Dans l’interview accordée le 30 novembre à Democrat TV, Moshe Ya’alon a déclaré que les dirigeants israéliens, sous l’impulsion d’éléments d’extrême-droite qui cherchent à réimplanter la présence juive à Gaza, menaient le pays sur la voie du « nettoyage ethnique » dans la bande de Gaza; il a averti que le gouvernement de Netanyahu conduisait la nation à la « destruction ».

Rappelons que Ya’alon n’est pas un gauchiste invétéré mais un homme politique de droite, qui a été membre du Likud. Il fut chef d’état-major (2002-2005) puis ministre de la Défense sous Netanyahu de 2013 à 2016. Ces dernières années, il a été un virulent opposant à Netanyahu et à sa politique.

Dans ses propos, « transfert » et « nettoyage ethnique » sont employés indifféremment. Cette imprécision le dessert. En temps de guerre, des transferts de population sont « légitimes » soit pour faciliter des opérations militaires, soit même au bénéfice de la population civile pour la préserver de pertes humaines importantes. Le transfert ne devient nettoyage ethnique dès lors que de temporaire et circonstanciel, il devient définitif et répond à une intentionnalité de  » faire disparaître d’un territoire un groupe ethnique « .

En ce sens, plus graves et lourds de dangers pour Israël au plan international, ce ne sont pas ces propos aussi détonants soient-ils émanant d’une personnalité à la notoriété certaine mais sans responsabilité ni fonction aucunes, mais bien plutôt ceux prononcés – et pas qu’une fois – par des ministres occupant des portefeuilles importants prônant la réduction de « la population palestinienne dans la bande de Gaza et la restauration des implantations israéliennes« . Les déclarations de Ben Gvir du 1er décembre selon lesquelles Netanyahu avait commencé à « faire preuve d’une certaine ouverture » à l’idée de se réimplanter à Gaza sont autrement plus dangereuses et nuisibles à Israël que les propos de Ya’alon.

Si ce que ce dernier dénonce est infondé, que Netanyahu s’empresse de démentir les assertions de Ben Gvir, qu’il prenne des mesures contre ses ministres qui parlent trop et à tort, qu’il laisse entrer les journalistes pour attester du caractère fallacieux des propos de Ya’alon, qu’il annonce qu’une fois les hostilités terminées, la population gazaouie pourra retourner dans le nord de la bande de Gaza dans le cadre d’arrangements sécuritaires appropriés. Une telle attitude aurait sans aucun doute un impact autre que celui des cris d’orfraie qui se sont multipliés depuis. A moins que l’hallali à l’encontre de Ya’alon n’ait pour fonction non pas de rétablir la vérité mais de servir d’écran de fumée pour dissimuler un projet indigne qui ne sera révélé qu’après « the inauguration day « , le 20 janvier 2025, lorsque que D. Trump sera rentré en fonction.

Une telle mise au point serait apparemment d’autant plus aisée – outre son utilité – que Netanyahu a déclaré à plusieurs reprises que de telles actions ne constituaient pas l’objectif de la guerre et qu’elles n’étaient pas non plus à l’ordre du jour. Alors pourquoi ne pas apporter des éléments concrets pour étayer ses propres dires? Sans doute, en admettant qu’il le veuille, parce qu’il ne le peut pas s’il souhaite préserver sa coalition, prisonnier qu’il est des extrémistes de droite qui y siègent et sont à même de la défaire à un moment où ses procès refont surface.

Ce sont sans doute ces mêmes raisons qui empêchent de donner un prolongement à Gaza à l’accord de cessez-le-feu entré en vigueur le 27 novembre qui reste une bonne nouvelle malgré les soubresauts de son implémentation et les doutes et inquiétudes que l’on est en droit d’éprouver quant à sa durabilité. Contrairement aux rodomontades du gouvernement israélien quant à une victoire militaire indiscutable aboutissant à la reddition sans conditions de l’adversaire, seul un accord politique pourra mettre fin à cette guerre, mettre un terme aux souffrances de la population civile et assurer le retour de tous les otages.

Possible dans le nord face à un adversaire plus puissant, moins affaibli et démantelé que ne l’est le Hamas au sud, alors que les otages y sont encore et toujours détenus, pourquoi un accord n’intervient-il pas à Gaza? Quoi qu’on en pense, il n’est assurément pas facilité – même si ce n’est pas l’unique raison- par la position de force de cette droite suprémaciste qui « tient » Netanyahu et dont l’un des objectifs de plus en plus souvent réaffirmé semble être la conquête d’une partie de Gaza et l’établissement de colonies qui justifieront alors pour leur sécurité l’éloignement de la population palestinienne et la perpétuation du cycle infernal de violences et de pertes humaines de part et d’autre.

Moshe Ya’alon a être peut-être eu tort de recourir à une formulation imprécise mais il a eu raison lorsqu’il a mis en lumière cette vérité incontestable : « Regardez maintenant les sondages. 70 % – parfois plus, parfois un peu moins – du peuple de l’État d’Israël préconise une voie juive, démocratique, libérale, etc., une séparation (d’avec les Palestiniens) ». La majorité de la population est opposée à une éventuelle recolonisation de Gaza qui n’était et n’a jamais été un objectif affiché et consensuel de la guerre imposée à Israël pour sa défense ni ce pourquoi les soldats sont partis se battre, trop souvent et trop nombreux sans retour.

Netanyahu et son gouvernement ont cessé de représenter un risque pour Israël. Ils sont devenus un danger à éradiquer et à l’encontre duquel la victoire du peuple israélien se doit d’être absolue. Ce qui est du pain béni pour la CPI, ce n’est pas le propos de Ya’alon mais bien la politique de Netanyahu.

Ilan Rozenkier