article en anglais sur le site d’Haaretz
On avait coutume de dire d’Yitzhak Shamir qu’il voulait voir le matin au
reveil a la une des journaux : « La menace de la paix est levee ». Tout montre
aujourd’hui qu’Ariel Sharon est en train d’aboutir a ce dont l’ancien
dirigeant du Likoud avait reve. La « fenetre d’opportunite » pour reprende le
processus de paix, ouverte apres la guerre en Irak, s’est violemment
refermee. Les efforts pour aboutir a un accord politique ont une nouvelle
fois laisse leur place a un traitement routinier du conflit, avec Israel qui
controle les territoires, et toutes les colonies toujours en place.
George Bush, de retour a la Maison Blanche apres ses vacances au Texas, est
un dirigeant tres affaibli qui se bat pour sauver son job. La victoire
foudroyante en Irak s’est embourbee dans l’occupation, le chaos
institutionnel et les attentats terroristes. La campagne electorale de 2004,
qui jusqu’a recemment promettait d’etre une formalite, ressemble aujourd’hui
a un combat pour la survie. Des sondages internes commandes par les
Republicains montrent que Bush peut etre battu par le candidat democrate.
Pour tenter d’eviter le sort de son pere, non reelu au terme de son premier
mandat, Bush doit se battre et gagner sur deux fronts. Sur le front de la
politique exterieure, il doit montrer des succes en Irak et meme en
Afghanistan, pour justifier sa « guerre mondiale contre le terrorisme ». A
l’interieur, il doit conserver sa base electorale. Les deux partis
politiques americains ont deja decide que leur strategie va etre de
preserver leur electorat traditionnel, et non de courir apres les electeurs
flottants.
Pour gagner les elections, Bush a besoin de l’argent, des energies et des
capacites d’organisation de ses amis de la droite chretienne et de la
communaute juive, bastions du soutien a Israel. Et pour gagner en Irak, il a
besoin de l’aide de ses amis arabes. Seuls les Etats arabes peuvent fournir
au regime fantoche qui va etre mis en place a Bagdad la legitimite et l’aide
economique dont il aura besoin. Le grand gagnant sera probablement le
president syrien Bashar Assad, qui beneficiera d’une « grace presidentielle »
pour son soutien au terrorisme palestinien et au Hezbollah, en echange de
son aide a restaurer le commerce avec l’Irak. Les espoirs de l’establishment
militaire israelien, selon lesquels les canons americains en Irak se
tourneraient contre la Syrie, le Hezbollah et l’Iran, etaient tres
optimistes.
Pour ce qui concerne l’administration americaine, le resultat de ce bilan
sera de garder une distance de securite face a la crise
israelo-palestinienne, et de mettre de facto au placard la feuille de route,
meme si elle n’en fera pas etat publiquement. Il sera difficile pour un Bush
affaibli de mettre la pression sur les Juifs et les Arabes, dont le soutien
lui est necessaire. Il aura egalement la prudence de ne pas prendre le
risque d’une entreprise politique qui ne lui a apporte jusqu’a present
qu’echecs et deceptions.
Un vent de prudence souffle desormais depuis la Maison Blanche. Le nombre de
voyages d’officiels dans la region a chute, et on ne percoit aucun signe
d’une urgence a vouloir traiter l’effondrement de la hudna. La capacite de
Washington a « faire pression sur les Palestiniens pour qu’ils combattent le
terrorisme » est assez limitee. Apres toutes les histoires de « messages
agressifs » et de « menaces contre Dahlan », l’administration a du changer de
direction et tenter de sauver le gouvernement d’Abbas pour que celui-ci
conserve au moins son titre creux. Il est difficile de croire que qui que ce
soit s’attend a ce que « les infrastructures terroristes soient demantelees ».
L’administration se contentera de demander aux deux parties de ne pas
exagerer dans leur escalade, pour ne pas gener les efforts des Americains en
Irak.
En ce qui concerne Sharon, on ne pouvait rever de meilleures nouvelles. S’il
a parle d’Etat palestinien et de fin de l’occupation, ses propositions aux
Palestiniens ont ete comme une tentative d’acheter une villa luxueuse au
prix d’un HLM, avec en plus l’exigence de renover la villa avant meme le
debut des negociations (position qui d’ailleurs n’a meme pas la majorite au
sein du comite central du Likoud). En pratique, Sharon a tout fait pour
faire echouer le dialogue politique, en durcissant continuellement ses
conditions a la reprise des pourparlers, tout en renforcant le controle
d’Israel sur les territoires. Tout comme Shamir, mais avec une grosse
difference. Sharon a compris qu’il ne pouvait pas aller au clash avec les
Americains, et qu’un « non » poli valait mieux qu’un « non » determine. Et voila
comment il s’y est pris pour repousser « la menace de la paix », tout en
gagnant meme les eloges des Americains.