La plupart des Israéliens ne sont prêts à accepter la langue arabe qu’employée par des commandos juifs opérant sous couverture, tels ceux dépeints dans la série télévisée “Fauda”. Comment en est-on arrivé là, s’agissant de la 2e langue officielle de l’État, langue maternelle d’environ 1/5 de sa population, langue de culture et d’échanges des siècles durant de par le monde ?

Cela s’insère dans la politique des ultras qui mènent aujourd’hui une coalition gouvernementale affaiblie par les affaires : pour eux, comme pour Avigdor Lieberman, il s’agit de changer la donne démographique dans le pays, en encourageant vivement les citoyens arabes du pays au départ.

La campagne publicitaire autour de la 2e saison de “Fauda”, construite sur des panneaux d’affichage menaçants dans un arabe approximatif, cherche surtout à faire le buzz et y réussit admirablement — cela permet par la même occasion d’alimenter la campagne de longue date contre une gauche réduite à la portion congrue et les multiples ONG’s qui seules portent encore le flambeau de la démocratie.


Traduction, Chapô, Notes & Références, Tal Aronzon pour LPM

Ha‘Aretz, jeudi 4 janvier 2018

https://www.haaretz.com/israel-news/.premium-1.833119

Cliché extrait de la seconde saison de “Fauda”.©RonenAkerman/YES


L’Article d’Amit Levy

Le 24 mai 2016, la Knesseth célébra le premier Jour de la langue arabe.Parmi les Juifs qui s ‘exprimèrent en session plénière — des gens qui avaient appris l’arabe à la maison ou le tenaient peut-être d’un cours intensif au sein des services de sécurité du Shin Beth [1] — la députée Likoud Anat Berko prit position. Elle incita les députés arabes à ne pas faire un usage incorrect du « pouvoir marginal » de l’arabe. Cela résonna peut-être aux oreilles des publicitaires qui choisirent de construire la campagne de promotion de la deuxième saison de la série télévisée “Fauda”, à peine lancée, en plaçant au bord des routes des panneaux publicitaires en arabe.

Les affiches, aux messages apparement menaçants sortis de tout contexte, tels que « Tiens-toi prêt ! », « On est sur le point de passer à l’action ! » et « Allez de l’avant ! » remplirent leur office au-delà de toute attente : des habitants  de Nesher, dans la banlieue de Haïfa [2], et de la ville de Kiryat Gat, dans le nord du Néguev [3], furent pris de fureur, et la municipalité vota sans délai la suppression des affiches (« Ne faisons pas mine d’être candides, cela ressemble à des propos de Daesh », déclara un conseiller municipal de Nesher) : Le danger, pour le moment, était écarté.

Ce n’était pas la première fois qu’une annonce destinée à des Juifs avait recours à un texte en arabe en partant du principe  que le grand public serait incapable de le comprendre. Il s’agit de susciter la terreur, de créer une caisse de résonance.

En 2010, à l’époque du débat public sur les conclusions de la commission Sheshinki — auteur de recommandations concernant les politiques fiscales et les taxes à appliquer à l’exploitation du gaz et du pétrole découverts — un groupe signant “Forum pour la Terre d’Israël” édita une affiche inquiétante faite d’un texte en arabe surmontant ces mots en hébreu : « Il y a quelqu’un qui ne veut pas que vous compreniez. » Des notices explicatives, en hébreu, accusaient l’organisation de levée de fonds progressiste – la très décriée New Israel Fund [4] – de rendre [le pays] dépendant du “gaz arabe” pour avoir pris position en faveur de royalties plus élevées sur le gaz naturel [5]. Paradoxalement, il y avait vraiment quelqu’un qui ne voulait pas que les gens comprennent l’affiche : le texte arabe était dépourvu de toute cohérence syntaxique, au point qu’il était clair qu’il ne pouvait avoir été écrit par un locuteur de cette langue.

Langue maternelle de près d’1/5e des citoyens du pays et celle dans laquelle de nombreux Juifs de par le monde écrivaient, parlaient et créaient génération après génération, l’arabe est devenu effrayant et menaçant – comment cela s’est-il produit ? D’instinct, nous en faisons porter la responsabilité au conflit judéo-arabe. L’arabe est le langage de l’ennemi, et en tant que tel nous voulons pour la plupart le garder loin de nos yeux et de nos oreilles. Si nous le maintenons à distance, nous tiendrons par là-même l’ennemi à distance.

Selon un sondage mené en 2015 par l’institut Van Leer de Jérusalem [6] conjointement avec le centre arabe Dirasat de Droit et Sciences politiques [7], et Sikouil, l’association pour le progrès de l’égalité civique en Israël [8], seuls 10% des Juifs israéliens pouvaient parler ou comprendre un niveau acceptable d’arabe ; Seuls 2.6% étaient capables de lire un journal en arabe, et seul un maigre 1% de Juifs de l’échantillon se dit apte à lire de la littérature [9] en arabe.

Jonathan Mendel, qui étudie le statut des langues dans la société israélienne, soutient que depuis les années 30, et de façon plus intense depuis 1948, ce qui était en fait un nouveau langage, l’arabe israélien, fut élaboré par l’establishment éducatif et de sécurité du pays. Le concept était que l’arabe est un langage de faibles, peut-être le langage des exilés, et bien sûr une langue étrangère. C’est une langue enseignée presque comme le latin, essentiellement pour pour préparer des gens à connaître assez d’arabe pour comprendre l’ennemi – mais pas vraiment l’arabe; qui les ferait ressembler à l’ennemi.

La peur d’une ressemblance excessive avec les Arabes, ou d’une assimilation trop réussie au sein de l’Orient enchanteur (mais dégénéré) perturba les penseurs et les militants du mouvement sioniste dès sa naissance. Nombreuses sont les études consacrées au lien entre l’essor du sionisme en Europe et l’effort pour dépouiller les Juifs de l’étiquette “orientale” qu’on leur avait attachée durant des siècles. D’un autre côté, afin de revenir dans leur patrie ancestrale, la Terre d’Israël, les Juifs eurent injonction d’y redécouvrir leurs racines, et ces racines s’incarnaient en ses habitants actuels, les Arabes – les bergers, les fermiers, les combattants – et leur langue vivante, l’arabe.

Ces rapports d’attraction/répulsion vis-à-vis de l’Est se firent force motrice dans l’histoire du renforcement du sionisme en Palestine, et participèrent également des efforts prodigieux pour transformer l’hébreu en un langage parlé, quotidien [10, 11 & 12]. Un exemple en est donné dans l’article “Protecting the Jewish Throat: Hebrew Accent and Hygiene in the Yishuv [Protéger les gosiers juifs : accent hébraïque et hygiène au Yishouv]” de l’historien et socio-linguiste Marco Di Giulio en 2016, en anglais, dans le Journal of Israeli History.

Di Giulio montre comment le débat sioniste interne à l’époque du Yishouv (la communauté juive pré-étatique en Palestine) quant à la prononciation correcte des phonèmes gutturaux   – ‘heth et âyin – eut recours à des arguments d’ordre médical. Il y avait ceux qui, sans aucune preuve scientifique, mettaient en garde contre une prononciation trop proche de l’arabe (la langue parlée, qui ressemble le plus à l’hébreu), laquelle  risquait d’endommager les chairs délicates des gorges juives – c’est-à-dire des gorges juives d’Europe, bien sûr. Outre les autres problèmes, l’arabe posait aussi un risque sanitaire.


Un espace exempt d’arabe


“Faudra” n’est pas simplement une autre série à propos du conflit israélo-palestinien. C’est un feuilleton sur les Mist’Aravim [13], les unités d’infiltration de Tsah’al dont les membres se font passer pour des Arabes palestiniens. Ils ont une place d’honneur dans la société israélienne. Depuis le temps du Palma’h [14], les commandos d’élite de la Haganah pré-étatique, jusqu’à notre époque, le Juif qui se déguise en Arabe – qui vit parmi les Arabes et réussit à leur faire croire qu’il est un authentique Arabe – a attisé l’intérêt voire l’excitation.

Par le passé, il s’agissait du récit des fiers exploits de l’unité arabe du Palma’h dans les villages avant et juste après l’Indépendance ; aujourd’hui, c’est l’héroïque infiltration du journaliste de la 10e chaîne de télévision israélienne, Zvi Yehezkeli, au sein des groupes de Daesh en Europe [15]. Le sociologue Gil Eyal, de l’université Columbia, voit les Mist’Aravim comme des “hybrides” distincts, qui exemplifient ostensiblement une situation dans laquelle le Juif devient un Arabe et modernise les dangers de l’Orient ; mais en pratique ce sont des imposteurs, capables de se débarrasser de leur déguisement instantanément et de revenir à volonté à une identité juive normale, de sorte qu’ils ne constituent pas une menace pour l’ordre social et politique. En tant que tels, selon Eyal, les Mist’Aravim rendent possible de parfaire la séparation entre Juifs et Arabes. Ils se situent sur la ligne frontière et la mettent à distance, nous aidant ainsi à forger un espace sûr – exempt d’arabe et exempt d’Arabes.

Il est hautement significatif que lorsque le débat public, si toxique soit-il, s’intéresse enfin  à la présence de l’arabe dans le champ collectif, il tourne autour de placards publicitaires promouvant une série télévisée sur les Mist’Aravim (et cela reste sans conséquence dans la mesure où l’on fait l’éloge du feuilleton pour sa présentation – relativement – équilibrée du conflit israélo-palestinien). Le plan cynique des communicants a réussi : après tout, même l’article que vous êtes en train de lire fait partie du buzz autour de la nouvelle saison de “Fauda”. L’usage de l’arabe dans le but d’effrayer les gens continuera à dominer le débat public en Israël aussi longtemps que cette langue demeurera étrangère, celle de l’ennemi et une menace pour l’identité juive.

L’arabe est le langage de la région dans laquelle nous vivons. Il est fou de le fuir, et lâche de n’en faire usage qu’au biais des fables héroïques de ceux qui prétendent être ses locuteurs originels. Les citoyens juifs d’Israël ont besoin de se familiariser avec l’arabe, non comme une langue mystérieuse, magique et dangereuse, mais comme faisant partie de leur vie quotidienne, pour ne pas parler de leur identité.


Notes & Références

[1] Le service de sécurité générale (Shérout Bita’hon Klali / שירות ביטחון כללי), familièrement dit “Shin Bet” d’après ses initiales, est en charge du contre-espionnage, d’abord au sein du Yishouv, la communauté juive en Palestine pré-étatique, puis en Israël depuis 1948. Un Israël aux frontières élastiques, les “spécialistes de la population arabe” connaissant de longue date tant les villages de l’autre côté de la ligne verte que ceux, ayant fui la guerre, qui se sont sont trouvés bloqués hors du nouvel État lors des accords d’armistice. La conquête des Territoires, en 1967, a quasiment officialisé les choses, les agents secrets du Shin Bet se considérant depuis chez eux en Cisjordanie, en partie annexée, en partie en voie de l’être. Six des anciens directeurs du Shin Bet, en désaccord avec la politique imposée par le gouvernement, ont accepté de témoigner , une fois à la retraite, dans le documentaire réalisé en 2012 par Dror Moreh, The Gatekeepers  >

http://www.allocine.fr/video/player_gen_cmedia=19497898&cfilm=216605.html

[2] Nesher, dans la banlieue de Haïfa, ville longtemps symbole d’une coexistence judéo-arabe harmonieuse. On peut ainsi lire au hasard de la toile qu’on y rencontre côte à côte « Juifs, musulmans, chrétiens et Druzes » ; sans compter, sur les pentes du Carmel, le Centre mondial Baha’ï, son mausolée et ses jardins. Les enjeux démographiques soulevés par la campagne de judaïsation de la Galilée ont cependant quelque peu changé la donne.

[3] Kiryat Gat, dans le nord du Néguev, est là-aussi un lieu sensible. La question des Bédouins – pâturant dans la région de temps immémoriaux en des zones réservées à telle ou telle tribu sans qu’aucun titre de propriété en ait jamais attesté dans cette culture orale et bien antérieure aux cadastres – s’impose de façon récurrente. Nous en avons largement traité déjà sur ce site au gré des expulsions et destructions d’installations. Voir tout récemment la traduction de l’article d’Orly Noy, Quand “démocratique” est plus dangereux que “juif”, éditée le 21 septembre 2017  >

https://www.lapaixmaintenant.org/quand-democratique-est-plus-dangereux-que-juif/

On peut se référer par ailleurs, sur l’ensemble de ces questions, à l’article de Jacques Benillouche, “Samarie, Galilée ou Néguev ?”, publié le 21 décembre 2017 sur Temps et Contretemps [DR]  >

https://benillouche.blogspot.fr/2017/11/samarie-galilee-ou-neguev.html

[4]  New Israel Fund : Advancing and protecting liberal democracy in Israel >

https://nif.org

[5]  Depuis le mois de mai, des milliers d’Israéliens (7 000 le 7 novembre) manifestent contre ce qu’ils appellent « the gas robbery »: le monopole d’exploitation des champs pétrolifères en bordure des côtes israéliennes attribué par Nétanyahou à la multinationale Noble Energy et à la compagnie israélienne Delek. Pour que ce marché soit annulé, une pétition est adressée à la cour Suprême ; des ministres et des hauts-fonctionnaires démissionnent – sans effet, le Premier ministre s’entête et la répression frappe. 62% des Juifs et 71% des Arabes israéliens disent ne pas comprendre … et l’inquiétude se fait jour quant aux  menaces qui pourraient peser sur des secteurs d’activité traditionnelle, comme la pêche.

[6] Institut Van Leer de Jérusalem : A leading intellectual center for the interdisciplinary study and discussions of issues related to philosophy, society, culture and education >

http://www.vanleer.org.il/en

[7] Dirasat : Arab Center for Law and Policy : >

http://dirasat-aclp.org/index.asp

[8] Sikouil / סיכויל, l’association pour le progrès de l’égalité civique en Israël dont le nom peut se traduire par chance, opportunité  >

http://www.sikkuy.org.il/en/about/

[9] Littérature : On comprend sous ce terme généraliste la littérature telle que nous l’entendons dans les cultures latines et en particulier en France, mais surtout, dans les cultures anglo-saxonnes très pragmatiques qui influencent l’université en Israël,, l’ensemble des articles universitaires et/ou scientifiques liés à un sujet donné.

[10, 11 & 12]

10 : Imposée par David Ben-Gourion, la formule Rak Ivrit fait, parfois rudement, la loi dans la rue : le lion travailliste, lui-même né en Europe de l’Est où le yiddish était la langue vernaculaire, est arrivé à la conclusion que seul un hébreu actualisé pourra rassembler le peuple juif en Palestine mandataire, puis dans le nouvel État dont il prend les rênes lors de sa fondation. Les femmes – lesquelles, la plupart du temps, ne connaissent que la judéo-langue (yiddish, judéo-arabe ou espagnol, etc.) et le langage du pays dont elles viennent pratiqué dans les échanges quotidiens avec la population locale – font les premières les frais de cette politique volontariste, dont les difficultés sont illustrées par quelques anecdotes. Les deux premières sont d’origine familiale : Ma grand-mère paternelle, venue de la proche banlieue de Varsovie et arrivée en Israël en 1948 après un long périple (en Union soviétique de la Sibérie à l’Ouzbékistan ; dans la Pologne d’après-guerre soumise aux pogromes ; en Rhénanie où le Joint les “héberge” dans les baraquements d’un ancien camp de concentration en Rhénanie ; et enfin à Paris durant deux ans d’attente sur les hauts de Belleville où toute la famille pique à la machine), racontait avec stupeur : « Je demandais mon chemin en montrant un papier où l’adresse était notée, et les passants se mettaient en quatre pour me guider ; ici, dans mon pays, on m’envoie balader sous prétexte que je ne parle pas hébreu ! » Mes parents, arrivés par le même bateau, s’étaient connus à Paris, où ma mère fine connaisseuse de la littérature classique (La Princesse de Clèves était son œuvre de prédilection) et issue d’une lignée de femmes nées en France et épousant une génération après l’autre de nouveaux immigrants était revenue à la Libération. Ils parlaient entre eux français, qu’elle tenait à lui enseigner à la perfection, et yiddish qu’elle avait appris, enfant, le mercredi centre Medem. Ils se faisaient rudoyer par les jeunes qui les entendaient au passage. Ce qui ne fut pas peu dans le choix de rentrer en France l’année suivante, une fois obtenu un visa pour mon père, qui avait perdu entretemps son statut de réfugié politique.

11 : Les suivantes concernent les Juifs “orientaux”(mizra’him / מזרחים) et sont extraites du roman semi-autobiographique d’Ami Bouganim, Le Cri de l’arbre (Montrouge, éd. Stavit, coll. “Méditerranée”, © 1983) :

« – Je m’ennuie, tu t’ennuies, ils s’ennuient, conjugue Mzel, en français, une note nostalgique dans la voix.Une intellectuelle, que la vieille folle ! Huit ans, elle a passés à chauffer les bancs de l’Alliance, jusqu’au Certificat, qu’elle a raté trois fois de suite, et avec lui sa vie. Dans quelques instants, elle déclamera du Racine, à moins que ce ne soit du Corneille. » (p.7)

« – Vieille mégère ! Je menais la belle vie là où j’étais moi ! Respecté des Juifs, honoré par les Arabes, et mon avenir encore devant moi. […]Yak a maudit ! Ya Fils du Péché ! C’est toi qui m’as entraînée dans cette galère ! Que la bouche de celui des deux qui ment tombe en miettes; amen ! » (p.8)

« La voix de Zohra, caressante comme une vague câline, débarbouille le silence

– Une belle journée, une journée de bonheur ! Que le nom du Nom soit béni.

Puis elle entonne une mélodie en judéo-espagnol. Elle chante comme elle prie comme elle respire.  Elle chante l’exil, un embrun nostalgique autour de la voix, l’exil de Jérusalem, l’exil d’Espagne, l’exil du Maroc. Souvent, elle s’embrouille dans ses innombrables exils, et elle passe d’une sérénade en espagnol à une chanson en français, d’une mélopée en arabe à un cantique en hébreu. La judéria de Tétouan – inextricable dédale de ruelles, qui montent et descendent, débouchent sur des patios où des femmes assises en cercle démêlent l’écheveau de leurs origines, serpentent à travers les ruelles du quartier arabe jusqu’aux champs d’orangers – se prolonge dans le mellah de Mogador – lacis de galeries tortueuses, qui plongent dans l’obscurité la plus noire, rejaillissent à la lumière, traversent une fourmilière humaine, coulent vers l’Océan. Sans cesse, les chants de Zohra reconstituent les décors fabuleux de son passé. Elle voyage, quitte le Maroc pour Séville où hier encore – quelques siècles auparavant – son aïeule, Dona Esteresa Toledano, défrayait la cour de Castille par sa beauté et sa grâce. Les siennes de beauté et de grâce, c’était Daniel Lombroso, le fils du Cheikh Amram Lombroso, Consul d’Italie à Mogador, qu’elles avaient conquis …

Et était né Yéhiel, Yéhiel de la maison des Lombroso, espagnol par sa mère, italien par son père, et que la main ! Les cinq doigts de la maille protègent du mauvais œil et de la médisance ! » (pp. 12-13)

« Zohra se perd dans ses souvenirs. Elle et son fils, elle revêtue de sa robe de mariée, qu’elle n’avait jamais portée depuis le jour de ses noces, lui enveloppé de sa djellaba blanche des grandes circonstances, avaient été dirigés vers un camp de toile, parcouru de rigoles qui drainaient ordures et excréments. Partout, des Mzel et des Yéshoua, le visage triste, hébété, et des queues interminables. Les gens faisaient la queue sans trop savoir pourquoi, se retrouvaient devant un médecin ou un psychologue, un fonctionnaire qui, imperturbable, s’enquérait de leurs besoins, devant un délégué de la Histadrout qui opérait son infâme sélection :

– Seuls ceux qui savent lire et écrire !

Qu’avait-on besoin de savoir lire et écrire pour déplacer des pierres, cueillir des pommes, planter des arbres ? L’après-midi, les Juifs regagnaient leurs tentes, terrassés par la chaleur. Ils se contaient leurs mésaventures, se consolaient en récitant des psaumes, ruminaient leur nostalgie.

– Chante, mamia, chante ! l’exhortait Yéhiel, autrement nous céderions au désespoir.

Au bout de quelques semaines, les gosses du camp, les Roumains comme les Marocains, scandaient  l’hymne de leurs malheurs, en judéo-espagnol. […] Et lorsque Ben-Gourion était venu inspecter ces miraculés du sionisme, une chorale d’enfants, dans les bouches desquels il aurait volontiers mis l’Internationale, lui conta les déboires de Rahel, l’épouse du Gouverneur de Cordoue …

Flatté par l’accueil enthousiaste qui lui avait été réservé, l’illustre dirigeant s’était empressé de donner l’ordre à à ses sbires de déposer des bombes dans le quartier juif de Bagdad pour  h^ter l’immigration de ses habitants. » (pp. 16-17)

12 : Concernant le travail d’Éliézer Ben-Yéhudah pour parvenir à la reviviscence de l’hébreu – à grand renfort de néologismes rendant compte du monde moderne fondés sur le système syntaxique des langues sémitiques, juives ou non, qui ont continué d’évoluer dans la région – on pourra lire sur ce site la traduction de l’article de Seraj Assi, “Éliézer Ben-Yéhudah se retourne dans sa tombe en voyant la langue arabe rabaissée”, éditée le 30 juin 2017 >

https://www.lapaixmaintenant.org/eliezer-ben-yehudah-se-retourne-dans-sa-tombe-en-voyant-la-langue-arabe-rabaissee/

[13] Mist’Aravim / מסתערבים : pourrait être construit sur la racine סתר (caché, déguisé) > https://www.youtube.com/watch?v=Ao8wkxSwOvs

[14] Palma’h / פלמ »ח : acronyme de Plougot Ma’ḥatz (litt. Unités de choc). Le Palma’h est créé en 1941 face à la menace d’une percée en Palestine des forces nazies dirigées par Rommel. Suite à un accord entre les état-majors de la Haganah et de l’armée britannique, l’unité sera armée et entraînée par les Anglais, qui leur inculquent les bases du combat militaire et du sabotage. Avec l’issue de la guerre, le Palma’h joue un rôle primordial dans la lutte sioniste contre le gouvernement mandataire britannique, orchestrant la libération du camp de réfugiés d’Atlit ; des actions de sabotage de ponts, de stations de radars, de véhicules policiers, de navires de patrouille et de bateaux de la marine royale chargés d’arraisonner les rafiots de nouveaux immigrants. Le Palma’h participe activement à l’immigration illégale et à l’accostage des bateaux sur les côtes palestiniennes. Outre leur préparation militaire, les membres du Palma’h sont formés au travail de la terre en vue de futures implantations. C’est ainsi qu’ils fondent en 1944 le kibboutz Beït Keshet. Du 29 novembre 1947, date du vote de l’assemblée générale de l’ONU en faveur de la création d’un État juif en Palestine, à la déclaration d’Indépendance le 14 mai 1948, l’activité principale du Palma’h tient dans la lutte pour le contrôle des routes, la protection des convois juifs, les assauts contre les bandes armées arabes et la prise des positions ennemies. Une fois l’État proclamé, et David Ben-Gourion en ayant aussitôt pris les rênes, le Palma’h est intégré dans Tsah’al – l’Armée de défense d’Israël, formée de bric et de broc autour de la Haganah et jetée avec de nouveaux immigrants à peine débarqués, dont la plupart ne comprennent pas les ordres qui leur sont lancés, dans la guerre avec les pays arabes alentour. Les officiers du Palma’h, aguerris, en forment les cadres, avant de voir le 7 novembre 1948 leur état-major démantelé sous prétexte d’unification.

[15] Muslims in Europe, décembre 2012 – documentaire de Zvi Yehezkeli en quatre parties : 1/ L’Isolement ; 2/ Loi de la Charia ou loi de l’État ; 3/ Le Terrorisme ; 4/ Les Juifs d’Europe. >

https://www.youtube.com/watch?v=hR7REARFFpQ


L’Auteur

Amit Levy prépare une thèse de doctorat au département d’histoire de l’université hébraïque de Jérusalem.