Le chapô du Ha’Aretz
«Au lieu de parler frontières, sécurité et solutions concrètes, les deux dirigeants ont délibérément remis des questions explosives au centre de la scène, mettant en danger tout compromis possible», résume le Ha’Aretz d’entrée de jeu.
Traduction & Notes, Tal Aronzon pour La Paix Maintenant
Photo Reuters, le 26 octobre 2015 : Deux femmes accèdent au du Rocher, en Vieille Ville de Jérusalem.
Ha’Aretz, le 16 octobre 2016
L’article de Barack Ravid
La tempête d’émotion qui a éclaté après l’adoption par le Conseil exécutif de l’Unesco de sa résolution sur Jérusalem [1] était à prévoir, mais a pris une envergure et une intensité surprenantes. Le Premier ministre Benyamin Nétanyahou et de nombreux membres de la coalition, leur intérêt politique aidant un brin, en exagérèrent la signification. Mais tant en Israël qu’au sein des communautés juives du monde entier, une part de la colère suscitée par cette résolution – qui décrit le Mont du Temple et ses alentours uniquement selon la version musulmane de l’histoire et relègue le mur des Lamentations entre guillemets – fut tout à la fois authentique et justifiée.
Sans surprise, la directrice générale de l’Unesco, Irina Bokova, a publié une longue déclaration détaillée critiquant durement cette résolution soutenue par 24 États membres du Conseil exécutif [2]. En termes diplomatiques mais néanmoins clairs elle s’en est prise aux mobiles des États qui l’avaient proposée, poussée en avant et entérinée : «Nier, occulter ou vouloir effacer l’une ou l’autre des traditions juive, chrétienne ou musulmane revient à mettre en péril l’intégrité du site», énonce-t-elle, soulignant également que ce que les musulmans appellent al-‘Haram al-Sharif / la mosquée al-Aqsa est pour les juifs har haBayit / le mont duTemple.
La résolution de l’Unesco représente un exemple de plus de la grave détérioration des relations israélo-palestiniennes depuis l’accession de Nétanyahou au poste de Premier ministre, en 2009. Ce dernier aime, bien sûr, à tirer un crédit personnel de toute réussite sur la scène internationale –Mais lorsqu’il s’agit d’échecs diplomatiques comme celui-ci, il ne s’empresse guère d’en endosser la responsabilité. Dans son esprit, de tels échecs sont dus à des cas de force majeure ou de pur antisémitisme.
Cette résolution était pourtant une catastrophe prévisible. Les graines du désastre furent semées en octobre 2011, quand les Palestiniens furent admis à l’Unesco en qu’État membre à part entière. Et la principale raison de leur abandon des négociations bilatérales ces dernières années au profit de démarches unilatérales au sein des institutions onusiennes fut leur profonde défiance à l’égard de Nétanyahou et du sérieux de ses intentions quant au processus de paix. La situation diplomatique entre Israéliens et Palestiniens eût-elle été différente que tout aurait pu prendre une autre tournure.
Ce n’est pas un effet du hasard si le président de l’Autorité palestinienne Mah’moud Abbas s’abstint d’entamer des démarches auprès des Nations unies tant qu’il mena des négociations avec le Premier ministre de l’époque, Ehud Olmert, et sa ministre des Affaires étrangères, Tzippi Livni, en 2007-2008. En réalité il s’y opposa avec vigueur, privilégiant à la place les pourparlers directs [bilatéraux]. Mais lorsqu’il entendit de la bouche de Nétanyahou, en septembre 2010, que le dirigeant d’Israël refusait de discuter des frontières et que, même si un État palestinien était créé, l’armée israélienne resterait sur son territoire pendant les quarante années à venir au moins, il en conclut qu’il n’y avait personne à qui parler et passa aux démarches aux Nations unies.
L’affrontement autour de la résolution de l’Unesco met également en lumière un changement fort inquiétant dans la manière qu’ont Israéliens et Palestiniens de parler du processus de paix. Du démarrage du processus d’Oslo, au début des années 1990, aux pourparlers d’Annapolis en 2008, les négociations bilatérales se focalisèrent sur la recherche d’une solution pratique à un conflit politico-territorial entre deux peuples et voulurent éviter de se laisser entraîner dans un débat théologique, historique ou religieux.
Mais si les narratifs historiques et religieux sont par le passé restés en coulisses, ou n’ont joué qu’un rôle marginal dans le conflit, à l’ère Nétanyahou-Abbas les deux dirigeants ont délibérément placé ces questions explosives au centre de la scène. Au lieu de parler frontières, sécurité et solutions concrètes à des questions comme celle de Jérusalem et des réfugiés, Nétanyahou et Abbas discutent de choses advenues il y a trois mille ans, de narratifs nationaux et de croyances religieuses.
Depuis 2009, et ces deux dernières années en particulier, les dirigeants israéliens et palestiniens se sont exprimés de part et d’autre d’une façon qui mènent à une guerre de religions. L’ironie de la chose est que Nétanyahou et Abbas vont tous deux dans ce sens alors qu’aucun d’eux n’est religieux lui-même.
Nétanyahou est totalement laïque; Il comprend très bien que le conflit est politique et pourrait être résolu. Les accords qu’il a signés en 1997, transférant aux Palestiniens le contrôle de Hébron, la cité des Patriarches, en donne une première illustration. Et l’on peut citer des exemples similaires de la part d’Abbas. Mais, depuis 2009, tous deux ont enfourché le tigre religieux.
Le discours qui a pris son essor pendant leur tour de garde constitue la règle d’un jeu perdant-perdant où l’on parle des deux côtés en termes de “soit eux, soit nous” – même s’il est évident pour tout le monde que n’importe quelle solution devra inclure les deux [peuples], eux et nous à la fois. Ce comportement de la part de Nétanyahou et Abbas n’inflige pas seulement des dommages à court terme, sous forme d’absence de solution diplomatique; il cause aussi des dégâts à long terme dans les deux opinions publiques. Si le conflit porte sur la justice, l’histoire et la religion, des deux côtés l’argumentaire se fait moins rationnel et l’idée même de compromis moins pertinente.
Notes de la Rédaction
[1] Projet de décision concernant Jérusalem-Est présenté par l’Algérie, l’Égypte, le Liban, le Maroc, Oman, le Quatar et le Soudan au Conseil exécutif de l’Unesco, et adopté en assemblée plénière le 12/10/16
[2] Déclaration de la directrice générale de l’Unesco sur la vieille ville de Jérusalem et ses remparts.