Texte du discours prononce par Gershon Baskin lors de la derniere
manifestation de la Coalition Israelienne pour la Paix devant la residence
du Premier ministre a Jerusalem. Gershon Baskin est co-directeur de l’IPCRI
(Israel-Palestine Center for Research and Information). Apres le Dr Baskin,
le Dr Zakaria al Qaq, codirecteur palestinien de l’IPCRI, s’est exprime dans
le meme sens.
Jerusalem, le 31 aout 2002
Il y a quelque chose d’etrange dans l’opinion publique israelienne. Depuis
le debut de la deuxieme intifada il y a deux ans, le public israelien
continue malgre tout a se declarer pret a trouver un accord avec les
Palestiniens sur les problemes cles du conflit. Encore aujourd’hui, une
majorite d’Israeliens soutient la creation d’un Etat palestinien a cote
d’Israel. Une majorite d’Israeliens soutient meme la division de Jerusalem,
et se declare prete a la partager, en tant que capitale de deux Etats. Une
majorite d’Israeliens est en faveur de l’evacuation de la plupart des
colonies. Une grosse minorite d’Israeliens considere les frontieres du 4
juin 1967 comme la base des futures frontieres qui separeront Israel de la
Palestine. Toutes ces opinions se fondent sur un presuppose : il y a
quelqu’un du cote palstinien avec qui faire la paix.
Il semble que l’opinion israelien comprenne et soutienne ce qui sera le
« prix de la paix ». Mais en meme temps, cette meme opinion soutient la
politique devastatrice de son gouvernement qui continue a detruire
l’Autorite palestinienne. Ce soutien se fonde sur l’idee qu’il n’y a
personne du cote palestinien avec qui faire la paix. La plupart des
Israeliens pensent qu’il n’y a personne a qui parler du cote palestinien. La
plupart des Israeliens pensent qu’aucun Palestinien ne desire vraiment la
paix et le compromis avec Israel. Ils pensent que les Palestiniens ne
veulent que detruire Israel et jeter les Juifs a la mer. Ces slogans du
passe sont revenus, et sont relayes par des politiciens de tous les courants
politiques en Israel. Ils sont largement acceptes par les Israeliens, sans
reel examen ni remise en question. Les gens sont frustres et terrorises, ils
vivent dans la peur constante du terrorisme et de la violence dont les deux
cotes ont perdu tout controle. Il s’agit d’une spirale de violence qui n’a
d’exutoire que vers le haut, et continuera a faire de plus en plus de
victimes, des deux cotes. Il semble que nous n’ayons pas encore atteint le
sommet de la violence. Nous n’en sommes pas encore la ou les gens des deux
cotes crieront haut et fort : ASSEZ! J’EN AI MARRE! NOUS EN AVONS MARRE!
Aujourd’hui, les deux opinions continuent a reclamer plus de tueries, plus
de vengeance, plus d’assassinats, plus de terreur, et les leaders des deux
cotes ont renonce volontairement a leur role de dirigeants, face a des
opinions en colere. Ces leaders se montrent incapables de sortir nos deux
peuples de l’endroit ou ils nous ont conduits. Un endroit fort sombre, ou il
n’y a pas d’espoir, ou les reves sont mis en pieces, un endroit ou regnent
la destruction et la ruine. Cet endroit, ils le nomment de facon
complaisante « la situation ».
Chaque semaine, je viens a cette manifestation. Je viens parce que nous
devons le faire. Nous devons montrer qu’il y a des gens qui n’acceptent pas
« la situation » comme une evidence. Nous devons manifester pour montrer qu’il
existe une autre voie. Nous devons proposer une alternative a cette folie.
Nous devons proposer de l’espoir, de la raison, de la logique. Nous devons
prouver que nous desirons sincerement la paix et la reconciliation. C’est
vrai, je viens a ces manifestations malgre un sentiment de frustration. Je
me sens frustre parce que nos manifestations sont quasiment invisibles et
n’ont que bien peu d’influence. Mais nous devons continuer a manifester et a
faire entendre notre voix, une voix differente, en Israel, mais aussi pour
faire savoir aux Palestiniens qu’il y a en Israel des voix de paix et de
raison.
Avant les accords d’Oslo, le conflit israelo-palestinien etait considere
comme un « jeu a sommes nulles », un conflit pour l’existence dans lequel il
ne pouvait y avoir qu’un vainqueur, eux ou nous. Les accords d’Oslo ont
change la nature du conflit en le transformant en « jeu a sommes positives »
ou les deux parties pouvaient etre gagnantes. La violente intifada et le
comportement violent du gouvernement israelien ont de nouveau change la
nature du conflit en le transformant en « jeu a sommes negatives ». Il n’y a
pas de vainqueur, et il ne peut y en avoir. Nos soi-disant experts
qualifient la situation actuelle de « guerre d’usure », ou le premier a
faiblir aura perdu. Leurs strategies tentent d’obtenir une victoire totale,
et une defaite totale de l’ennemi. Mais cela ne se produira pas. Il est
impossible de vaincre un peuple qui se bat pour sa liberte, ni le peuple
juif, ni le peuple palestinien.
Notre tache essentielle, si nous voulons recreer le jeu a sommes positives,
est de reconstruire la confiance en la paix et l’idee que de l’autre cote,
il y a des gens a qui parler. De la meme facon que nos paroles et nos
manifestations doivent s’adresser au peuple israelien, elles doivent aussi
s’adresser au peuple palestinien. La voix de tout un camp, le camp de la
paix, est restee trop longtemps silencieuse devant la vague de terreur qui a
balaye le pays tout entier. Notre silence est interprete en Palestine comme
un soutien aveugle a la politique du gouvernement Sharon.
Demain, l’annee scolaire debute en Israel. C’est l’occasion pour nous
d’elever notre voix contre la maniere dont est eduquee une generation toute
entiere, des deux cotes, sans aucun espoir. Les systemes scolaires israelien
et palestinien ont echoue de facon dramatique. Ils n’offrent aux futurs
citoyens aucune possibilite d’envisager un avenir pacifique. Les systemes
scolaires entretiennent les mythes et les mensonges expliquant pourquoi les
leaders ont echoue et echouent encore a assurer la protection de leurs
citoyens. Les systemes scolaires n’offrent aux eleves aucun outil d’analyse
et de pensee critique. Ils n’eduquent pas a un systeme de valeurs fonde sur
le respect de la vie et de l’humanite, de toute l’humanite.
J’aimerais vous faire part, brievement, d’une experience differente, une
experience qui reussit et qui se developpe a l’interieur des systemes
scolaires israelien et palestinien. Cette experience apporte de l’espoir,
parce qu’elle reconstruit la confiance en la paix, en reconstruisant la
confiance entre des Israeliens et des Palestiniens.
L’IPCRI, un centre de recherche israelo-palestinien fonde il y a 14 ans, a
cree voila six ans un nouveau departement : l’education pour la paix. Ce
departement a developpe des programmes qui sont enseignes aujourd’hui dans
des etablissements secondaires israeliens et palestiniens. Au cours de
l’annee scolaire a venir, ces programmes seront enseignes dans plus de 60
etablissements, des deux cotes. Cela concernera plus de 400 professeurs
israeliens et palestiniens, et plus de 4.500 eleves. (…) Cette annee,
pour la premiere fois, nous toucherons plusiers etablissements du courant
national-religieux en Israel.
Les participants ont declare que leur motivation essentielle etait l’espoir
qu’ils gagneraient a savoir qu’il existait de l’autre cote des gens a qui
parler, et qu’il y avait de quoi parler avec eux. Peut-etre les educateurs
des deux peuples nous montreront une voie plus rationnelle. Il est possible
d’eduquer pour la paix. Il est possible d’exiger de nos ecoles qu’elles
eduquent pour la paix. Le role des educateurs est de donner aux nouvelles
generations d’Israeliens et de Palestiniens la possibilite de reussir la ou
leurs parents ont echoue. Le pire crime que puisse commettre un systeme
d’education est de geler leurs neurones en les remplissant d’idees toutes
faites et de la peur de faire la paix.
Du cauchemar que nous connaissons depuis deux ans est ne un plan magique qui
nous promet la paix et la securite. La solution s’appelle la separation
unilaterale. Elevons des clotures et des murs, installons des systemes
electroniques de surveillance et le calme reviendra, nous dit-on. Au-dela du
fait qu’il s’agit d’un mensonge pur et simple, car il ne peut y avoir de
calme d’un cote sans qu’il y en ait de l’autre, ce plan est porteur d’un
message : la souffrance, passee ou a venir, ne nous concerne pas. Les
partisans de la separation unilaterale nous disent : eux, les Palestiniens,
se sont impose d’eux-memes toute cette souffrance, et nous n’y avons aucune
part.
Si les ecoles palestiniennes ne peuvent ouvrir demain, si plus de 50% des
Palestiniens connaissent le chomage, la faim et la misere, et si plus d’un
million de Palestiniens vivent sous le couvre-feu, dans de grandes prisons,
en quoi cela nous concerne-t-il? C’est leur probleme, qu’ils ont eux-memes
cree, nous dit-on. Les partisans des clotures et des murs nous disent
qu’ainsi, nous les empecherons, eux, l’ennemi palestinien, d’arriver jusqu’a
nous. Cela empechera les kamikazes de se faire sauter dans nos villes. Y
a-t-il vraiment quelqu’un pour croire serieusement que ces clotures et ces
murs, qui ne feront qu’augmenter la souffrance, la pauvrete et le desespoir
des Palestiniens, mettront un terme a leur lutte contre l’occupation et
contre la politique du gouvernement d’Israel?
Les accords d’Oslo se fondaient sur une vision de cooperation. Cette vision
demeure juste. N’oublions pas que la plupart des plans de cooperation ne
furent jamais appliques. N’oublions pas que bien avant qu’Arafat n’ait
rejete les propositions de Barak a Camp David, bien des elements des accords
d’Oslo n’etaient pas appliques, et qu’Arafat n’etait pas le seul a ne pas
avoir applique sa part des accords. Vous souvenez-vous des futurs
redeploiements? Vous souvenez-vous des « fruits de la paix »? Apres Oslo,
l’economie palestinienne s’est reduite de plus de 25%, et ce meme avant
septembre 2000. La plupart des Palestiniens ont souffert sous Oslo, leur vie
est devenue plus difficile, et leur libertes se sont reduites. Avant Oslo,
les Palestiniens jouissaient d’une relative liberte de mouvement. Apres
Oslo, le regime des bouclages, des permis et des check points les a
etrangles. L’idee de la cooperation etait bonne, et le reste, ne
l’abandonnons pas. Il n’y a pas de paix, et il n’y en aura pas sans une
cooperation israelo-palestinienne.
Je voudrais profiter de cette tribune pour nous appeler tous a nous
mobiliser, non seulement a manifester comme ce soir, mais aussi a tendre la
main au peuple palestinien. Ici, ce soir, nous devons envoyer un message :
ce qui se passe nous concerne. Leur souffrance nous concerne. Non parce que
nous « aimons les Arabes », mais parce que nous sommes tous des etres humains,
et que ce qui leur arrive a un impact sur nous. L’Etat d’Israel et le peuple
d’Israel ont un interet direct a ce que les Palestiniens aient eux aussi un
espoir et une vision de la paix. La politique des clotures et des murs est
une politique qui renonce a la paix.
Nous devons elever la voix pour soutenir une separation politique qui mettra
fin a l’occupation israelienne et conduira au demantelement des colonies.
Mais ne confondons pas separation politique et faux remede des clotures et
des murs. Nous, qui conduisons le camp de la paix, devons revenir a une
vision humaniste, une vision de cooperation et d’espoir. Non, ce n’est pas
un plan naif ni stupide. La seule naivete en Israel est celle de son
gouvernement. Nous ne sommes pas naifs.
Le message de paix et de cooperation etait juste dans le passe, et encore
davantage aujourd’hui. Non, ce ne sont pas les architectes d’Oslo qui
doivent etre juges, ce sont ceux qui echoue a mettre en oeuvre les accords
d’Oslo. Ce sont eux que l’Histoire jugera.
Ensemble, reconstruisons la confiance en la paix. Ensemble, Israeliens et
Palestiniens, construisons un nouveau camp de la paix. A travers une
empathie mutuelle pour la souffrance de tous, des leurs comme des notres, a
travers une perspective de reelle coexistence et de paix veritable, a
travers notre desir commun d’un present et d’un futurs meilleurs pour nous
tous, nous nous reconstruirons et ferons de cette perspective une realite.
Oui, il y a de la lumiere au bout du tunnel. Maintenant, nous devons, tous,
reconstruire le tunnel pour atteindre la lumiere, ensemble, dans la justice
et avec la conviction que nous avons raison et que notre voie est juste.