article paru dans la revue « Ofakim hadashim »
[->http://ofakim.org.il/zope/home/en/about.html?curr_issue=1108539250]
Trad. : Gérard Eizenberg pour La Paix Maintenant
La victoire du Hamas a réellement mis sens dessus dessous toutes les conjectures. La décision du Hamas d’entrer dans le jeu politique palestinien sera-t-elle accompagnée d’une décision de même nature concernant la recherche d’une voie politique plutôt que militaire avec Israël? Des facteurs qui ont fait évoluer d’autres mouvements, à commencer par l’OLP, dans la direction d’une renonciation au terrorisme en faveur d’un processus négocié joueront-ils pour le Hamas? Le prix inacceptable payé en nombre de vies, la popularité politique à l’intérieur, les pressions exercées par les acteurs extérieurs essentiels, d’éventuelles ouvertures de l' »ennemi » qui ouvriraient une perspective où ils obtiendraient quelque chose par la négociation, tout cela vient à l’esprit;.
Mais en réalité, de quelles négociations parlons-nous? Il n’y a pas eu de négociations depuis l’arrivée de Sharon au pouvoir au début de l’année 2001. S’il y en avait eu, en particulier autour du désengagement, il est possible que le Hamas ne serait pas arrivé au pouvoir dans les territoires occupés. Ainsi, la question de savoir si le Hamas est prêt ou non à négocier est peu pertinente, mais en revanche, le fait que le Hamas déclare qu’il ne l’est pas fournit à la droite (dans laquelle j’inclus la direction actuelle, mais pas nécessairement les partisans de Kadima) un prétexte supplémentaire pour éviter les négociations. Sharon, de façon évidente, n’avait aucune intention d’entamer des négociations : non seulement il les avait refusées dans le contexte du désengagement, mais il avait adopté des conditions préalables (et 14 réserves) concernant la Feuille de route qui servaient clairement à repousser indéfiniment tout pourparler avec les Palestiniens. Olmert, quant à lui, a parlé brièvement de négociations, mais en adhérant aux mêmes conditions préalables que Sharon, puis a ajouté des conditions préalables impossibles pour traiter avec un gouvernement du Hamas. Ses positions, et celles de Kadima, prévoient une continuation de l’unilatéralisme de Sharon, destinées de façon claire à déterminer les frontières « définitives » d’Israël. Définitives aux yeux de qui? Sans négociations, et plus précisément sans accord avec l’autre partie, sans parler de la reconnaissance par la communauté internationale, ces « frontières » – même sans mur pour les concrétiser, ne reviendront à rien de plus, pour Israël, qu’à prendre ses désirs pour des réalités. En fait, on assiste ici à une forme de pensée qui rappelle la période post-guerre des Six jours : si seulement nous tenons le coup et si nous nous accrochons au territoires occupés, le monde finira par les considérer comme nous appartenant de facto, de la même façon qu’il a accepté les lignes d’armistice de 1949. Est-ce arrivé? Non. Et il y a encore moins de raisons de croire que cela arrive aujourd’hui, dans un contexte international bien différent de celui de l’après-deuxième guerre mondiale. Aujourd’hui, le monde voit Israël et les Palestiniens différemment et considère que les Palestiniens ont droit à leur Etat, sans parler du changement total des situations intérieures au sein des deux nations.
Il est fort possible que le Hamas ne réussisse jamais (ou qu’il n’essaie même pas) de répondre aux conditions préalables posées par Israël pour être considéré comme un partenaire, et qu’alors, d’autres évacuations unilatérales de colonies soient la seule alternative. Il est certain que des démantèlements de colonies supplémentaires seraient les bienvenues, quel que soit le contexte. Mais ne nous faisons aucune illusion : cette détermination unilatérale des « frontières » d’Israël n’apporteront ni la paix, ni une solution à deux Etats, et ce alors que la grande majorité des Israéliens, comme la majorité de ce qui constituera probablement la Knesset de demain, sont favorables à une solution à deux Etats. Une véritable solution (en clair : la paix, la fin du conflit) ne peut être trouvée qu’en résolvant des questions comme celles de Jérusalem et des réfugiés, ce qui nécessite un accord entre les deux parties. Mais même si l’on met de côté ce point crucial, les « frontières » entre les deux Etats qu’a en tête Kadima sont loin d’offrir une solution. Conserver la vallée du Jourdain, les blocs de colonies, certaines zones d’importance stratégique ou historique pour Israël quoique non précisées, et, bien entendu, les territoires à l’ouest de la clôture, cela revient à ne laisser que peu de territoire à un Etat palestinien qui soit acceptable même aux yeux des plus modérés des Palestiniens. Il suffit d’observer l’expansion rampante, non seulement de Jérusalem, mais aussi des blocs de colonies, expansion qui peut être déduite, dans de nombreux cas, de l’emplacement des avant-postes, pour comprendre les aspirations territoriales de ce gouvernement et du prochain. Ces aspirations, qui en réalité sont des plans, vont bien au-delà des 9% de la Cisjordanie destinés à être annexés par le tracé du mur/clôture.
Rien de tout cela n’est nouveau ; tout a déjà été dit auparavant, et peu croient vraiment que l’unilatéralisme ou la solution à deux Etats telle qu’elle est envisagée par les partisans de la « Voie de Sharon » apporteront la sécurité, ni encore beaucoup moins la paix. Si tout cela est ignoré, c’est en grande partie parce que beaucoup, et peut-être la majorité des Israéliens, croient qu’une paix est impossible de leur vivant, ou même impossible tout court. Certains croient cela par idéologie, et ni des circonstances nouvelles ni des faits nouveaux ne les feront bouger. D’autres le croient parce qu’ils ont perdu leurs illusions avec les échecs des efforts de paix passés, et en particulier à cause de la violence de l’intifada Al-Aqsa. Les uns comme les autres trouvent aujourd’hui « confirmation » de leurs croyances avec l’accession du Hamas au pouvoir dans les territoires palestiniens. Il ne sert à rien de noter le rôle qu’Israël a joué pour que cette situation se produise, ni de se demander ce qu’Israël aurai dû faire ou ne pas faire pour renforcer Mahmoud Abbas. La vraie question est : accepte-t-on le défaitisme qui portera Kadima au pouvoir mais nous assurera encore des années de massacres, ou y a-t-il une voie (et un besoin) pour aller dans une autre direction, celle d’un règlement négocié ?
D’une certaine manière, c’est comme si nous nous retrouvions au milieu des années 80, quand nous refusions de parler à l’OLP jusqu’à ce que celui-ci reconnaisse le droit d’Israël à exister et renonce à l’usage de la terreur (ce qu’elle a finalement fait en 1988). Mais il y a des différences. Aujourd’hui, Israël a rajouté un certain nombre de conditions : 1. le Hamas doit reconnaître le droit d’Israël à exister en tant qu’Etat juif, ce que peu de Palestiniens seraient prêts à faire pour la simple raison que vivent en Israël plus d’un million de Palestiniens musulmans ou chrétiens (et ce quelles que soient les motivations idéologiques) ; 2. le Hamas doit modifier sa charte, ce qui n’a été exigé de l’OLP, dans le cadre des accords d’Oslo, qu’en échange d’une série de mesures du côté israélien ; et 3. le Hamas (parti au pouvoir) doit désarmer, ce qui n’a jamais été exigé de l’OLP. Une autre différence importante, bien sûr, réside dans le fait qu’à la différence de l’OLP, le Hamas est un mouvement religieux, ce qui place le conflit dans un contexte bien plus problématique. Mais il est tout à fait clair que si les Palestiniens ont voté Hamas, ce n’est pas parce qu’ils sont devenus « h’ozrim betshouva » (nouvellement religieux), mais plutôt parce qu’ils ont voté contre la corruption et contre les échecs du Fatah, y compris son échec à conquérir l’indépendance et à mettre fin à l’occupation. De plus, non seulement la majorité des Palestiniens ne sont pas des fondamentalistes musulmans, mais ils ne sont pas favorables non plus à un retour aux violences de l’intifada ni au rejet d’un règlement négocié avec Israël. Quoi que puissent nous souhaiter les Palestiniens au fond de leur coeur (et nous pour eux, en l’espèce), la majorité des deux peuples est toujours consciente qu’une solution à deux Etats viable est vitale pour que les deux société se portent bien. C’est là la différence essentielle entre la situation apparente d’aujourd’hui (« pas de partenaire ») et celle de la période pré-Oslo. On peut rajouter à cela d’autres facteurs extrêmement importants : la coopération qui s’est développée entre Israël et l’Egypte et entre Israêl et la Jordanie, et le fait que les Etats de la Ligue arabe soient prêts à normaliser leurs relations avec Israël (une fois qu’Israël se sera retiré des territoires et sera parvenu à une solution acceptée par les deux parties à la question des réfugiés). De plus, il existe également des projets d’accord, comme les paramètres Clinton ou Genève ou toutes les autres initiatives que Sharon a cherché à éviter en ayant recours à des mesures unilatérales.
Il est fort possible qu’au lendemain des élections en Israël, nous ne puissions pas nous plonger dans des négociations. Il se peut qu’Israël n’accepte pas l’idée de négocier avec « quiconque est prêt à négocier avec nous », formule qui, de fait, implique une reconnaissance. Il se peut que le Hamas n’accepte pas cette formule. Mais renoncer à ces possibilités a priori serait aussi fou que destructeur, pour notre avenir comme pour celui des Palestiniens.