Le 1er juillet 2020, la coalition au pouvoir en Israël s’est engagée à entamer un processus plaçant certaines parties de la Cisjordanie sous souveraineté israélienne. Alors que les batailles idéologiques culminent, un point devrait être sans ambiguïté à savoir, comme l’a déclaré le Secrétaire général des Nations Unies Antonio Guterres au Conseil de sécurité de l’ONU le 24 juin : « l’annexion constituerait la violation la plus grave du droit international ». Mais au-delà des arguments ouvertement idéologiques, les partisans de l’annexion utilisent à plusieurs reprises et avec un certain culot des justifications du droit international pour soutenir cette politique.
Traduction : Jacqueline London pour LPM
Photo : Kfar-Adumim
Auteurs : Dahlia Scheindlin et Limor Yehuda pour Newsweek du 30 juin 2020
https://www.newsweek.com/topic/annexation
Mis en ligne le 25 juillet 2020
L’affirmation de la droite selon laquelle l’annexion est compatible avec le droit international repose sur trois points principaux. Premièrement, ils soutiennent que l’extension de la souveraineté n’est pas du tout une annexion, parce que la Cisjordanie n’a pas été reconnue comme territoire souverain lorsqu’elle a été conquise en 1967; cet argument insiste sur le fait que l’annexion ne concerne que l’acquisition d’un territoire appartenant à un État. Deuxièmement, les défenseurs de l’annexion soutiennent qu’il est légal d’étendre le droit israélien au territoire conquis dans une guerre défensive. Un troisième argument juridique de premier plan est que le Mandat Britannique initial sur la Palestine, établi par un accord international, accordait des droits nationaux d’autodétermination au seul peuple juif. Les autres communautés religieuses n’avaient comme garanties que des droits civils et religieux.
Ces arguments sont erronés tant de par les faits que le droit et la logique.
Peu de principes du droit international sont aussi importants ou cohérents que l’interdiction d’acquérir un territoire par la force. À première vue, l’interdiction de la conquête territoriale s’applique aux États souverains. La Charte fondatrice des Nations Unies et son l’article 2.4 stipule « Tout état Membre doit s’abstenir dans ses relations internationales de menacer ou de faire usage de la force contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique d’un autre État… » La notion même de non-intervention fait généralement référence au fait de s’abstenir d’ingérence dans les affaires souveraines et de l’inviolabilité des frontières souveraines, qui remonte au Traité de Westphalie de 1648.
Mais le système international a évolué depuis la création des Nations Unies en 1945. Dans la suite de l’article 2.4, il est dit « … ou de toute autre manière incompatible avec les objectifs de l’Organisation des Nations Unies ». L’objectif de l’ONU était aussi clair qu’audacieux : « Maintenir la paix et la sécurité internationales » selon les premières lignes de la charte. Ces lignes d’ouverture consacrent également le droit des peuples et des nations à l’autodétermination, tout en interdisant le règlement des différends par la force. En bref, l’ONU souhaitait mettre fin à la guerre.
En 1970, l’Assemblée générale a adopté la résolution 2625, la « Déclaration sur les principes du droit international concernant les relations amicales et la coopération entre les États conformément à la Charte des Nations Unies. » La résolution stipule sans ambages : « Aucune acquisition territoriale résultant de la menace ou du recours à la force ne doit être reconnue comme légale. » Elle précise ainsi que « l’interdiction par la Charte au recours par la force pour acquérir un territoire n’est pas limitée aux terres des États souverains, mais s’applique à toute conquête territoriale ». La résolution a également décrit des cas spécifiques :
« Chaque État a le devoir de s’abstenir de menacer ou d’utiliser la force pour violer les frontières internationales existantes d’un autre État ou pour tenter de résoudre des différends internationaux, y compris les différends territoriaux et les problèmes concernant des frontières entre États. «
« Chaque État doit également s’abstenir de menacer ou d’utiliser la force pour violer les lignes internationales de démarcation, telles que les lignes d’armistice… »
Il est à noter que bien que le recours à la force soit interdit, le droit international fait une exception pour les guerres de légitime défense. Mais même si le territoire était occupé, l’acquisition, lors d’une guerre défensive, unilatérale et permanente (annexion) de ce territoire par l’État occupant n’est pas légale. Cette restriction est due au fait que l’annexion ne tient pas compte du principe d’autodétermination. En effet la résolution 2625 stipule :
« Chaque État a le devoir de s’abstenir de toute action forcée qui priverait les peuples de leur droit à l’autodétermination, à la liberté et à l’indépendance ».
Les territoires de Cisjordanie et de Gaza sont l’objet d’un conflit international et territorial. L’acquisition forcée de territoires aurait dû avoir lieu avec des négociations d’armistice (comme la ligne verte délimitant la cessation des hostilités en 1949), et comme la Cour internationale de Justice (CIJ) l’a décidé en 2004 ; même l’annexion de facto (comme la route du mur de séparation) « entrave gravement l’exercice par le peuple palestinien de son droit à l’autodétermination, et constitue donc une violation de l’obligation d’Israël de respecter ce droit ».
Le déclin remarquable de la guerre
Depuis la Seconde Guerre mondiale, l’interdiction d’acquérir un territoire par la force est devenue contraignante et radicale. Toute affirmation persistante selon laquelle l’annexion « ne compte pas » dans des zones qui n’étaient pas souveraines s’annulent en vertu des résolutions du Conseil de sécurité confirmant l’irrecevabilité de « l’acquisition d’un territoire par la guerre, l’illégalité de l’annexion du territoire occupé et l’interdiction d’empêcher par la force l’autodétermination, même si ces territoires n’étaient pas autonomes auparavant ; c’est ce que le juriste James Crawford a défini comme l’évidence ». De nombreuses résolutions de l’Assemblée Générale des Nations Unies ont établi le droit du peuple palestinien à l’autodétermination dans ces territoires. En 2004, la CIJ, l’organe judiciaire le plus important sur la scène internationale, a souligné que le droit du peuple palestinien à l’autodétermination n’est plus mis en question.
Enfin, la notion selon laquelle le Mandat Britannique détermine quels groupes jouissent de l’autodétermination et à l’intérieur de quelles limites, est pleine d’embûches. Les interprétations de droite des décisions internationales spécifiques qui ont mené au Mandat sont déjà idéologiques et discutables. Mais d’un point de vue juridique, le droit international n’a tout simplement pas pris fin en 1922; il a évolué dans les directions examinées ci-dessus, comme le monde lui-même, en particulier après la guerre.
Si les promoteurs s’appuient sur le mandat, ils ne peuvent alors ignorer que l’objectif des mandats internationaux en général est d’avancer, et non de nier l’autodétermination. En 1950, dans un arrêt de la CIJ concernant la Namibie, la Cour a fait observer que le concept de mandat était largement établi « dans l’intérêt des habitants du territoire, » qui ne se gouvernaient pas encore eux-mêmes. Le tribunal a déclaré que « deux principes étaient considérés comme d’une importance primordiale : la non-annexion et le principe que le bien-être et le développement de ces peuples constituent une confiance sacrée en la civilisation. »
Ces développements du droit international ont longtemps remplacé celui de 1922, mais ils ont bien précédé le débat actuel sur ce qu’Israël essaie de faire, et ce pourquoi c’est erroné.
L’interdiction de l’annexion n’a pas été inventée pour irriter Israël, mais pour aider le monde: elle a contribué à un déclin remarquable de la guerre conventionnelle et par certaines mesures, au déclin des conflits en général. Les acrobaties juridiques pour annexer des terres doivent cesser, et les partisans de l’annexion doivent être sincères: leur désir de posséder la terre à perpétuité l’emporte sur les obligations morales et juridiques fondamentales en tant que membre de la communauté des Nations. Ces obligations sont les pierres angulaires de la paix et de la sécurité internationales, ainsi que celle de l’honnêteté humaine fondamentale.
Dahlia Scheindlin est analyste en politique basée à Tel Aviv et boursière à la Century Foundation. Elle est titulaire d’un doctorat en sciences politiques comparées de l’Université de Tel Aviv, et a travaillé en stratègie politique en Israël et dans 15 autres pays.
Limor Yehuda a une bourse de postdoctorat au « Minerva Center for Human Rights » de la Faculté de droit de l’Université de Tel-Aviv. Elle est titulaire d’un doctorat en droit de l’Université hébraïque de Jérusalem et a fait partie de l’Association pour les droits civils en Israël (ACRI) où elle a travaillé sur les droits de de l’homme et le droit international humanitaire
Les points de vue exprimés dans cet article sont ceux de leurs auteurs.