La rencontre, en Israël, la semaine dernière, entre Benny Gantz et Mahmoud Abbas est venue clôturer en fanfare l’année 2021 s’agissant des relations entre les Israéliens et les Palestiniens. Il serait inexact de prétendre que rien ne s’est passé au cours des six derniers mois même si au plan diplomatique et politique, aucun développement majeur n’est intervenu. C’était certes prévu et annoncé. Cependant, des mesures intéressantes ont été prises au niveau du quotidien des Palestiniens, en termes de permis de travail, de droit de résidence, alors que certaines annonces, pas toutes cependant, de nouvelles constructions israéliennes dans les territoires ont été repoussées dans le temps.
La politique du nouveau gouvernement israélien, compte tenu de son caractère hétéroclite et de la fragilité qui en découle, a consisté à gérer le conflit tout en s’efforçant de restaurer le crédit de l’AP par les mesures prises en matière d’emploi, de circulation et en ressources financières.
La rencontre qui vient d’avoir lieu traduit le passage à un niveau supérieur et sans doute de nature différente. Personne ne peut croire que M. Abbas aurait accepté de se rendre en Israël, pour la première fois depuis plus d’une décennie, qui plus est au domicile de celui que de nombreux Palestiniens considèrent comme criminel de guerre, uniquement pour y discuter d’aspects techniques déjà plus ou moins calés avant la rencontre et qui avaient été initiés dans le cadre de contacts précédents à Ramallah. Ils auraient donc pu se poursuivre à un niveau protocolaire identique.
Les critiques émanant de la droite, y compris au sein du gouvernement, telles celles du ministre de la Justice G. Sa’ar qui a qualifié la rencontre de « superflue et sans importance », témoignent de la crainte que le politique ne saurait être tenu indéfiniment à l’écart. Personne n’a oublié que cette rencontre entre MM. Abbas et Gantz intervient moins d’une semaine après la visite en Israël et en Palestine du conseiller américain à la sécurité nationale, Jake Sullivan. Il avait discuté avec le leader palestinien de « la reprise d’un niveau significatif d’aide économique et au développement » de la part des États-Unis. Le déplacement de M. Abbas et ses engagements en matière sécuritaire participent probablement des contreparties de l’AP à l’obtention de cette aide économique indispensable à sa survie. L’administration Biden, sans vouloir relancer dans l’immédiat un processus politique n’est pas sans percevoir que, pour ne pas être balayée par le Hamas, l’AP a un besoin impérieux de marquer également des points dans le domaine politique. L’argent peut sans doute beaucoup mais pas tout.
Le message a été transmis aux Israéliens et même si « l’ambition politique » reste plus que modeste, elle a le don d’irriter au plus haut point la droite qui ne veut en aucun cas en entendre parler. D’où l’extrême prudence de B. Gantz dont la marge de manœuvre reste limitée dans la coalition actuelle. Il s’est attaché à ne pas déroger à la position de N. Bennett : oui à l’économique, non au politique. En témoigne sa déclaration post rencontre : « Nous avons discuté de la mise en œuvre de mesures économiques et civiles, et avons souligné l’importance d’approfondir la coordination de la sécurité et de prévenir le terrorisme et la violence – pour le bien-être des Israéliens et des Palestiniens ». Du côté palestinien, le son de cloche a été différent et l’aspect politique a été mis en avant. Le ministre palestinien des Affaires civiles, Hussein Al-Sheikh, a en effet déclaré que Gantz et Abbas avaient discuté de « l’importance de créer un horizon politique » pour la solution du conflit israélo-palestinien vieux de plusieurs décennies.
Pour l’instant, le « concret économique » est aisément perceptible : Israël va accorder des droits de résidence à 6000 personnes vivant en Cisjordanie sans statut juridique et à 3 500 dans la bande de Gaza. Israël va donner à l’Autorité palestinienne 32 millions de dollars à titre d’avance sur les impôts qu’Israël collecte au nom de l’Autorité palestinienne. Plusieurs centaines de permis seront également attribués à des hommes d’affaires palestiniens pour leur permettre de se déplacer plus facilement entre la Cisjordanie et Israël.
Le volet politique quant à lui demeure totalement évanescent en matière de reprise de pourparlers. Il l’est beaucoup moins s’il s’agit de mettre un terme à la violence des colons, à ne pas procéder à des expulsions massives à Jérusalem-Est, à évacuer des colonies illégales qui cristallisent l’attention telles Homesh ou Evyatar. Ces objectifs concrets et immédiats ne sont nullement acquis. Les modérés au sein du gouvernement israélien ainsi que les forces de paix au sein de la société civile auront fort à faire pour éviter des heurts d’ampleur attisés par le délitement de l’état de droit dans les territoires occupés et le renforcement du Hamas dont l’influence qui s’exporte de plus en plus en Cisjordanie.
Ainsi une rencontre Bennett-Abbas est sans doute improbable à court terme. On ne peut que le regretter d’autant que l’opinion publique semble plus ouverte et audacieuse que nombre de ses leaders. Selon un sondage réalisé en décembre, avant la rencontre Gantz-Abbas, commandité par l’Initiative de Genève, 51% des Israéliens aimeraient voir le Premier ministre Naftali Bennett relancer le processus de paix israélo-palestinien en rencontrant le président de l’AP Mahmoud Abbas.
Photo : Le Président palestinien Mahmoud Abbas, et le ministre israélien de la Défense Benny Gantz. © REUTERS/CORINNA KERN, REUTERS/MOHAMAD TOROKMAN/FILE PHOTO
Mis en ligne le 4 janvier 2022