Le chapô de La Paix Maintenant
«La mise en œuvre des changements proposés par le Premier ministre contreviendrait aux principes mêmes de la nature démocratique d’Israël», met ici en garde la rédaction du grand quotidien “libéral”. Pendant la période de bricolage forcené d’une coalition de gouvernement devant réunir avant le mercredi 6 mai minuit un quorum de 61 députés, Benyamin Nétanyahou, fort de la progression du Likoud et sûr d’avoir les cartes en main, a d’abord dit vouloir imposer sur ce point un vote bloqué aux partis de la future majorité.
Moshé Kahlon, tête de liste du parti de centre droit à vocation sociale Koulanou (“Nous tous”), ne s’est pas laissé intimider. Sa participation étant incontournable et la fin de la période de tractation approchant, il a obtenu des portefeuilles décisifs en matière sociale – et un droit de veto sur les changements législatifs concernant la Cour suprême, auxquels il est fermement opposé.
Mais le refus de Lieberman de compléter le dispositif a ramené en lice l’extrême-droite de Bennett, pourtant désavouée par les électeurs. C’est ainsi que des accords ont été signés in-extremis mercredi soir avec le parti des colons. Sur quelles promesses, à trois minutes du gong? On sait déjà que le ministère de la Justice a été dévolu à Ayelet Shaked, maîtresse ès-provocations sur le Mont-du-Temple / Esplanade-des-Mosquées et grande pourfendeuse devant dieu ou diable de la Cour suprême. On la comprend, quand on sait que cette instance représente souvent le seul recours face à l’arbitraire de l’armée et des colons dans les Territoires…
Cette question devient ainsi un explosif brûlot pour le fragile dispositif monté par Benyamin Nétanyahou, qui pourrait sur ce point comme tant d’autres associer atermoiements et promesses à faces multiples. [T.A.]
L’éditorial du Ha’Aretz
Les modifications du statut de la Cour suprême mises en avant par le Premier ministre contredisent l’engagement pris par lui le mois dernier, lors de la cérémonie d’intronisation du président fraîchement nommé, Reuven Rivlin, où il promettait de ne pas viser à de tels changements.
Impossible de savoir si Benyamin Nétanyahou a explicitement dit des choses auxquelles il ne croyait pas, ou s’il opère maintenant un retournement de position dans l’espoir de donner à l’Union Sioniste prétexte à entrer au gouvernement en se posant comme l’ultime planche de salut de la Cour suprême.
Quoi qu’il en soit, la mise en œuvre des changements proposés par Nétanyahou pourrait gravement porter atteinte à certaines des réalisations majeures d’Israël, qui constituent des éléments de très haute importance à l’appui de sa nature démocratique. À savoir le professionnalisme et l’indépendance du bras judiciaire, ainsi que la Loi fondamentale sur la dignité et la liberté des êtres humains.
Les tribunaux sont, sous la férule de la Cour suprême, un organisme professionnel que ses fondateurs eurent l’intelligence de délivrer de la nécessité de satisfaire les factions politiques. Le droit et le service public sont ses seuls référents. C’est la raison pour laquelle les tribunaux jouissent encore de la confiance de l’opinion, en dépit d’années de campagnes menées à leur encontre par des politiciens et des intérêts privés. Le basculement de l’équilibre des forces en faveur des responsables politiques au sein du comité de nomination des juges ne peut signifier qu’une chose: les considérations politiques et le désir de plaire aux politiques s’insinueront dans les décisions judiciaires au sein de toutes les instances, les contours de la loi s’estomperont, et une composante centrale de la démocratie israélienne – une justice indépendante tenue au seul exercice de la loi – cessera d’exister.
Le Premier ministre cherche également à détruire la Loi fondamentale sur la dignité et la liberté des êtres humains. Nétanyahou entend mettre en œuvre un changement permettant de refaire passer, avec une majorité de 61 député(e)s une loi rejetée par la Cour pour violation d’une loi fondamentale. Il serait possible de contourner une décision de la Cour suprême à l’aide en tout et pour tout de la majorité appuyant la coalition gouvernementale, ce qui lui permettrait de discriminer les minorités – essentiellement représentées par l’opposition, qu’il s’agisse de la population arabe (aujourd’hui) ou de celle des colons (demain).
L’importance de la Loi fondamentale sur la dignité et la liberté des êtres humains tient à son efficacité quand il s’agit de défendre les faibles et les minorités, dont les droits sont souvent ignorés. Les décisions de la Cour suprême destinées à battre en brèche des propositions de loi contrevenant à cette Loi fondamentale renforcent le statut international d’Israël en tant que démocratie constitutionnelle; et même si les décisions de la Cour se sont attiré les critiques de certains, elles ont également démultiplié la vigueur de la dignité humaine et des libertés en Israël.
Moshe Kahlon – qui a déclaré qu’il ne donnerait pas son accord à des mesures contre la Cour – a raison. Espérons qu’il restera fidèle à ses positions.