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Ha’aretz, 15 juillet 2006
Trad. : Gérard Eizenberg pour La Paix Maintenant
J’étais là, autour de la table du cabinet de sécurité, dans la « cuisine » [[Golda Meir avait l’habitude de réunir dans sa cuisine ses ministres les plus proches lorsque des décisions graves devaient être prises. Le terme est resté.]], alors que nous étions bombardés de mauvaises nouvelles. Une information terrible suivait une autre, plus horrible, que suivait elle-même une information insupportable. Sentiment de suffocation. Avant même de nous être réunis, nous avions entendu les déclamations habituelles, qui sont en général, malheureusement, des phrases vides de sens. Ces salves d’artillerie (de menaces et d’ultimatums) ne changent rien à la situation et, souvent, l’aggravent. Ce sont les premières minutes qui sont les plus difficiles. Les décisionnaires, eux non plus, ne savent pas vraiment ce qui se passe, qui a été tué, ou kidnappé, ce qui se passe sur le terrain. Les rumeurs de toutes sortes pénètrent même dans les enceintes les plus fermées.
Les ministres arrivent dans l’urgence et ils sont tous remontés : on ne peut plus accepter, il y a une limite à tout, cette fois, on va donner à ces salopards une leçon qu’ils n’oublieront jamais. Les officiers de l’état-major, le visage fermé, discutent entre eux, étalent des cartes sur lesquelles ils se penchent, faisant courir un doigt sur la ligne Verte, sur la ligne Pourpre, et sur toutes les lignes du monde, qui doivent être inévatiblement traversées et frappées.
Je ne me souviens d’aucune introspection, car en de tels moments, le sang bout, vous monte à la tête et vous aveugle. J’ai suggéré plusieurs fois de ne pas organiser de consultation ni de prendre de décision le jour même du désastre, car le jour du désastre est propice à conduire à un autre désastre, résultat d’une tête chaude et d’un mauvais jugement. Je n’étais pas différent des autres. Mon sang bouillait, à moi aussi. Combien peut-on supporter? Des pensées terribles m’assasillaient, mais au moins, je savais qu’il fallait que je me montre prudent à l’égard de moi-même et de mes pensées. La plupart des gens qui étaient là étaient des experts de la force. Moi, j’étais l’expert des limites de la force. Il est tellement facile, lors de réunions de ce genre, de se laisser tenter à entreprendre des opérations si prometteuses qui se révéleront contre-productives. Toutes les opérations, ou presque, paraissent prometteuses sur une carte.
La réunion commence, l’armée informe, l’armée propose. Parfois, quelqu’un, ministre ou officier, tenhte de modérer les choses ici ou là, mais la modération a perdu toute chance entre châtieurs munis de fouets et châtieurs munis de scorpions. ??Donc, nous envahissons de nouveau Gaza : bon, nous ne le réoccupons pas, mais nous faisons des « raids », comme s’il y avait une différence. Et, une fois de plus, nous envahissons le Liban, pas pour y rester, seulement pour y démontrer une présence, et le papier des décisionnaires ne rougit pas. Et ainsi, nous frappons immédiatement des centrales électriques, et immédiatement après, nous ne savons plus qui a plongé qui dans l’obscurité. Et c’est ainsi que nous avons expulsé au Liban 400 membres du Hamas, pour leur permettre de se préparer à l’avance à leur retour, d’être mieux entraînés et plus déterminés. La cabinet a également décidé qu' »il n’y a pas et qu’il n’y aura pas de négociations sur les prisonniers palestiniens ». Si Israël a des contacts directs ou indirects après l’enlèvement du caporal Gilad Shalit, et paie une rançon sous forme de libérations de prisonniers de l’autre côté, l’appétit de nos ennemis va grandir et les enlèvements ne feront qu’augmenter. Nous n’avons eu de dialogue avec personne, nous n’avons relâché personne, et pourtant, les kidnappings ont continué. Cette foid, deux incidents de la sorte, et non plus un.
(…)
Un jour de pluie, Itzhak Rabin m’expliquait, en tant que premier ministre et en tant qu’ami, pourquoi nous devions rechercher toutes les brèches possibles qui nous permettraient de conclure un accord avec nos voisins. « Il est impossible de tendre les muscles et les nerfs d’une nation pendant de si nombreuses années. Tôt ou tard, ils lâcheront », dit-il, et il ajoutait : « Tsahal est une bonne armée, mais même la force de la meilleure armée est limitée et sa puissance est vouée au déclin. Elle ne doit pas être soumises à trop de tests, et surtout pas à des tests inutiles. » On peut toujours chercher des excuses et dire que ce sont nos ennemis qui nous testent, mais l’expérience montre que nous avons sacrifié nos fils en de trop nombreuses occasions.
La situation ne s’est pas améliorée depuis cette conversationa avec Rabin, elle a empiré. Et pas seulement dans notre région, dans le monde entier.
S’il a jamais existé une « capacité de dissuasion », en particulier de la part de la seule superpuissance capable d’exercer une dissuasion, elle l’a complètement perdue. Au lieu de traiter convenablement l’Iran, qui tire les ficelles de l’agression internationale et aussi les ficelles du Hamas, du Jihad islamique et du Hezbollah, Goerge Bush a choisi, parmi tous les pays, de frapper l’Irak. Et aujourd’hui, les méchants ont appris que les Américains ne sont pas tout-puissants, qu’on peut les user progressivement. Au lieu de s’occuper de la Corée du Nord et de ses armes nucléaires et de ses missiles avérés, l’Amérique s’est fourvoyée en Afghanistan, qui est en train d’être repris par les Taliban. Et la Somalie, dans la corne de l’Afrique, est aussi tombée dans l’escarcelle du fondamentalisme assassin, après une piteuse intervention américaine qui a chosi le mauvais côté, comme Bush et Cheney savent le faire.
En attendant que la lumière de l’Amérique sauve le monde, elle le détruit et des « innocents » continuent à exploser, à Londres, à Mumbai, à Madrid, et partout ailleurs. Jamais nous n’avions connu une telle Coupe du monde du sang comme celle qui a commencé avec l’invasion américaine de l’Irak, où 50 personnes par jour sont assassinées dans la seule capitale. ??A froce de s’en servir, Israël a, lui aussi, perdu sa capacité régionale de dissuasion. Un révolver pointé est dans la plupart des cas plus menaçant et plus dissuadant qu’un révolver qui tire à tous les coups et qui atteint rarement sa cible. Par exemple, il y en a pour continuer à suggérer de frapper Beyrouth d’un coup fatal. Mais nous avons été dans Beyrouth il n’y a pas si longtemps, nous avons tout conquis, et puis, très vite, Beyrouth nous a renvoyés avec nos bagages. Que feront aujourd’hui les bombardements aériens que n’a pas fait une occupation terrestre auparavant? Le bruit des tanks qui se préparent à une nouvelle invasion m’envoie des frissons dans la colonne vertébrale et me provoque des sueurs froides.
(…)
Idéologiquement, je ne suis pas opposé à l’usage de la force quand elle est nécessaire, et malheur à nous si notre force nous vient à manquer. Je ne représente pas les pacifistes, pas même ceux qui refusent d’accomplir leur service militaire, et je ne les ai jamais représentés. J’essaie toujours de représenter le scepticisme et de parler en faveur du doute et contre ceux qui lavent plus blanc. Nous en avons trop qui lavent plus blanc au gouvernement et à l’état-major.
Au milieu de cette ambiance de machisme radical, il faut aussi faire entendre la voix de la modération, qui dit que la force seule n’obtiendréa rien. Que les ministres et les officiers se rappellent ce que Gaza nous a fait pendant 40 ans, ce que Beyrouth nous a fait, ce que le Vietnam, l’Irak, l’Afghanistan et la Somalie ont fait et font encore à la puissante Amérique, et qu’ils se calment. Mieux vaut arriver à une réunion cruciale l’esprit calme et le regard non embrumé.
(…)
Le temps est peut-être venu de remettre le révolver en sécurité, dans son holster, et de déclarer officiellement un plan Marshall mondial, pour que les éternels perdants aient enfin quelque chose à perdre. Alors seulement, il sera possible d’isoler les virus de la violence et du terrorisme, pour lesquels le calme c’est l’horreur, et qui aux-mêmes représentent pour nous l’horreur. Et une fois isolés, il sera possible de les éradiquer. Un jour.
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