Yediot Aharonot, 22 juin 2007

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Traduit de l’hébreu par Yaël Shneerson


Qui l’eût cru et qui l’eût dit ? Il s’avère que derrière le regard détourné de nos commentateurs, derrière le visage apathique de nos concitoyens et derrière la façade indifférente de la politique israélienne, se cachent un cœur d’or, une âme sensible débordant de pitié et de miséricorde pour leur prochain.

Subitement, nous avons tous découvert la souffrance des Palestiniens. Nous sommes tous très profondément et photogéniquement choqués par les souffrances inouïes infligées à la population occupée de Gaza, écrasée sous les bottes de l’occupant hamassique. Devant ces images terribles, notre colère, notre indignation, notre frustration ne connaissent plus de bornes. En somme, il n’y a là rien d’étonnant. Qui, sinon les Juifs, pourrait s’identifier aussi pleinement à des personnes pourchassées par des bandits criminels ?

Et soudain les blessés ont un nom, les tués ont un âge, les souffrants ont un visage. Ahuri, j’ai entendu de mes propres oreilles des présentateurs de télévision parler, le visage sombre, de « crimes de guerre » commis à Gaza. « Crimes de guerre », oui, ils l’ont dit clairement. C’était après que des hommes eurent été massacrés au couteau, et d’autres fusillés, vêtus uniquement de leurs culottes.

Des crimes de guerre, oui, des actes terribles, sans aucun doute. Si ces miliciens du Hamas s’étaient conduits en personnes civilisées, ils auraient renoncé à bousiller leurs ennemis de la sorte, parce qu’un couteau ça salit le tapis et ça éclabousse de sang les bourreaux. Ils auraient pu utiliser, par exemple, un avion sans pilote, ou un chasseur bombardier ou quelque système téléguidé sophistiqué. Ainsi auraient-ils évité qu’on les taxe de « criminels » et auraient-ils épargné à nos journalistes indignés des images aussi choquantes.

Un journaliste de la première chaîne a même raconté d’un ton outré que des salauds du Hamas avaient mis le feu à une maison où se cachait un « militant recherché » (sic) du Fatah. Quelle cruauté! Si le Hamas avait eu en sa possession un bulldozer amical, un petit D9 sympathique, celui-ci aurait pulvérisé élégamment de ses pattes bienfaisantes les murs de la maison de cette personne recherchée et tout le tableau eût été différent.

Mais c’est notre Premier ministre Olmert qui a atteint les sommets de néo-humanisme et battu les records de chagrin et de pitié. De la lointaine Washington et devant les téléspectateurs du monde entier, il a décrit les atrocités commises par le Hamas avec tant de fougue, égrenant une liste si impressionnante de synonymes en anglais, qu’on aurait cru qu’il avait avalé un thesaurus entier pour l’occasion. Il se surpassa lorsqu’il annonça d’un ton profondément ému que « nous ne resterons pas indifférents à la souffrance humaine à Gaza. »

Et nous croyions rêver. Le Premier ministre israélien avait découvert la souffrance des habitants de Gaza. La mort, la destruction, l’enfermement, et qui sait, peut-être même l’humiliation, le désespoir, la pauvreté arriveront-ils jusqu’à ses oreilles. Et à partir du moment où il l’a découvert, il ne peut plus rester indifférent.

Mais à peine vingt secondes plus tard, il fallut nous réveiller de notre rêve. Le premier ministre précisa de quelle souffrance il s’agissait : « la souffrance causée aux Palestiniens par les Palestiniens ». Seule cette souffrance toute fraîche « made in Palestine » ne nous laisse pas indifférents. La bonne vieille souffrance, celle qu’Israël inflige au peuple de Gaza depuis plusieurs décennies, cette souffrance-là nous pourrons continuer à ne pas la voir, comme c’est notre habitude depuis toujours.

Il est donc à prévoir que lorsqu’Israël reprendra en ses mains expérimentées et adroites la routine des tueries, des destructions, du blocus, de l’humiliation, de la chasse aux « terroristes recherchés », et de la privation d’une population entière de ses droits les plus élémentaires, nos médias déchaînés, nos politiciens courroucés et notre public bouleversé retrouveront leur calme d’antan. Les blessés perdront de nouveau leur visage, les tués redeviendront anonymes, et les souffrants n’auront plus d’identité. Les maisons seront détruites avec grâce et courtoisie, les tués seront tués de manière propre et stérile, et la détresse des habitants de Gaza redeviendra un chapitre de propagande antisémite.

Mais ne méprisons pas les petites choses. Même quelques instants de reconnaissance de la souffrance des Palestiniens, c’est déjà un changement bienvenu.