Ha’aretz, 2 février 2008
Traduction : Gérard Eizenberg pour La Paix Maintenant
L’écrivain Emil Habibi aimait bien raconter l’histoire suivante : deux pêcheurs sortent en mer sur leur bateau. Soudain, l’un des deux sent quelque chose de lourd au bout de son fil. Après l’avoir rembobiné, ils découvrent une sirène, avec un joli visage et une queue magnifique. Le pêcheur la regarde longuement, puis la rejette à la mer. « Qu’as-tu fait ? », demande son ami. « Ne voulais-tu pas l’avoir ? » L’autre : « Bien sûr, mais comment ? »
Cette semaine, le professeur Yossi Yona, qui enseigne la philosophie politique, a cité cette histoire pour illustrer ce qu’il pense d’Ehoud Olmert. C’était sa manière de réagir aux arguments de ceux qui, à gauche, refusent d’exiger sa démission [après la publication du rapport Winograd sur la guerre du Liban, relativement sévère pour Olmert, ndt] : l’explication est qu’Olmert peut apporter la paix. « Comment ? », se demande Yona. En 2000, le même professeur avait dit de Barak, alors premier ministre : « Qu’il apporte la paix et disparaisse de ma vue. » Cette fois encore, il ne croit pas en la capacité d’Olmert à tenir ses promesses.
« Je fais partie de ceux qui pensent qu’Olmert doit partir, dit Yona. Je connais bien le discours à gauche, qui dit qu’il est capable de promouvoir la paix. Ce sont des cyniques. Ils savent que tout cela n’est que de la communication, et qu’il veut gagner du temps, entre autres en transférant de l’argent au mouvement kibboutzique. »
Janet Aviad, l’une des dirigeantes historiques de Shalom Akhshav (La Paix Maintenant), se montre moins pessimiste sur la situation. De fait, le soutien et le crédit qu’elle est prête à accorder à Olmert peuvent surprendre. Habitant Jérusalem, il ne lui serait jamais venu à l’esprit de voter pour lui aux élections municipales [Olmert a été maire de Jérusalem de 1993 à 2003, élu sur une liste Likoud, ndt], mais à son avis, le personnage a changé.
« Il a connu une véritable conversion politique », dit-elle sur un ton ouvertement affectueux. « Je crois de tout mon cœur qu’il a réellement l’intention de faire la paix. Son discours à la conférence d’Herttzliya était un discours Shalom Akhshav. Peu m’importe de quel parti il vient, il m’importe seulement de savoir s’il a la force politique de mettre son discours en pratique. Je pense qu’il est sincère. Il souhaite vraiment faire la paix – pour lui-même aussi, bien sûr – mais surtout pour le nom qu’il laissera dans les livres d’Histoire. »
Janet Aviad a entendu elle-même Olmert parler de tout cela en petits comités. Au cours de ces discussions, elle a été également impressionnée par l’attitude éthique d’Olmert à l’égard des Palestiniens. « L’occupation en soi lui fait mal », dit-elle en se souvenant d’une conversation. « Il n’hésite d’ailleurs pas à utiliser ce terme. Nous n’avions jamais eu autant d’espoir depuis 2000. » [En réalité, Sharon lui-même avait innové en la matière en employant, le 21 mai 2003, le mot « occupation » (« kiboush » en hébreu) devant une réunion de députés du Likoud atterrés et scandalisés, juste avant de scissionner et de créer le parti Kadima. Cf. [«Occupation n’est plus un gros mot» ]]
Depuis 2000, le camp de la paix est divisé dans l’attitude à adopter à l’égard de la clôture de séparation et du désengagement effectué de manière unilatérale. Mais cette fois, c’est l’homme Olmert qui constitue l’axe autour duquel les opinions se forgent. Ces opinions se déterminent en fonction du degré de confiance qu’on lui accorde, ainsi que par les attitudes initiales adoptées envers la guerre du Liban. Mais ces deux variables ne peuvent expliquer à elles seules cette division, parfois surprenante.
Il semble que quelque chose de totalement différent soit en train de se produire : pour la première fois, les gardiens du temple du camp de la paix sont prêts à adopter un leader venu d’une autre tribu que la leur. Olmert, pour sa part, est à la recherche d’une tribu. Et, pour que cette adoption prenne effet, les deux parties sont prêtes à avaler des couleuvres. De tous les premiers ministres israéliens jusqu’à ce jour, Olmert est le seul à disposer de ce qu’il faut pour changer de tribu. Sharon, qui avait manifesté contre lui-même, n’aurait jamais été adopté. Mais Olmert a le bon look, le bon vocabulaire et une famille acceptable. Récemment, il a rencontré un groupe de militants de gauche, qui ont été séduits. Mais ce n’est pas le cas de toute la gauche.
(…) Dès les premiers jours de la deuxième guerre du Liban, Mossi Raz et Moriah Shlomot, tous les deux anciens secrétaires généraux de Shalom Akhshav, se sont retrouvés du même côté de la barricade : contrairement à une majorité de leurs camarades du mouvement, ils ont participé immédiatement aux manifestations contre la guerre. « Je pense qu’Olmert doit démissionner, point barre, dit Raz. Il a mené deux guerres malheureuses, au Liban et à Gaza, et celle de Gaza est aussi superflue que l’autre. »
Alors que Janet Aviad admire la position morale d’Olmert et veut aussi croire aux rumeurs selon lesquelles il serait prêt à libérer Marwan Barghouti en échange du soldat Gilad Shalit, Mossi Raz perçoit une situation tout à fait différente. « L’une des pires choses qui se passent à gauche, c’est qu’elle parle comme le Meretz mais agit comme Lieberman, s’agissant des assassinats qui continuent, du comportement aux check points et de la question des colonies sauvages, dont aucune n’a été démantelée. »
Si les divergences entre Raz et Aviad étaient prévisibles compte tenu de leurs opinions au début de la guerre du Liban, les divergences d’aujourd’hui entre Mossi Raz et Moriah Shlomot l’étaient moins. « A mon avis, Olmert doit rester », dit Shlomot. « Il n’a pas été le seul à avoir été aveuglé sur cette guerre. Aujourd’hui, non seulement ses déclarations sont courageuses, mais ses actes aussi. Il a, par exemple, renoncé à son alliance avec Avigdor Lieberman. Mais ce qui m’impressionne, c’est la vitesse avec laquelle il a perdu l’arrogance qui le caractérisait au début de son mandat. Je crois en sa sincérité. »
Et puis, il y a le « test Bibi ». Pour la gauche, la perspective de voir Benjamin Netanyahou remplacer Olmert constitue la menace suprême contre ceux qui réclament la démission d’Olmert. Yossi Yona : « Je ne me sens pas menacé. Olmert est en train de créer de nouvelles normes de corruption en Israël, et c’est inacceptable. De plus, je ne pense pas qu’il y ait d’énormes différences politiques entre Olmert et Netanyahou. » Mossi Raz va encore plus loin, ce qui est surprenant de la part d’un ancien député du Meretz : « En termes de résultats concrets, je ne suis pas certain du tout que Bibi serait pire qu’Olmert. »
Du coup, ces divergences d’opinion, qui traversent les gauches extra-parlementaires et parlementaires, laissent au Meretz et aux travaillistes une importante marge de manœuvre.