Quatre de ses enfants sont partis en Israël au titre de la loi du Retour, qui s’applique aux Falash Mura – convertis de force au christianisme depuis des décennies – moyennant des “origines juives par la lignée maternelle” et un processus de “retour au judaïsme” une fois en Israël… Mais ni Yevzalam Ailéo, leur mère, ni ses deux plus jeunes enfants issus d’une seconde union n’ont pu en bénéficier.
Différence de traitement que le ministère de l’Intérieur justifie par la judéité “en lignée maternelle” de son premier mari, le père des quatre aînés… La variante porte donc, concernant les enfants, sur l’origine des pères et non celle de la mère – que l’on rejette dès lors au nom du critère même que l’on vient de violer tout en s’en prévalant… En oubliant un autre principe, de droit international celui-là, la réunion des familles. Vous avez dit Kafka ? Arcanes de la bureaucratie, en tout cas.
Mais pas seulement. Au sein du gouvernement, on envisage au même moment d’alléger les procédures de conversion au judaïsme pour les nombreux non-Juifs et surtout non-Juives immigré(e)s en Israël avec leurs conjoints… sans doute au titre de la réunion des familles et d’un fort bénéfice démographique pour Israël. Précisons-le, contrairement aux Falash Mura, juifs par leurs ancêtres, ces orthodoxes ou catholiques depuis la nuit des temps ont l’avantage d’être slaves.
Combien de poids et combien de mesures !
Yezvalam Ailéo est devant l’ambassade d’Israël à Adis et regarde l’un des derniers groupes de Falash Mura en partance pour l’aéroport et l’avion vers Israël.
« Je ne comprends pas qu’ils ne me laissent pas partir », dit la vieille femme, encore en deuil de son fils, Evéké, victime d’un accident du travail deux mois plus tôt. Elle a toujours sur elle sa photo encadrée. « Ils ne me croient pas juive, mais quatre de mes enfants et dix-huit petits-enfants sont en Israël en tant que Juifs, alors comment peut-on m’empêcher de vivre avec eux ? »
Tous les dilemmes, les controverses et le ressentiment liés à la saga des Falash Mura se retrouvent dans l’histoire de Yevzalam. Il y a quinze ans, elle est arrivée du Gondar à Addis avec ses six enfants et, à l’instar des autres Falash Mura, elle a demandé à Israël de les reconnaisse pour juifs et de leur permettre d’immigrer. Ses quatre aînés ont bénéficié de la loi du Retour et sont venus en Israël avec leurs familles, tandis que Yevzalam restait en Éthiopie avec les deux plus jeunes fils. Elle a été prise en charge au complexe Falash Mura jusqu’à sa fermeture en 2004. Son second mari, Makété, est mort cette année dans un accident de la circulation, et Evéké l’a aidée jusqu’à sa propre mort. Elle vit maintenant avec son fils de 22 ans, et ses enfants lui transfèrent de l’argent depuis Israël.
Toutes les requêtes déposées par ses enfants auprès du ministère de l’Intérieur à Jérusalem se sont vues repoussées. Yevzalam n’entre pas dans le cadre de la loi du Retour, non plus qu’elle ne répond au critère d’émigration des Falash Mura – “descendre de Juifs par la lignée maternelle” – en vertu duquel elle pourrait entrer en Israël et en acquérir la nationalité après avoir opéré un “retour au judaïsme”.
Avec la fin, programmée pour le moi prochain, de l’émigration d’Éthiopie encadrée par les autorités, les petits-enfants ont repris à leur compte la cause de Yevzalam. Amsalo Lagas, élève de terminale au lycée hébraïque (Gymnasia ha-Ivrit) de Jérusalem a posté sur Facebook une lettre ouverte au ministre de l’Intérieur Guidon Saar, l’appelant à intervenir en faveur de sa grand-mère. Amsalo est en Israël depuis douze ans, et représente une génération bien moins patiente que celle de ses parents. Le ressentiment qu’il éprouve quant à la façon dont on a traité sa grand-mère est net.
« Son rêve, dit-il était de venir à Jérusalem et Sion – ce qui a fait partie de la vie et des aspirations de notre famille des années durant. Et ici, personne ne s’intéresse à nous. Elle ne compte tout simplement pas. Nous nous engluons dans d’insolubles problèmes bureaucratiques. Nous sommes prêts à mettre nos existences en danger à l’armée, à contribuer à la nation, mais le gouvernement ne fait pas le strict minimum pour amener ici notre grand-mère, notre propre chair. »
« Cela fait quinze ans que nous essayons de la faire venir, dit sa cousine ’Hen Asmamo. Je ne comprends pas qu’ils ne puissent pas résoudre ce problème. Ce ne sont que discussions contradictoires et sans fin où chacun tente de prouver qu’il a raison. Pourquoi les travailleurs étrangers du Soudan et d’Érythrée peuvent-ils vivre ici, alors qu’on l’interdit à des Juifs, partie intégrante de notre peuple ? »
’Hen n’accepte tout simplement pas l’argument selon lequel sa grand-mère ne serait pas juive. « Qui détermine qui est juif ? demande-elle rageusement. Qui assure que vous l’êtes ? Je peux dire que vous ne l’êtes pas. Qui serait capable de prouver une telle chose ? »
Depuis l’opération Solomon, en 1991, qui amena en Israël les derniers membres de la communauté des Beta Israël, chacun des gouvernements qui se sont succédés a changé de ligne envers les Falash Mura – des Beta Israël convertis de force au christianisme et laissés sur place. Les pressions pour faire venir d’autres membres de la communauté se portent à nouveau sur le gouvernement Nétanyahou, qui a décidé de mettre un terme à cette saga le mois prochain. Chaque avancée ou recul de la législation a fait lever puis étouffé les espoirs de ces familles. Mais les mêmes lois qui permirent à Amsallo et ’Hen de venir en Israël et d’en être citoyens ont aussi fabriqué plus de familles littéralement éclatées entre Israël et l’Éthiopie. Amsalo n’a reçu aucune réponse de la part du ministre de l’Intérieur, ni d’aucun des hommes ou femmes politiques auxquels il a écrit ; ils semblent noyés, à cette heure, sous des centaines de requêtes similaires.
Aucun argument technique ou logique n’a prise sur lui et ses cousins, qui sentent que « la question de l’alyah éthiopienne est négligée en Israël ». Leurs parents transfèrent chaque mois à Yevzalam Ailéo une part de leurs modestes revenus pour l’aider à Addis, et ils ne comprennent pas qu’elle ne puisse les rejoindre en Israël.
Un fonctionnaire de l’Agence juive a déclaré : « Sans connaître les détails de l’affaire [Ailéo], il semble que la raison pour laquelle une partie de la famille se trouve en Israël est que son premier mari était admissible à l’alyah, mais qu’elle, son second mari et leurs fils ne l’étaient pas. Tous les cas comme celui-ci sont douloureux, et il y en a de semblables par centaines, sinon par milliers. Nous ne pouvons tous les résoudre. »