant par Guidon Saar, en plein milieu d’une guerre qui se déroule sur plusieurs fronts.

Non seulement le niveau de changement de l’engagement avec la résolution du conflit n’a pas changé, mais la préoccupation causée par la guerre actuelle a augmenté pendant un moment pour s’atténuer rapidement. Il y a une contradiction entre la guerre et les décisions fatidiques qu’elle force les dirigeants du pays à prendre, en ce qui concerne ses objectifs politiques – parmi celles-ci la possibilité de transformer les hostilités en un tremplin pour la résolution du conflit et la tâche intéressée de préserver la coalition. Cette contradiction soulève des questions sur le niveau d’engagement de la direction politique pour parvenir aux buts du conflit, et aussi sur les objectifs politiques de la guerre de son point de vue.

Dans le groupe de recherches « Tamrour », nous étudions le niveau d’intérêt que consacre la direction politique en Israël au conflit israélo-palestinien, en particulier en ce qui concerne la réalisation des buts à long terme: l’annexion partielle ou totale de territoires de la Cisjordanie et peut être aussi de la bande de Gaza, ou la résolution du conflit dans le cadre de la solution à deux États. Dans la recherche que nous avons menée, l’examen de l’agenda de la direction politique en Israël se rapporte à trois domaines : l’agenda public ainsi qu’il s’exprime dans les tweets des têtes de partis politiques sur le réseau X anciennement tweeter; l’agenda parlementaire, relativement approfondi, que reflètent les commissions de la Knesset et l’agenda gouvernemental ainsi qu’on peut le voir dans les décisions du gouvernement qui définissent les directions de l’action de l’exécutif.

Le dialogue des chefs du système politique en Israël continue d’ignorer le conflit, ses conséquences et la nécessité de le résoudre, exactement comme avant le 7 octobre. Avant la guerre, nous avons trouvé que peu de décisions ont été prises à ce sujet par les gouvernements 35, 36 et 37 (dans les années 2020-2023), et que peu de débats ont eu lieu dans les commissions de la Knesset 23, 24 et 25, et qu’ils ne concernaient que des décisions à propos de l’annexion.

La coalition est à nouveau enlisée dans sa survie, et le conflit israélo-palestinien, y compris la définition de la politique occupe une place à côté de l’ordre du jour. La conversation des têtes du système politique sur les réseaux sociaux reflète une image semblable. En analysant 70000 tweets sur X des dirigeants de tous les partis politiques entre décembre 2018 et mai 2023, on a remarqué qu’on a donné peu d’attention au problème israélo-palestinien. Les tweeters les plus importants sur ce sujet ont été les partis de la droite religieuse et ceux de la gauche laïque, qui tweetaient en particulier leur soutien ou leur opposition à la possibilité d’une annexion. Les dirigeants des partis du centre ont choisi de ne pas traiter ce sujet. La question palestinienne a été rejetée dans un coin et est devenue accessoire dans le débat public israélien.

A la suite du 7 octobre, nous avons détecté une augmentation temporaire de l’intérêt au conflit à court terme, mais rapidement l’indifférence est revenue à son niveau d’avant la guerre. Au troisième trimestre de 2023, seulement cinq tweets concernaient l’annexion et un le désengagement. Au deuxième trimestre de 2024, les dirigeants de partis ont publié 2 tweets sur le désengagement (Ben Gvir), cinq sur l’annexion (un de Bezalel Smotrich, deux de Yair Golan, et deux de Ahmed Tibi), un tweet (d’Avigdor Lieberman) qui traitait de loin de la solution des deux États, et pas un seul tweet sur le maintien du status quo dans le conflit. Par contre, en ce qui concernait la bande de Gaza et les évènements sécuritaires, il y a eu une augmentation très nette : 59 tweets au troisième trimestre de 2023, dont 15 tendant vers la droite (« la fin du Hamas ») et un à gauche. Au quatrième trimestre il y a eu 219 tweets de ce genre, dont 26 s’identifiant avec la droite et 8 avec la gauche.

Au premier trimestre de 2024, il y a eu sur les réseaux 184 tweets qui se référaient des sujets de sécurité dont 30 à tendance de droite et 24 de gauche. C’est-à-dire que la préoccupation avec le conflit a été très limitée, et l’accent a été mis principalement sur la situation sécuritaire et actuelle, souvent au travers du filtre idéologique de celui ou de celle qui tweetait (218 références à Gaza, le Hamas, le Hizbollah ou l’Iran). Les discussions animées sur l’annexion ont continué dans les commissions de la 25eme Knesset (avec des centaines de références) alors que d’autres directions de politique – par exemple le désengagement –  apparaît beaucoup moins fréquemment. En parallèle, alors que la guerre se prolongeait, le nombre de références aux solutions à long terme a diminué de façon dramatique et est revenu à la fréquence qui la caractérisait avant la guerre.

L’intérêt sur Gaza dans les commissions de la Knesset est passé par un processus semblable : le nombre de références a rapidement augmenté de 150 au troisième trimestre de 2023 à 1332 au quatrième. Au premier trimestre de 2024, leur nombre a atteint 1797, mais il s’est effondré à 13 lors du deuxième trimestre de cette année. C’est-à-dire qu’au cœur du débat parlementaire qui est supposé approfondir les sujets israéliens à l’ordre du jour, l’attention a été détournée du conflit – à long et à court terme – vers des sujets différents.

Du point de vue de l’ordre du jour du gouvernement : avec l’entrée en fonction de ce gouvernement, nous avons vu dans les décisions gouvernementales une nette augmentation dela préoccupation concernant l’annexion des territoires de Cisjordanie. Mais, depuis le 7 octobre, la fréquence de ces déclarations a diminué. Par contre, il y a des dizaines de messages relatifs aux aspects sécuritaires du conflit : 325 références au quatrième trimestre de 2023 en comparaison de 18 au trimestre qui l’a précédé, et 179 références au premier trimestre de 2024. Au deuxième trimestre de 2024, le nombre de toutes les décisions du gouvernement relatives à Gaza sont descendues à 14.

Il semble que la direction politique en Israël est revenue à ses stratagèmes de coalition à la Knesset. Cette triste image de la situation témoigne encore et encore que la présente coalition s’implique totalement dans sa survie, et que les enjeux du conflit – y compris les buts de politique et les solutions possibles – occupent une place secondaire dans son ordre du jour, ainsi que cela s’exprime dans les réseaux sociaux, à la Knesset et dans les décisions du gouvernement.

L’opposition ne propose pas non plus d’alternative de principe à la continuation du piétinement dans l’affaire palestinienne de façon continue et soutenue. A part des déclarations isolées des parlementaires Yair Golan, Yair Lapid, et Ayman Odeh, qui ont affirmé leur soutien à la solution de deux États (avec diverses réserves), le système politique dans son ensemble ne fait pas le lien entre la guerre et la nécessité de régler le conflit d’une façon ou d’une autre. Il est revenu à la routine du status quo, qui a engendré le 7 octobre.

 

Maoz Rosenthal est maître de conférences au Collège universitaire Hadassah · Département de politique et de communication, Jérusalem.