Cela semble une évidence et pourtant…
Adaptée au monde de la géo-politique et des conflits inter-étatiques cette évidence impliquerait de jouer simultanément sur les deux niveaux, celui du politique et celui de la force dissuasive. Ceci afin d’assurer la sécurité et de limiter les risques que ferait encourir une approche politique impliquant concessions et compromis.
Le gouvernement israélien semble avoir oublié cette évidence en ne misant que sur la force et la répression. L’affaiblissement des Palestiniens, auquel Israël n’est pas étranger, ne le dispense en rien de mettre sur la table les axes d’une sortie politique négociée. Pour ceux qui ont connu la période de l’après 67, on a l’impression d’un retour du sentiment du « tout-est-permis » alimenté notamment par le soutien inconditionnel (pour l’instant…) de Donald Trump. On sait où cette euphorie a mené.
Enivrées par leur incontestable puissance politique, les autorités israéliennes en viennent à ignorer les recommandations de responsables sécuritaires de haut rang et finissent par mettre en danger la sécurité même du pays. Netanyahu ne cherche plus à résoudre le conflit, le gérer lui suffit. Dans le cadre de cette gestion, il importerait là encore d’avancer sur les deux jambes. C’est ce que suggéraient les chefs de l’armée et des appareils sécuritaires du pays qui ont fait remonter au cabinet de sécurité que les Territoires palestiniens, y compris la Cisjordanie, risquaient de connaître prochainement un accès de tensions.
Une nouvelle fois, ces responsables ont proposé au cabinet de sécurité de renforcer l’aide économique aux Palestiniens en Cisjordanie et de trouver des solutions pour mettre fin à la crise humanitaire à Gaza, afin d’éviter un affrontement avec les Palestiniens. Le fait qu’Israël ne soit pas, loin s’en faut, l’unique responsable de ce qui se joue à Gaza et que la population gazaouie soit instrumentalisée par les factions palestiniennes qui ne parviennent pas à s’entendre, ne décharge pas pour autant Israël de sa responsabilité ni n’obère sa marge de manœuvre.
La réaction de Avigdor Lieberman, actuel ministre de la Défense n’est pas, une nouvelle fois, à la hauteur de l’enjeu. Plutôt que de débattre de ces recommandations, sans être contraint pour autant de les adopter dans leur intégralité, sa préoccupation première a été de diligenter une enquête sur l’origine des fuites. C’est comme si on mettait en cause le thermomètre plutôt que de s’atteler à faire baisser la température.
Certes, le fait de faire ou de laisser fuiter des propos (attribués à Gadi Eizenkot, chef d’état major) plutôt que de les traiter là où il faut n’est en aucun cas satisfaisant. Il convient cependant de s’interroger si ces fuites ne découlent précisément pas de l’absence de traitement et des dysfonctionnements qui empêchent débats et confrontations nécessaires à la prise de décision. Rien ne permet de penser que les « sécuritaires » soient de doux illuminés dans leurs propositions et des irresponsables dans leur mode d’expression.
Les évènements, en tous cas, semblent leur donner raison. La manière forte de traitement des incidents de Gaza n’a pas donné les résultats escomptés. La vie n’est pas redevenue normale pour les Israéliens du sud du pays, elle ne l’est pas davantage, et ce depuis longtemps, pour les Gazaouis. Les victimes s’ajoutent aux victimes, les hectares brulés s’ajoutent aux hectares calcinés. Pire encore, on finit par s’habituer à la mort d’enfants, aux récoltes qui partent en fumée, à la croissance de la haine qui ne fera que retarder et rendre plus difficile encore l’indispensable désescalade qui, on le sait, interviendra un jour ou l’autre… et le plus tôt sera le mieux.
Dans le Nord du pays également, après une période d’euphorie au cours de laquelle le gouvernement a cru que tout lui était permis dans le ciel syrien, l’incident – inévitable et dont seul le moment de survenue était indéterminé – s’est produit (NDLR:l’avion russe abattu par un missile syrien qui était destiné aux avions israéliens, ce qui a provoqué une crise diplomatique entre Israël et la Russie). Au final, les fusées dont Israël ne voulait pas la présence en Syrie seront fournies à Bachar el-Assad : ces S-300 «sont capables d’intercepter des appareils sur une distance de plus de 250 kilomètres et peuvent frapper en même temps plusieurs cibles dans les airs». Des S-400, encore plus modernes, sont déployées sur la base aérienne russe de Hmeimim, au sud-est de Lattaquié.
La dangerosité de ce gouvernement en matière de sécurité ne concerne pas que les frontières extérieures mais également les territoires occupés. « Les commandants pour la Sécurité d’Israël », ONG qui regroupe plusieurs centaines de généraux de toutes les branches du dispositif sécuritaire du pays, (armée, police, tous services de sécurité), peu suspects donc de gauchisme invétéré ni de pacifisme irresponsable, vont diffuser sous peu une étude qui démontre que le gouvernement de Benyamin Netanyahu s’oriente vers l’annexion d’une partie ou peut-être de la totalité de la Cisjordanie. Le fondateur de cette ONG, Amnon Reshef (héros de la guerre de Kippour), a écrit dans l’étude que l’annexion serait « imprudente » et « conduirait à la fin de la vision sioniste d’Israël comme un État sûr et démocratique avec une majorité juive assurée pour les générations à venir. »
Shalom Akhshav en Israël a insisté dans un communiqué sur « l’opposition profonde entre les recommandations du niveau sécuritaire professionnel, orienté vers la production de sécurité pour les citoyens du pays, et celles du niveau politique préoccupé de sa survie et à l’origine de campagnes nationalistes et agressives. Les négociations avec le Hamas (depuis dans l’impasse) contournant Mahmoud Abbas et les mesure unilatérales de Donald Trump à Jérusalem ainsi que l’étranglement économique et le boycott politique de l’AP sont contraires aux intérêts israéliens ».
Certes, on sait depuis Clemenceau au moins que « la guerre est une chose trop grave pour la confier à des militaires » mais on sait également que l’on ne peut s’en passer. Une fois de plus, il faut deux jambes pour bien se mouvoir. Le gouvernement actuel opte systématiquement pour l’unijambisme. Si rien ne change, la chute est annoncée. A quel prix?
Ilan Rozenkier
11 octobre 2018