Après l’éviction des “princes” du Likoud aux primaires du parti, le président de Ysrael Beïteinu, Avigdor Lieberman, a promu des révisionnistes [1] de seconde génération aux dépens de ceux qui furent jusqu’ici ses loyaux alliés. Cela ouvre-t-il la voie à une prise du Likoud ?


Avigdor Lieberman est le sphinx de la politique en Israël : impénétrable, calculant en silence et prévoyant dix coups à l’avance. Il ne fait jamais rien sans raison, mais ne vous attendez pas à ce qu’il vous la donne. Prenez, par exemple, la surprise majeure de la série des candidats présentés par Ysrael Beïteinu dans le cadre de leur liste commune avec le Likoud : son fidèle adjoint et travailleur de force, Dany Ayalon, n’en fait pas partie. Exactement comme Léon Trotsky sur les photographies anciennes des révolutionnaires bolcheviques, Ayalon s’est volatilisé.

Les membres du parti tournent en rond en quête d’explication. Certains murmurent sombrement que quelque chose a dû se passer entre les deux hommes, amenant le leader à douter de son homme-lige, jusque-là digne de confiance ; mais il est notoire que Lieberman soupçonne tout le monde. Il est également possible qu’Ayalon paie finalement, avec trois ans de retard, l’embarrassant incident de la “chaise basse”, au cours duquel il avait humilié publiquement l’ambassadeur turc. Israël pourrait être sur le point de se rapprocher d’Ankara et Ayalon serait l’agneau sacrificiel. Mais les Turcs n’ont jamais laissé entendre qu’ils voulaient sa peau – ils ont formulé d’autres exigences. Peut-être le vice-ministre des Affaires étrangères était-il simplement en surnombre, et Lieberman avait-il d’autres candidats perçus comme plus utiles au regard de ses objectifs.

Certains commentateurs ont détecté récemment un changement de ton de la part de Lieberman. Toujours tenant de la ligne dure et doté de sang-froid, disent-ils, il n’en montre pas moins des signes de pragmatisme. Cette différence de ton s’afficha il y a deux semaines, lors de la conférence de presse qui suivit le cessez-le-feu intervenu dans le conflit de Gaza, quand le ministre des Affaires étrangères fit sans s’étouffer l’éloge du gouvernement égyptien pour son implication [dans la sortie de crise]. Alors, est-ce la marque du Lieberman respectable, nouveau, préparant le terrain afin de succéder à Benjamin Netanyahu au poste de Premier ministre ?

La liste de Ysrael Beïteinu n’est en aucun cas une liste modérée. Le visage nouveau, Yaïr Shamir, est celui d’un homme d’affaires qui a réussi, mais sa vision politique est identique à celle – ne pas céder d’un pouce – de son défunt père, l’ancien Premier ministre Yitzh’ak Shamir. Cela est également vrai des autres membres de la liste, dont aucun ne saurait être qualifié de modéré. ils sont, par ailleurs, respectables, solides et dignes de foi. Anastassia Michaeli, avec son fol archaïsme, est partie ; de même que Stas Misezhnikov, le ministre dont le style de vie conduisit même ses gardes du corps à rompre leur obligation de silence et à se plaindre à la presse. C’est une galerie de candidats ternes, à la respectabilité presque rassurante, le seul éclat de couleur provenant de l’ancien modèle Orly Levy-Abecassis, propulsée vers le haut de la liste en reconnaissance du solide travail parlementaire qu’elle a effectué sur les droits des enfants. Levy-Abecassis est aussi la fille de l’ancien ministre des Affaires étrangères David Levy, ce qui fait d’elle une authentique princesse du Likoud. Depuis l’éviction hors de la liste du parti, lors des primaires, de ses pairs “princes” du Likoud Benny Begin et Dan Meridor, c’est Lieberman qui veille sur les rejetons (Yaïr Shamir et Uzi Landau, ministre de l’Énergie et des Ressources en eau, dont le père fut lui aussi un ministre du Likoud) des compagnons de combat de l’époque mandataire [2].

Ysrael Beïteinu fut fondé au départ, en 1999, comme un parti ethno-centré, nommément destiné aux immigrés russes. Aujourd’hui, seuls trois des dix candidats en tête de liste derrière Lieberman sont originaires de l’ex-Union Soviétique.

À la suite des primaires de la semaine dernière, nombreux sont les membres et les électeurs du Likoud qui considèrent que ce parti ne leur appartient plus, que leur fière famille politique a été kidnappée par de cyniques maquignons. Lieberman n’a pas seulement fusionné son parti avec le Likoud, il a entrepris de démontrer que le véritable Likoud, c’est lui.


NOTES

[1] Fondé à Paris à la fin du XIXe siècle sur une base essentiellement nationaliste par Vladimir Jabotinski, le mouvement sioniste révisionniste se constitue au sein de l’organisation sioniste en opposition au courant sioniste-socialiste fortement majoritaire – le Poalei-Tzion (“Ouvriers de Sion”) et les jeunes du Hashomer Hatzaïr (“La Jeune Garde”) pour les plus radicaux – dont les membres partent fonder des kibboutzim en Palestine. Une vision collectiviste de la société en formation bien différente de celle des Sionistes généraux, petit courant représenté par H’aïm Weizman ; et surtout aux antipodes de celle du courant révisionniste qui se constitue en parti en 1925, pour donner naissance en 1949 au H’erouth (“Liberté”) de Mena’hem Begin – matrice de l’actuel Likoud. Ajoutons à ce panorama idéologique un courant sioniste-religieux qui ne commencera à grossir qu’après 1967. [NdlR].

Pour en savoir plus : Histoire de la droite israélienne, de Jabotinsky à Shamir, de Marius Schattner, paru en 1991 aux éds Complexe.

[2] Au sein, en particulier pour la mouvance ici concernée, de l’Irgoun (abréviation de “Irgoun Tzvaï Leoumi – 0rganisation militaire nationale”, parfois désignée par son acronyme “Etzl”) et du Leh’i (acronyme de “Loh’amei H’erouth Israel – Combattants pour la Liberté d’Israël”, ou Groupe Stern, du nom de son fondateur). [NdlR].

Pour en savoir plus : [->http://www.akadem.org/medias/documents/3987_Doc6_Irgoun_GroupeStern_Lehi.pdf]