Trad. : Gérard Eizenberg pour La Paix Maintenant
Les attentats suicides dans le quartier de Neve Sha’anan a Tel-Aviv, cette semaine, mettent en lumière de terribles échecs.
L’échec de la direction palestinienne officielle est clair. Mais, contrairement à ce qui est expliqué en Israël, il ne s’agit pas d’un échec operationnel, qui prouverait un manque de motivation à prévenir les attentats contre des civils israéliens. Il est malhonnête de dire que Yasser Arafat, enfermé dans la Mouqata à Ramallah, et qui doit avoir recours à des reservoirs d’oxygène pour aérer son bureau, pourrait, même s’il le voulait, ordonner à un service de sécurité qui n’existe plus, à des officiers de sécurité qui ont ont été arrêtés, tués, ou qui se terrent chez eux, et à des informateurs tués ou blessés, de rejoindre les checkpoints et les fortifications qui entourent les villes pour retrouver les kamikazes potentiels.
Ce dont lui et ses ministres, et ses conseillers manquent, c’est d’une présence morale et idéologique susceptible de créer une pression sociale et morale et un climat contre les attentats contre des civils, pression qui pourrait s’exercer sur les groupes comme sur les individus. Aujourd’hui, il n’échappe à aucun membre de la direction palestinienne combien les attentats palestiniens sabotent la cause palestinienne et leurs intérêts personnels comme ceux de leurs collègues, sans parler des cas où les meurtres sont commis par des gens qui se revendiquent de la branche armée du Fatah. Beaucoup sont sincèrement choqués par les scènes de carnage.
Mais il n’en reste aucun (s’il y en a jamais eu) qui ait un charisme et une autorité suffisants pour inspirer le respect, pas même Arafat. Cela résulte de leur façon de gouverner avant l’intifada, alors que leur gouvernement était perçu comme se moquant de son devoir de promouvoir le bien-être de son peuple.
Cet échec est aussi celui de leaders naturels du Fatah sur le terrain, plus sympathiques. Dans le meilleur des cas, certains d’entre eux expriment leur opposition aux attentats, mais en termes vagues, truffés de « mais », dans des entretiens à des journaux confidentiels ou éloignés. Il arrive qu’ils s’élèvent contre les attentats, à huis clos ou au cours de rencontres avec des diplomates étrangers. Mais ils n’osent pas aller ouvertement, de facon planifiée, contre l’opinion de la rue qui dit que les attentats à l’interieur d’Israël sont une réaction appropriée aux tueries et aux destructions perpétrées par Tsahal.
C’est vrai, dans des conditions de couvre-feu et de bouclages, il est difficile d’organiser une campagne d’explication. Mais l’obstacle principal n’est pas d’ordre logistique. Peut-être craignent-ils d’etre perçus comme des traîtres envers ceux qui ont été arrêtés, et de se désolidariser des morts et des blessés. Peut-être craignent-ils qu’on leur rappelle avec mépris les privilèges du pouvoir dont ils ont joui, et les restes de privilèges dont ils jouissent encore. Peut-être croient-ils qu’en brouillant leur message, ils empêcheront leurs rivaux du Hamas de se renforcer politiquement. Peut-être craignent-ils pour leur sécurité personnelle. Et, probablement, certains croient encore que frapper les civils israéliens finira par affaiblir Israël, socialement et économiquement.
Il faut ajouter à tous ceux qui ont échoué les militants de la « société civile », ces Palestiniens des ONG qui travaillent dans le secteur des droits de l’homme, de la santé, des services sociaux et de l’éducation. Ils sont en contact permanent avec des cercles de plus en plus larges de militants américains ou européens, qui viennent dans les territoires, puis s’en retournent chez eux avec des rapports, durs et fidèles, sur l’occupation israélienne : les exactions des soldats, les soldats ayant tué des femmes et des enfants, l’horrible pauvreté créée par les bouclages, les centaines de maisons démolies, les oliviers déracinés. Ces militants internationaux insistent pour dire qu’ils soutiennent la désobeissance civile non violente. Leurs relations avec les militants palestiniens se fondent sur une foi en des valeurs universelles qui transcendent les nationalismes, et sur la solidarité avec les opprimés.
Mais ces mêmes Palestiniens, militants sociaux et civils, dont des universitaires et d’autres qu’on peut qualifier d’élite intellectuelle, n’osent pas se tourner vers leur opinion publique et entamer une campagne d’explication contre le rite de la mort et du meurtre. Ils sont nombreux à dire, en privé, qu’il faut condamner les attentats, non seulement pour des raisons pragmatiques, puisqu’à cause de ces attentats, l’opinion internationale, choquée, en oublie l’occupation israélienne et ses horreurs, mais aussi pour des raisons morales, des raisons humaines et universelles.
On peut en entendre un petit nombre dire : « nous ne devons pas nous abaisser au niveau de l’occupant israélien », mais ils ne le font pas publiquement, ni systématiquement, à part en signant, rarement, telle ou telle petition. Certains craignent peut-être d’etre traités d’intellectuels aliénés, pour qui il est facile de prêcher « entre deux voyages à l’étranger », car ils ne souffrent pas comme les « gens d’en bas ». Peut-être craignent-ils, dans une société de plus en plus musulmane, et de plus en plus orthodoxe (une orthodoxie qui ne retient que les aspects les plus vulgaires et les plus ignorants de l’orthodoxie musulmane), d’être accusés de blasphème. Peut-être craignent-ils de perdre toute légitimité, ou tout simplement pour leur vie.
L’échec de ces hommes, appartenant aux trois couches du leadership, montre aussi qu’ils ont échoué a travailler ensemble, toutes ces années, afin de concevoir une stratégie commune et un plan d’action contre l’occupant israélien. Il semble que personne ne fait confiance à personne, ni aux intentions de personne.