[->http://www.haaretz.com/hasen/spages/526529.html]

Haaretz, 13 janvier 2005

Trad. : Gérard Eizenberg pour La Paix Maintenant


Au cours de l’hiver 2003, entre deux attentats suicides à Jérusalem, et alors que les gens renouvelaient leurs masques à gaz et s’équipaient de rouleaux de plastique autocollant noir en prévision de la guerre en Irak, Assi Sharabi rendait visite à des écoles du pays. Le jeune étudiant demandait à des élèves de 6ème : « imaginez quelques instants que vous êtes des enfants palestiniens, écrivez ce que vous pensez des Israéliens et du conflit, et dites quelle devrait être selon vous la solution ».

Les enfants devaient dessiner des images pour illustrer leurs rédactions, et
l’ensemble devait représenter l’image des enfants palestiniens et de ce qu’ils pensaient. Assi Sharabi vient de terminer son analyse, dans le cadre d’une thèse de doctorat en psychologie sociale pour la London School of Economics.

123 élèves issus de trois écoles (une école d’une grande ville, une autre d’une colonie des territoires occupés, et la dernière d’un kibboutz) lui ont offert, fait assez rare, l’image de l’Arabe vu par un élève israélien juif.

« Les enfants, comme de nombreux adultes, ont des difficultés à considérer la
réalité à partir du point de vue de l’autre », dit Assa Sharabi. Les rédactions et les dessins ont servi aux enfants à exprimer leurs émotions et leurs opinions de l’autre. Il y a quelques semaines, Sharabi lisait dans ces colonnes un article sur les manuels scolaires israéliens qui traitait, entre autres, des stéréotypes dans la perception des Arabes, ainsi que du peu d’attention prêtée au récit de l’histoire des Palestiniens et aux problèmes palestiniens. [ [voir cet article ]]Cette semaine, lors d’un court séjour ici, il a dit que son étude montrait que les manuels scolaires, avec bien entendu les parents, les enseignants, les médias et d’autres facteurs encore, contribuaient efficacement à renforcer ces stéréotypes.

On retrouve les traces de ces stéréotypes dans les rédactions, et elles sont
criantes dans les dessins. Les mots et les images révèlent un océan d’hostilité, de haine, d’aliénation et de désespoir. Si l’on effectuait la même étude chez les enfants palestiniens, les mêmes résultats seraient interprétés comme une preuve que les écoles dans les territoires occupés sont engagées dans une action d’incitation à la haine contre Israël. Mais on peut se réconforter en supposant que, si l’étude avait été effectuée avant le 1er octobre 2000, et avant les vagues d’attentats suicides, les rédactions et les dessins auraient été plus optimistes.

« A bientôt dans la tombe

L’étude révèle que pour un enfant israélien, l’enfant palestinien s’appelle le plus souvent Mohammed, ou Mahmoud, qu’il a grandi dans un foyer défavorisé, parfois dans des conditions primitives, et qu’il tient entre ses mains un fusil, ou qu’il porte une ceinture d’explosifs. Le phénomène le plus frappant qui se dégage des rédactions des enfants des trois groupes, est la déligitimation des Palestiniens.

Les rédactions des enfants de la ville et des enfants des colonies sont remplies de descriptions de gens cruels qui ne pensent qu’à une chose : massacrer des
Israéliens. Le Palestinien est décrit comme un terroriste assoiffé de sang. Pour ces enfants, la violence palestinienne apparaît comme une caractéristique fondamentale et immuable ; ce sont des gens cruels, irrationnels et violents, poussés par une haine aveugle d’Israël.

« Mon nom est Mohammed Kabir. Quand je serai grand, je veux faire exploser des Juifs », écrit un garçon urbain de 12 ans. « Mon héros est Hitler. les Juifs sont une sale race. Chez moi, j’ai appris comment neutraliser une bombe. En classe de dessin, j’ai dessiné un Juif pendu. En sport, nous avons appris à courir entre les mines. Le conflit est bon pour nous, parce que, si un Arabe meurt, ça n’a pas d’importance, parce que, quand il mourra, il y aura cinq Juifs qui l’accompagneront dans la tombe – j’ai un autographe de Ben Laden avec une dédicace ‘pour mon fils, félicitations’ – j’espère atteindre l’âge de 10 ans. J’ai été élevé chez moi pour assassiner des Juifs. L’année prochaine dans Gaza reconstruite : s’il n’y a pas de Juifs, personne ne sera tué. A bientôt dans la tombe! »

Un garçon de la colonie juive choisit de décrire le rêve d’un garçon palestinien : « dans mon rêve, je pénètre en Israël et je tue des Juifs … C’est bien, parce que personne chez nous ne sera tué à part les kamikazes, que j’admire, ils ont des tas de morts et de blessés. »

Pour Sharabi, le résultat le plus important de son étude est que les enfants
israéliens sont pris au piège dans une série de noeuds émotionnels et de conflits cognitifs. Il y a un sentiment de culpabilité par rapport aux actions d’Israël dans les territoires, d’où leur la justification par l’argument qui dit qu’il n’y a pas d’alternative ; il y a un immense désir de paix et de sérénité, mélangé à une absence de croyance en la possibilité que cet espoir se réalise ; il y a une déligitimation de la violence palestinienne, et une légitimation de cette même violence en décrivant ces Palestiniens comme victimes des Israéliens, ou de la situation.

Sharabi a identifié trois facteurs qui servent aux enfants à comprendre et à
justifier les actes de terrorisme : le conflit territorial, la pauvreté et le désespoir, et l’atteinte portée à leurs droits. « J’ai tellement peur tout le temps que l’armée israélienne vienne dans notre maison ou la démolisse », écrit un garçon de la ville, au nom d’un enfant palestinien. « Il y a toujours le couvre-feu ici, et ma mère pleure parce que mes frères la rendent folle, et mon père est déprimé. »

Un autre motif récurrent concernant la facette humaine des Palestiniens, qui trouve probablement sa source dans les médias, est l’histoire d’un enfant
palestinien dont la famille l’a poussé dans le rôle du kamikaze. « Mes parents m’ont envoyé commettre un attentat suicide en Israël », écrit un autre élève de la ville. « Ils m’ont donné une ceinture d’explosifs. Je ne comprends pas comment ils s’attendent à ce que je rentre à la maison si la ceinture explose sur moi. Je ne sais pas comment cela va aider mes parents si leur fils meurt. Je pensais que pour mes parents, ma vie était plus importante que tout ».

Bien que les enfants du kibboutz montrent une tendance moindre à nier la
légitimité de leurs voisins, et le font indirectement et avec davantage de
délicatesse, eux aussi, comme les autres, supposent que les Palestiniens ne
sont pas intéressés par le changement. « Ma famille et moi sommes pour la paix », écrit une fillette du kibboutz au nom d’une fillette palestinienne, « mais nous n’arrivons pas à convaincre tous les Palestiniens. Parfois, des amis viennent à la maison pour discuter, et je m’énerve, et je veux crier et dire aux amis de mes parents : ‘non !!! ce n’est pas une solution de dire du mal des Israéliens’, et ils n’ont pas un mot sur la solution au conflit. »

Pour de nombreux enfants des trois groupes, la Bible sert de puissante source de mythes et de symboles. Un garçon du kibboutz écrit au nom d’un enfant palestinien : « nous pensons qu’Israël nous a pris notre terre, et ils pensent qu’elle est à eux parce qu’à l’époque de la Bible, la terre a été donnée par Dieu à Abraham ». Un enfant de la même classe écrit : »je pense que Jérusalem nous appartient, à nous les Arabes, parce que nos ancêtres sont nés ici, et nous ferons tout pour récupérer Jérusalem. » Un enfant d’une colonie enrôle la Bible dans un combat avec le Coran : « je pense que les Juifs ont tort. Ils sont venus dans l’Etat d’Israël alors que nous y étions, et ils ont voulu nous expulser. Dans le saint Coran, il est dit que la terre est à nous, et eux, ils sont venus avec leur Bible et ils
ont dit que d’après ce livre, la terre était à eux ».

De façon générale, les rédactions indiquent une perception fataliste de la réalité, qu’il est impossible de changer; « Je pense que ce conflit durera toujours », écrit un garçon de la ville, et un autre du kibboutz : « je voudrais la paix, mais je regrette de devoir dire qu’à mon avis, cela n’arrivera pas ».

Ces enfants blâment moins l’un des côtés qu’ils n’expriment du désespoir et de l’impuissance. D’autres enfants blâment les Palestiniens pour avoir mis en pièces leur rêve de paix. « Ils ne comprennent pas que nous ne céderons jamais. Nous avons un seul but : un Etat palestinien à la place de l’Etat d’Israël », écrit un enfant de la ville. Une fillette du kibboutz oublie la règle du jeu et se dévoile : « je pense qu’autour d’Israël, il y a beaucoup de pays arabes, et que les Arabes pourraient aller dans l’un de ces pays alentour, et qu’ainsi ils pourraient nous épargner la guerre, les batailles, les conflits et tout », écrit-elle, entièrement en son nom, et elle ajoute : « il faut absolument arriver à un accord, et je ne comprends pas pourquoi eux et nous ne nous accordons pas pour sacrifier deux ou trois choses, et ainsi
nous pourrions vivre ensemble. Il faut voir le verre comme à moitié plein, et sinon, verser le verre à moitié vide dans un verre plus petit, comme cela il serait tout à fait plein ».