Le 7 mai, la Cour suprême a vertement rejeté la demande du gouvernement de retarder la destruction d’Oulpana, et ordonné son démantèlement avant le 1er juillet 2012.
La formation surprise d’une nouvelle majorité changera-t-elle la donne ? Oulpana sera un test pour le gouvernement fraîchement nommé : la stabilité récemment acquise (94 députés) lui permettra-t-elle de se soumettre à l’injonction de la Cour et de procéder à l’évacuation des colons, qui seraient relogés à l’intérieur d’Élon Moreh ? Ou en usera-t-il pour faire passer une loi lui permettant de contourner la décision de la Cour suprême ?
C’est le devenir d’un fondement essentiel de la démocratie israélienne qui est en jeu.
Des évolutions lourdes de conséquences se font jour dans la société israélienne, qui concernent tout à la fois l’indépendance de la justice et le statut des implantations dans les territoires occupés. Leurs effets peuvent s’avérer désastreux pour l’image d’Israël et, plus important encore, sur les possibilités de parvenir à un accord entre Israéliens et Palestiniens sur le principe de « 2 peuples 2 États ».
De quoi s’agit-il ? De la décision adoptée vendredi 27 avril par le gouvernement israélien, non seulement de surseoir à la mise en œuvre, requise par la Cour suprême, de l’évacuation du quartier illégal de Beith-El, Oulpana ; mais, plus fondamental encore, de revoir les principes généraux jusqu’alors constitutifs de la politique du gouvernement israélien s’agissant de la construction d’implantations sur des terres privées palestiniennes.
Menahem Begin, alors Premier ministre, avait institué depuis l’affaire d’Élon Moreh [1] une véritable doctrine selon laquelle, d’une part on ne construit pas sur des terres privées appartenant à des Palestiniens ; d’autre part, on respecte et applique intégralement les décisions de la Cour suprême dès lors qu’elles sont rendues et ce, quoi que le gouvernement puisse en penser.
Dans le cas présent, à la différence de la position du gouvernement dans l’affaire de Migron, il ne s’agit plus de différer l’exécution de la décision rendue mais d’obtenir son annulation, tordant ainsi les entrailles de ceux qui prônent “le respect de la chose jugée”. C’est en outre une atteinte au principe en vertu duquel on respecte la propriété des Palestiniens en ne construisant pas sur leurs terres contre leur gré.
Au cœur des dissensions se trouvent cinq immeubles illégaux où demeurent une trentaine de familles environ. Le conflit est donc d’une ampleur certaine et n’a rien à voir avec l’évacuation d’une simple roulotte implantée au sommet d’une colline “au milieu de nulle part”, évacuation à laquelle il n’était déjà pas simple de procéder…
À la Cour suprême, qui avait ordonné l’évacuation avant la date limite du 1er mai, le gouvernement réplique en s’accordant un délai de 3 mois – non pour la mettre en application mais pour décider s’il va s’y plier. Pareille décision est sans précédent en Israël, comme dans tout pays démocratique respectueux de l’indépendance de la justice et soucieux de ce fait de sauvegarder la séparation entre les sphères juridique et politique.
Levi Eshkol, ancien Premier ministre, avait bien dit : « J’ai promis … mais je n’ai pas promis de tenir ma promesse. » Selon les commentateurs, cependant, jamais il n’aurait pensé à la Cour suprême.
Cette décision gouvernementale marque un recul par rapport à la “doctrine d’Élon Moreh”, laquelle s’est somme toute avérée assez favorable au développement des colonies. Certes, on ne construisait généralement pas sur des terres privées appartenant à des Palestiniens ou, lorsque cela se produisait, on évacuait les implantations si une procédure était engagée et aboutissait. Mais les colons s’installaient alors sur une colline avoisinante et, au final, la décision prise par Menahem Begin n’a en rien entravé l’expansion des colonies tout en préservant relativement l’image d’Israël – qui faisait ainsi l’économie de la réprobation des pays alliés. D’aucuns considèrent que, fort de cette situation, le gouvernement a fini par se croire tout permis ; il aurait, semble-t-il, décidé de passer à la phase suivante. Il n’est cependant pas sûr que cette nouvelle orientation facilite l’essor des colonies.
Elle constitue au reste une atteinte au sionisme selon l’acception à laquelle Menahem Begin s’était rangé. Le juge Landau, lorsqu’il a rendu son célèbre arrêt, s’est certes fondé sur le droit international et le droit israélien, mais aussi sur une approche du sionisme stipulant le droit des Juifs de s’installer en Israël et de développer leur emprise sur le pays sans pour autant porter atteinte aux droits des Palestiniens et les expulser de leurs terres.
Il est difficile, en outre, de ne pas s’interroger sur le mode de fonctionnement du conseiller juridique du gouvernement. Pour la première fois, c’est un avocat issu du privé qui a été nommé à ce poste. Lors de cette nomination, plusieurs voix se sont élevées pour s’interroger sur la capacité de cet avocat à prendre en compte l’intérêt général par delà celui de ses “clients”. Ce qui vient de se passer semble leur donner raison. Le conseiller juridique s’est comporté en avocat soucieux de ses seuls clients, en l’occurrence les politiques au pouvoir. Yéhuda Weinstein blanchit ce qui est noir, alors que la fonction de conseiller juridique est d’agiter un carton rouge chaque fois que le gouvernement est sur le point de franchir les limites du droit et du respect des valeurs fondamentales de la démocratie. Il est des choses interdites, fût-ce au gouvernement….
Sa décision va compliquer des évacuations déjà décidées mais encore à exécuter, et l’armée aura plus de mal à lutter contre les mesures de rétorsion des colons envers les civils palestiniens. Chaque évacuation risque de devenir un nouvel Amona [2]. L’opposition des adversaires à toute évacuation est d’autant plus forte qu’ils constatent que le refus paye. Les “politiques” interviennent et obtiennent gain de cause : avant-hier le report d’une décision, hier la légalisation d’implantations dites “sauvages”, aujourd’hui la modification de la doctrine elle-même… Et demain ?
Ceux qui se réjouissent du tournant pris par le gouvernement israélien font remarquer qu’il était temps qu’entre en vigueur la nouvelle ligne sur laquelle le gouvernement avait été démocratiquement élu. Il n’y a aucun effet de surprise : la ligne suivie est conforme au programme électoral auquel a adhéré une majorité d’Israéliens. Ils insistent en outre sur le fait que jamais à Tel-Aviv on n’aurait procédé, par exemple, à l’évacuation et la destruction d’une école construite sur un terrain privé. Un compromis aurait été cherché et trouvé. Une indemnisation aurait été offerte, en rapport avec le dommage causé. Ce qui vaut d’un côté de la ligne verte ne vaudrait-il plus de l’autre ?
Les tenants de cette politique contribuent ainsi, sans doute à leur corps défendant, à la clarification des données du problème ; on touche – enfin ! – aux sources même de la question, le conflit. Chose que l’on s’était efforcé d’éviter jusqu’à présent en se réfugiant derrière les seules règles du “droit” : quelles frontières pour quel État ?
NOTES
[1] Élon Moreh est sur son emplacement actuel, au nord-est de Naplouse, depuis 1980 – après de multiples tentatives d’implantation dans la région de Sichem dès 1970. En 1975, épisode célèbre, les colons s’installèrent dans l’ancienne gare de Sébastia, mais furent obligés de se déplacer sur une base militaire. En 1979, le gouvernement, alors dirigé par M. Begin, leur permit de s’installer au sud de Naplouse. Une injonction de la Cour suprême, présidée par le juge Moshé Landau, déclara illégale cette nouvelle tentative : les terres étant privées, l’armée ne pouvait les confisquer que pour répondre à des impératifs militaires, en aucun cas pour y loger des civils. À l’époque, plusieurs centaines de militants de Shalom Akhshav avaient manifesté pendant près de 24 h d’affilée et Ézer Weizmann, alors ministre de la Défense, s’était porté sur les lieux en hélicoptère pour assurer que l’implantation serait démantelée. Ce qui fut fait… les colons se voyant alors autorisés à s’établir sur des « terres d’État », éligibles elles à l’installation de civils.
[2] Amona avait été créée en 1997 par de jeunes colons venus d’Ofra. Fin 2005, une trentaine de familles vivaient dans cet avant-poste installé sur des terres privées palestiniennes et, de ce fait, jamais reconnu par le gouvernement israélien. Cette même année, neuf maisons » en dur » y furent construites, ce qui entraîna un recours de Shalom Akhshav devant la Cour suprême, laquelle décida alors la destruction de ces bâtiments. Le 1er février 2006, 10 000 policiers, gardes frontières et soldats furent mobilisés pour assurer la destruction de ces maisons face à 4 000 opposants, dont plus d’un millier usant de violence. Les heurts furent brutaux, davantage encore que ceux intervenus lors du désengagement de Gaza en 2005. On dénombra plus de trois cents blessés, dont 80 membres des forces de sécurité – par la suite critiquées pour la manière dont cette manifestation fut maîtrisée.
SOURCES
Cet article s’appuie sur la lecture d’articles de plusieurs journaux israéliens traitant de cette question, et notamment :
• celui publié par Akiva Eldar dans Ha’aretz du 24 avril dernier, “Israel’s Ulpana neighborhood is built on years of land theft and forgery” (Le quartier israélien d’Oulpana est construit sur des années de vol de terres et de falsifications) :
[->http://www.haaretz.com/news/features/israel-s-ulpana-neighborhood-is-built-on-years-of-land-theft-and-forgery-1.426140]
• celui de Moran Azulay sur YNet du 27 avril, “State defying rule of law on Ulpana” (L’État défie la loi à propos d’Oulpana) :
[->http://www.ynetnews.com/articles/0,7340,L-4221457,00.html]
ainsi que sur le suivi d’émissions de radio et de télévision durant la période, comme “Yoman”, diffusé le 27 avril 2012.