Pourquoi Israël penche à droite
Ha’aretz 22 juillet 2010
Traduction : Yoël Amar pour La Paix Maintenant
[->http://www.haaretz.com/blogs/strenger-than-fiction/strenger-than-fiction-why-israel-keeps-moving-right-1.303450]
Israël a sombré dans un isolement toujours plus grand ces dernières
années. Depuis que Benyamin Netanyahou est revenu aux affaires en 2009,
cette situation s’est largement aggravée. La communauté internationale est
supposée être amadouée par la tactique suivante : dès que la question de
la colonisation est mise sur la table, Netanyahou réplique en évoquant la
menace du programme nucléaire iranien. Il considère que le monde fait
face à une situation comparable à celle de 1938, et que son attitude
ressemble à celle de Neville Chamberlain tentant d’apaiser Hitler. Le
monde ne gobe pas les arguments de Netanyahou. Sa politique des
faux-fuyants vis-à-vis du processus de paix est perçue comme une ruse
cynique camouflant une intention véritable de conserver les territoires
occupés.
Cette explication ne tient cependant pas suffisamment compte du fait que
la rhétorique de Netanyahou épouse parfaitement l’état d’esprit paradoxal
de l’électorat israélien. Les sondages nous montrent constamment que
70% des Israéliens sont favorables à une solution à deux Etats. Dès lors,
pourquoi la population israélienne penche-t-elle toujours plus vers la
droite depuis dix ans ? Pourquoi Netanyahou est-il si populaire en Israël ?
Et pourquoi l’opinion israélienne est-elle à ce point incapable d’accepter
les critiques sur la politique menée ?
Ce phénomène peut être compris comme une tendance universelle de l’esprit
humain découverte par la recherche en psychologie existentielle depuis
une vingtaine d’années. Sous l’effet d’une menace, et particulièrement
d’une menace mortelle, les humains tendent à réagir psychologiquement en
se retranchant sur leurs visions des choses. Ces positions, qui incluent
les discours identitaires sur le bon droit, deviennent de plus en plus
rigides dans ces circonstances, conduisant à toujours plus de méfiance, de
haine et de préjugés envers les autres « factions ». Toute critique de
son camp ou de ses positions est alors catégoriquement rejetée.
Cette théorisation du virage à droite de la société israélienne reflète la
sensation d’une menace existentielle. Pour un observateur extérieur, cela
peut sembler absurde, si l’on a conscience qu’Israël est une puissance
militaire régionale d’envergure, disposant de l’arme nucléaire, tandis
que les Palestiniens n’ont même pas d’ armée. Il n’en demeure pas moins
que les sondages montrent régulièrement que les Israéliens s’inquiètent
profondément pour la survie du pays.
Une partie de l’explication est évidente : deux menaces réelles sont
apparues ces dernières années. La première est la possibilité que l’Iran
accède au statut de puissance nucléaire, une éventualité que la plupart
des Israéliens considèrerait comme une catastrophe. La seconde menace
provient de groupes comme le Hezbollah et la Hamas, qui sont passés de la
tactique des attentats-suicides au bombardement à la roquette sur Israël.
Pour la première fois depuis 1973, l’Etat d’Israël fait face à une menace
militaire contre laquelle il n’y pas de réponse immédiatement efficace.
En conséquence, Israël a lancé deux attaques massives, au Liban en 2006 et
contre la bande de Gaza à la fin de 2008 avec l’idée que le prix à payer
pour ces bombardements doit être une vague de destruction à grande
échelle. Cela a évidemment conduit à un isolement international sans
précédent.
L’électorat israélien a réagi a cette série d’événements exactement comme
le prédit la psychologie existentielle : pendant l’opération « plomb durci
», les Israéliens étaient incapables de tolérer la moindre critique
concernant les destructions massives à Gaza, et aux élections de 2009, la
droite a triomphé tandis que la gauche était balayé.
On tombe alors dans un cercle vicieux où Israël a l’impression que les
menaces existentielles ne sont pas prises en compte. Les électeurs se
tournent alors vers les dirigeants qui abordent le plus ces questions,
mais qui de ce fait renforcent encore cette peur. La communauté
internationale devient toujours plus critique, ce qui renforce l’isolement
d’Israël et donc son angoisse quant à son existence.
La conséquence de tout cela est très dommageable. La meilleure manière
pour Israël de réduire la menace du Hamas et du Hezbollah et de contrer
l’influence de l’Iran au Moyen Orient est de répondre à l’initiative de
paix de la Ligue Arabe. Si Israël normalisait ses relations avec les pays
arabes et la plupart des pays musulmans, avec la Syrie en particulier, le
Hezbollah et le Hamas seraient si isolés qu’ils ne pourraient plus avoir
recours à la violence armée et devraient reconnaître le droit à
l’existence d’Israël.
Choisir cette voie exige d’Israël qu’il prenne un risque assumé, et qu’il
mise sur la dynamique d’un processus de paix. Mais c’est précisément ce
qu’Israël est incapable de faire après le traumatisme qu’a constitué la
seconde intifada et le bombardement du sud d’Israël par le Hamas. Les
Israéliens préfèrent l’isolement international plutôt que de dépendre de
partenaires arabes pour sa sécurité.
Existe-t-il un moyen de sortir Israël de sa méfiance croissante envers le
monde extérieur ? Les expériences de psychologie existentielle suggèrent
deux méthodes : la première est évidemment de réduire la menace
existentielle, qu’elle soit une réalité ou seulement un sentiment. La
seconde est de réduire le sentiment d’isolement.
L’administration Obama a mis en pratique ces deux techniques. En
renforçant la coopération en matière de sécurité avec Israël, en
augmentant son aide militaire, particulièrement en associant Israël à son
système de bouclier anti-missile développé pour parer la menace de
missiles de courte portée, tels que ceux utilisés par le Hezbollah et le
Hamas. Obama a également changé son fusil d’épaule avec Netanyahou en
l’accueillant chaleureusement à Washington après presque un an de relation
glaciale. Selon la plupart des observateurs, cela ne reflète pas un
changement de politique. Obama est résolu à mettre en œuvre une solution à
deux Etats, mais il est arrivé à la conclusion qu’enlacer Israël mènera
plus sûrement à cette fin que de l’isoler.
La vraie question est de savoir si cela aura une influence quelconque sur
les conceptions de Netanyahou en matière de sécurité, ce dernier
considérant qu’Israël doit maintenir certaines zones de Cisjordanie sous
contrôle pour pouvoir parer à toute attaque militaire en provenance de
l’Est. Dès lors que cela empêche les Palestiniens de disposer d’un
territoire continu, cela sera inacceptable pour eux et pour la communauté
internationale.
Personne ne connait la stratégie à long terme de Netanyahou, et parfois je
me demande même s’il en a une. Mais il y a un moyen simple de mesurer un
éventuel changement. La tension monte ces derniers temps entre Netanyahou
et son ministre des affaires étrangères d’extrême droite Avigdor
Lieberman. Le jour où Netanyahou formera une nouvelle coalition en
remplaçant Lieberman et les faucons du parti Israël Beitenou par le parti
Kadima de Tzipi Livni, nous aurons un indicateur fort d’un authentique
progrès vers une solution avec les Palestiniens.