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Ha’aretz, 15 août 2005
Trad. : Gérard Eizenberg et Claudine Korall pour La Paix Maintenant
Pendant des décennies, les colons ont su trouver les points faibles et les maux qui affectent la société israélienne et les exploiter à leur avantage. Menés par une intuition très fine, ils ont opéré dans les zones grises de l’âme juive-israélienne, là où se mêlent les angoisses, les cauchemars du passé, le désir de vengeance et l’espoir de rédemption. Ils ont succombé à la tentation, en général réprimée, de se laisser aller à l’ivresse du pouvoir, après des milliers d’années d’humiliation. Ils ont écouté ce que leur dictait leur désir, tout humain, de soumettre les considérations rationnelles et les exigences de la réalité à des notions inflexibles de foi religieuse messianique. Par-dessus tout, ils ont su exploiter la blessure profonde de l’expérience juive, celle de la victime sacrificielle, et convaincu beaucoup de monde que ce sacrifice justifiait en lui-même toutes les injustices.
La guerre sans merci qui est menée par les activistes de Cisjordanie contre le plan de désengagement, et leur attitude dédaigneuse à l’égard de ce qui est précieux aux yeux de la majorité des Israéliens, tout cela rend certainement plus difficile de réagir à l’évacuation en elle-même, à ce déracinement violent,, et, parfois, obère une tendance naturelle qu’on pourrait avoir de s’identifier, tout simplement, à la peine de ceux qui sont déracinés.
Peut-être cela s’explique-t-il par les fait que les colons se sont toujours institués en une sorte d’entité monolithique et impersonnelle. Ils n’hésitent même pas à se servir de leurs enfants comme instruments de leurs protestations et de leurs provocations. Pourtant, les partisans du désengagement et tous ceux qui, pendant des années, ont lutté contre les colons, se tromperaient s’ils déniaient à leurs rivaux leur complexité humaine et idéologique, alors que ces derniers connaissent leurs heures les plus difficiles, et s’ils les traitaient comme des arguments politiques et religieux et non comme des êtres humains. Cela ne ferait qu’aggraver les graves maux qui touchent la société israélienne, et cette déshumanisation totale et mutuelle, prélude d’un affrontement et – à Dieu ne plaise – d’une guerre.;
Il nous faut, aujourd’hui même, respirer profondément et nous rappeler que, au bout du compte, les jours à venir sont des jours de deuil pour tous les Israéliens. Pleurons sur la douleur personnelle et idéologique des colons dont les rêves ont été brisés. Pleurons sur le fait qu’Israël s’est lancé dans une aventure si dangereuse et si irréaliste, telle la création du Goush Katif. Pleurons sur le fait que l’Etat se soit mis tout seul dans la position d’où il est forcé de faire cette chose violente, brutale et quasi guerrière à des milliers de ses citoyens. Pleurons sur le fossé abyssal qui s’est créé chez nous et sur le désastre qui pourrait s’abattre sur nous. Pleurons sur la situation où nous sommes pris au piège, un Juif se comportant vis-à-vis d’un autre Juif avec une hostilité étrangère et nue, en complète opposition à nos propres intérêts existentiels.
Les Israéliens, « bleus » comme « orange », peuvent pleurer aujourd’hui sur la passion, et l’esprit pionnier qui pendant des années a poussé des gens vers le Goush Katif, et qui bientôt se dissipera comme de la fumée, et sur le tissu social qui sera détruit dès demain. Pleurer, aussi, sur toute cette énorme énergie qui aurait pu accomplir tant de choses si elle avait été investie ailleurs, dans le réel et non dans l’illusoire. Pour les évacués, dont la vie va changer pour toujours et qui porteront probablement toujours les cicatrices de ce qui leur sera fait demain, pour les hommes, les femmes et les enfants qui ont donné leurs vies pour leur foi – ou pour leur naïveté. Pleurons pour le million et demi de Palestiniens dont la vie a été un enfer pendant tant d’années à cause d’une situation d’apartheid qu’ont créée les colonies. Et pour les centaines de soldats qui ont été tués alors qu’ils défendaient cette inutile entreprise de colonisation. Nous devons tous pleurer pour les pertes terribles, humaines et matérielles, que connaîtra la nation tout entière.
Au bout du compte, le déracinement des colonies et de leurs habitants est un acte où tout citoyen israélien a un rôle et une responsabilité, quelle que soit son opinion. Quiconque participe au système démocratique qui a pris cette décision en est signataire. Peut-être la manière la plus humaine, la plus éthique pour tout Israélien de participer est-il de s’exposer lui-même à ces sentiments de deuil, d’essayer de les voir dans toutes les insupportables contradictions. Peut-être est-ce la manière pour nous de continuer ensemble dans ce processus douloureux et irréversible, de panser quelques-unes de nos blessures et de nous sauver de la tempête qui menace de s’abattre sur nos têtes.