Jerusalem Post, 18 juillet 2006
Trad. : Gérard pour Eizenberg La Paix Maintenant
Je ne cesse de m’étonner de la façon dont les Israéliens et les Palestiniens perçoivent si différemment les événements. Il est clair qu’ils ne seront d’accord sur la vision qu’ils ont de 1948. De même, les deux côtés ne seront jamais d’accord sur l’histoire de Camp David 2 en juillet 2000 et sur ce qui a provoqué la fin du processus de paix et le début de la deuxième Intifada.
La perception israélienne des crises actuelles est qu’à la fois à Gaza et à la frontière nord, Israël s’est complètement retiré sur la frontière internationale et que dans les deux cas, la communauté internationale a reconnu le retrait israélien. En retour, Israël espérait que le calme règnerait sur ces frontières. Au lieu de quoi, Israël a été attaqué sur les deux fronts, sans provocation ni raison valable.
Israël a dit et répété qu’il n’avait aucun contentieux avec le Liban et qu’il n’y avait aucune raison que l’état de guerre entre les deux pays continue. Israël espérait qu’avec le retrait total de Gaza, le front sud serait calme et que la lutte palestinienne porterait principalement sur la Cisjordanie.
Les Palestiniens, bien entendu, ont une vision radicalement différente de la situation. Concernant Gaza, ils disent que l’occupation de Gaza se poursuit, car Israël conserve le contrôle de l’espace aérien, des eaux territoriales et de tous les passages frontaliers.
Israël empêche les Palestiniens de construire le port maritime de Gaza et de rouvrir l’aéroport international, ce qui permettrait des déplacements libres depuis Gaza vers le monde entier. De plus, les Palestiniens disent que tant que durera l’occupation de la Cisjordanie, toute la Palestine sera occupée, Gaza et la Cisjordanie ne formant qu’une seule et même entité territoriale, même selon les termes des accords d’Oslo.
Bien plus, les Palestiniens disent que les raisons principales qui expliquent leurs agressions continuelles, qu’ils appellent résistance, sont la poursuite des assassinats ciblés contre les Palestiniens en Cisjordanie et à Gaza, et le fait qu’il y a plus de 10.000 Palestiniens dans les prisons israéliennes.
Concernant le Liban, les Palestiniens disent avec le Hezbollah que les fermes de Shaba sont en territoire libanais et qu’Israël doit s’en retirer, et citent le fait qu’il y a environ 300 prisonniers libanais en Israël.
Les Palestiniens considèrent que les attaques de Qassam depuis Gaza et les attaques de Katiousha depuis le Liban sont parfaitement légitimes. De plus, les Palestiniens soutiennent totalement la capture de soldats israéliens et le fait de les utiliser pour libérer des prisonniers palestiniens et libanais.
Les Palestiniens disent qu’attaquer des soldats et des bases militaires n’est pas du terrorisme : il s’agit d’une forme légitime de résistance reconnue par le droit international et par la charte des Nations Unies, tant que durera l’occupation. Les Palestiniens disent qu’en revanche, les assassinats ciblés commis par Israël, qui ont pour résultat la mort non intentionnelle de civils, dont des enfants, constituent une forme de terrorisme d’Etat.
La plupart des Palestiniens et des Libanais exigent d’Israël qu’il respecte le droit international et les conventions, mais ils ne considèrent pas que ce droit et ces conventions s’appliquent à eux-mêmes. Les Conventions de Genève exigent que les prisonniers de guerre, puisque les Palestiniens appellent ainsi les soldats israéliens enlevés, doivent recevoir la visite d’observateurs internationaux comme la Croix-Rouge internationale, être bien traités et soignés, et avoir le droit de communiquer avec leurs familles. Ces règles ne sont pas respectées par les ravisseurs des soldats israéliens, qu’ils soient palestiniens ou libanais.
En temps de guerre, les échanges de prisonniers sont une pratique commune. En général, ces échanges s’effectuent selon une sorte d’équilibre, prisonnier contre prisonnier. Dans le conflit israélo-arabe, ces échanges se sont en général faits sur la base de plusieurs centaines de prisonniers arabes pour chaque prisonnier israélien, mort ou vif. Le Hamas a exigé la libération de toutes les femmes et de tous les mineurs détenus en Israël (soit plus de 400 personnes) en échange d’informations sur l’état de Gilad Shalit. La plupart des Palestiniens considèrent cela comme parfaitement légitime.
Je pense qu’au bout du compte, la seule manière de ramener vivants Shalit, Elad Regev et Ohad Goldwasser à leurs familles passera par une forme de négociations et par la libération de prisonniers palestiniens et libanais.
Le gouvernement a dit qu’il était temps de changer les règles du jeu. Il a déclaré qu’il n’y aura aucune négociation avec les terroristes. Si c’est le cas, le gouvernement va devoir expliquer à toutes les mères et à tous les pères qui envoient leurs enfants au front que, s’ils sont capturés, on pourra les considérer comme morts.
Le ministre de la justice, Haïm Ramon, a commencé à expliquer cette nouvelle politique, en disant que cela serait très douloureux pour les familles des soldats kidnappés aujourd’hui, mais que cela épargnerait de nombreuses vies à l’avenir.
Les enlèvements et les attaques du Hamas et du Hezbollah ont été les casus belli du conflit actuel. L’objectif déclaré du gouvernement de ramener les soldats sains et saufs à leurs familles s’est étrangement effacé derrière des objectifs militaires plus directs. A mesure que le combat continue, la vie des soldats kidnappés paraît moins importante dans les déclarations gouvernementales.
Je me demande combien de gens sont morts pour sauver la vie de quelques-uns. Au nom de la « dissuasion », combien d’Israéliens, de Palestiniens et de Libanais est-il légitime de tuer ? Comment un gouvernement peut-il regarder ses citoyens droit dans les yeux et leur dire : toutes ces morts devaient arriver, nous n’avions pas le choix ?
Je suis abasourdi de l’insoutenable légèreté avec laquelle nos dirigeants jouent avec nos vies. Mon cœur pleure pour les familles des soldats kidnappés, et pour tous ces gens innocents, de tous les côtés du conflit, qui meurent sans raison et pour rien.
La perception est bien une question de géographie. Et de là où je me trouve, je vois combien notre sang est bon marché, et combien bon marché est le sang de nos ennemis. Triste. Très triste.