Haaretz, 8 mars 2002
Trad. : Gérard Eizenberg pour La Paix Maintenant
Il y a un an exactement, lors de son discours d’investiture à la Knesset, Sharon promettait de protéger les citoyens, de faire avancer la paix par des concessions douloureuses, et d' »établir des relations de confiance et de respect mutuel avec le peuple palestinien ». Les centaines de milliers d’électeurs qui étaient passés d’un camp à l’autre, en votant por lui plutôt que pour Barak, croyaient qu’il avait un plan pour nous sortir sans dommage de l’intifada El-Aqsa.
Il y a de nombreuses années, le General Eisenhower fut élu président des
Etats-Unis sur une promesse : mettre fin à la guerre de Corée. Le lendemain
de son élection, avant même d’entrer officiellement en fonction, il s’envolait pour la Corée, avec en poche ses plans pour tenir sa promesse. Sharon n’a jamais eu de plan d’aucune sorte.
Arafat, qui n’a jamais raté une occasion de rater une occasion, y compris le plan Clinton, a été assez stupide pour ne pas mettre à l’epreuve les promesses de Sharon. A sa manière, il a fourni a Sharon le pretexte pour faire la seule chose pour laquelle il s’est spécialisé durant sa longue carrière : appliquer une politique de force brutale.
Cette semaine, un an après son discours doucereux à la Knesset, Sharon nous
a donné sa vision d’apocalypse : maintenant, c’est « eux ou nous ». Maintenant, nous sommes « en guerre contre un ennemi cruel et assoiffé de sang, auquel nous devons infliger des pertes qui font mal. Maintenant, il n’existe pas d’option politique. Il n’y a que l’option militaire. Nous combattons pour nos maisons. Cela ne sera ni rapide, ni facile, mais avec de la fermeté et de la détermination, Israël l’emportera ». Un discours de Churchill du pauvre.
Combattre pour nos maisons? Le pire ennemi de Sharon n’aurait pas mieux
pointé son incompétence en tant que dirigeant. Alors que l’armée, sous son
commandement tyrannique, se trouve engagée dans une opération « déferlante »
avec blindés lourds et unités d’élite, le monde a changé d’avis. A chaque fois, les terroristes se sont debrouillés pour nous faire trébucher et nous faire mal avec les moyens les plus primitifs. Et maintenant, ils sont David, et nous Goliath l’empoté.
Le scénario adopté par le gouvernement implique la force, point barre. « Notre scénario politique appelle la victoire militaire », dit le « maréchal » Sharansky. « Nous sommes très proches de l’epreuve de force », dit Shalom. « Renversons l’Autorité palestinienne », dit Livnat. « Réoccupons les territoires », dit Landau. (tous des ministres de droite, ndt)
Malheur à un gouvernement qui agit en dément, le sang lui montant à la tête.
Malheur à un gouvernement qui nous mène vers le point de non retour, avec le
Parti travailliste, le soi-disant camp de la paix, dans le rôle d’associé privilégié.
En abandonnant la piste politique, Sharon nous laisse trois options, qui
reviennent à choisir entre la peste et le choléra. L’option consistant à vaincre le terrorisme n’existe pas. Aucun terrorisme au monde n’a jamais été éradiqué sans accord politique. L’option du retrait unilatéral est inapplicable, à cause à la fois de la peur des colons, et du fait qu’il sera interprété comme un signe de faiblesse, mettant ainsi les Palestiniens sur le chemin de la guerre. Reste la troisième option, réoccuper les territoires, qui nous mettra le monde à dos, tout en garantissant encore davantage de terrorisme.
Le pays que Barak a remisà Sharon n’etait pas en grande forme, mais le
travail qui l’attendait s’est révélé au-dessus de ses forces. Ce n’est pas
un probleme d’âge. Churchill avait 66 ans quand il fut élu Premier ministre,
plongeant directement dans la guerre avec l’Allemagne. De Gaulle s’est
colleté avec l’Algérie à 68 ans. Et Adenauer a été élu pour reconstruire
l’Allemagne à 73 ans. Ce qui a caractérisé ces dirigeants, c’est qu’ils ont
exercé leurs fonctions à leur apogée, et n’ont fait que s’améliorer.
Le problème avec Sharon est qu’il a toujours la mentalité d’un commandant de
brigade, qui voit le monde à travers le canon de son fusil, et méprise l’idée même d’une négociation. Ce n’est pas un hasard si Sharon n’a jamais été digne d’être chef d’état-major. Ce n’est pas un hasard si Begin a hésité pendant plusieurs mois avant de lui offrir le portefeuille de la Défense, le decrivant comme un homme incapable de se contrôler. Il n’avait pas tort.
Ceux qui ne voulaient pas de Sharon comme ministre de la Défense, l’ont eu
comme Premier ministre, c’est vrai, mais il est resté un commandant de brigade. Il rejoue encore les guerres du passé, ses opérations de représailles, son Gaza, son Liban. Il appartient au temps où l’on disait encore que la force est le seul langage que les Arabes comprennent.
L’administration Sharon a perdu sa raison d’être. Elle a échoué partout, et a dérobé à la nation son bien le plus précieux : l’espoir.