L’armée israélienne fait preuve d’indépendance d’esprit et d’un sens de la responsabilité qui contraste avec l’irresponsabilité des décideurs politiques.
Traduction : Bernard Bohbot pour LPM
Soldats israéliens sur la frontière de Gaza – Photo : REUTERS/Amir Cohen
Ha’Aretz, le 21 novembre 2018
When the army is the moral compass
Les discours égocentriques du Premier Ministre Benjamin Netanyahu et du ministre de l’Education Naftali Bennett ont donné l’impression qu’ils sont en compétition non pour le leadership politique mais pour le contrôle de l’armée, comme s’il s’agissait d’un jouet personnel qui n’attend que d’être remonté par le premier venu pour catapulter l’armée plus loin. Ils sont tous deux convaincus que seule « leur » armée peut remplir n’importe quelle mission, qu’elle est préparée pour n’importe quel scénario, et qu’elle accomplira n’importe quel ordre venant de ses programmeurs.
Or, il s’avère que l’armée israélienne fait preuve d’indépendance d’esprit et d’un sens de la responsabilité qui constraste avec l’irresponsabilité des décideurs politiques. Après tout, il y a peu, les éloges adressés au ministre de la Défense sortant Avigdor Lieberman par les commentateurs militaires et politiques montrèrent de façon flagrante le manque total de pertinence de ce dernier face à une élite militaire confirmée qui l’ignore : Lieberman a dit une chose, et l’armée en a fait une autre.
Bennett se plaint du fait que le poids politique et diplomatique qui pèse sur l’armée empêche celle-ci de faire le nécessaire sur le champ de bataille. Mais c’est la même armée qui s’est dressée contre une opération militaire d’envergure à Gaza, la même armée qui a recommandé d’alléger de manière significative le siège inutile de Gaza, et qui, dans le passé, s’est opposée aux velléités belliqueuses contre l’Iran ; et c’est la même armée dont le chef d’état-major n’a pas hésité à contredire les politiciens qui exigeaient d’elle qu’elle largue des bombes sur ceux qui lançaient des ballons incendiaires, et qui a traité de criminel Elor Azaria (le soldat qui a tiré sur un terroriste déjà mis hors d’état de nuire).
Cette armée a été contrainte d’agir de façon politique, et son chef d’état-major se retrouve malgré lui dans le rôle du « manipulateur », dont la vision du monde dicte non seulement des décisions stratégiques et diplomatiques, mais suscite également des conflits politiques.
Quiconque a lu le rapport de l’ombudsman de l’armée israélienne, le Major Général de réserve Yitzhak Brick – qui a durement critiqué le manque de préparation de l’armée en cas de guerre – peut se demander s’il faut remettre en question l’affirmation selon laquelle l’armée est prête à affronter n’importe quel scénario et n’importe quelle guerre, et si seule une décision politique l’empêche de remplir son plein potentiel. L’opération à Gaza qui a mal tourné, ce qui a donné naissance à la plus récente confrontation, prouve encore une fois que le rêve d’une armée parfaite, sans échecs ni erreurs, est susceptible de leurrer le pays tout entier. Aucune révolution telle celle que Bennett a promis d’apporter à l’armée, comme l’a accomplie sa collègue Ayelet Shaked au ministère de la Justice, ne peut changer cette réalité. Car seule l’armée peut expliquer au ministre de la Défense et au Premier Ministre les limites du pouvoir, évaluer les menaces et dicter le montant des budgets.
Or non seulement l’armée détient le pouvoir de déterminer l’ordre des priorités des menaces stratégiques. De surcroît et avec beaucoup d’aplomb, elle s’est permis de définir l’échelle des valeurs dans le contexte desquelles elle est d’accord pour agir. Quand le chef d’état-major, Gadi Eisenkot a expliqué à Bennett que bombarder les lanceurs de ballons est contraire à « mon éthique concernant le militaire », ce ne sont pas des contraintes qui l’ont amené à faire cette déclaration, mais bien le fait de se sentir responsable de la sauvegarde du caractère de l’armée. C’est ainsi que l’armée s’est imposée comme la quatrième autorité du gouvernement, à savoir l’autorité morale, aux côtés des autorités législatives, judiciaires et exécutives.
C’est bien là le paradoxe de la démocratie israélienne : l’armée, la machine de guerre qui, par sa nature même, est sensée repousser les frontières de la moralité le plus loin possible, est en train de devenir la conscience morale du pays. Cela ne peut se produire que dans un pays où le pouvoir civil se rebelle, détruit le pouvoir judiciaire, légifère dans une débauche d’ultranationalisme, dévalorise les droits de l’homme et voue un culte au pouvoir. Ce n’est que dans une telle situation que le temple du pouvoir, l’armée, peut s’attribuer la fonction du grand prêtre qui dicte les valeurs de la société.
Bien que le bras de fer entre Netanyahu et Bennett quant au contrôle de l’armée ressemble à un combat politique, il s’agit d’une réelle menace contre le dernier refuge de la raison. Le succès de Netanyahu qui a réussi à forcer Bennett à céder n’est qu’un temps de répit dans la bataille qui vise à prendre le contrôle de l’armée.
Zvi Bar’el, correspondant de Ha’Aretz
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