L’existence d’Israël sous forme d’un État juif et démocratique ne dépend pas d’un acte législatif, mais de l’affermissement d’un État démocratique dont les citoyens jouissent d’une pleine égalité de droits et dont la majorité de la population est juive.

Le maintien de cette majorité ne va pas de soi mais demeure possible, étant donné l’actuelle majorité juive de 4/5 – à condition qu’Israël y voit sa priorité plutôt que dans l’annexion de territoires peuplés de centaines de milliers d’habitants palestiniens, comme cela s’est passé à Jérusalem.

Conserver une majorité juive dans un État démocratique ne saurait se faire au moyen d’une législation discriminatoire. Quoique destinée aux Juifs, la loi du Retour n’opère pas de distinction entre les citoyens du pays ; elle s’adresse [par définition] à ceux qui n’en sont pas citoyens [1]. À l’inverse, l’amendement à la loi sur la citoyenneté interdisant aux Israéliens de former une famille en Israël avec des Palestiniens des Territoires est discriminatoire [2]. On peut en effet prévoir que seuls, ou presque, des Arabes israéliens voudront fonder de telles familles. Les autorités n’ont pas osé motiver cet amendement à la loi sur la citoyenneté par la nécessité d’assurer une majorité juive, craignant à juste titre qu’elle ne soit de ce fait invalidée par la Cour suprême. En lieu de quoi, l’État a invoqué des raisons de sécurité, avalisées par la Cour suprême à la majorité des voix.

La professeur Ruth Gavison [3], maintenant chargée par la ministre de la Justice Tzippi Livni de la rédaction « d’un arrangement constitutionnel traitant du caractère juif et démocratique de l’État d’Israël et protégeant les éléments constitutifs de son identité équilibrée en y intégrant ces deux valeurs », avait avec raison refusé d’user de ce faux-semblant. Elle avait alors justifié cet amendement à la loi sur la citoyenneté par la nécessité d’assurer une majorité juive, fût-ce au prix d’une atteinte à la démocratie – dont la pierre angulaire est l’égalité des citoyens en droit.

Présenté par le député Avi Dichter [Kadimah], le premier projet de « Loi fondamentale [4] : État national du peuple juif » émanait de « l’Institut de stratégie sioniste » du mouvement colon (qu’il serait mieux approprié d’intituler “Institut de stratégie anti-sioniste”). Il a montré que pareille législation n’était possible qu’au prix d’une atteinte à l’égalité des citoyens devant la loi. Il en va de même pour le second, porté par les députés Yariv Levin [de la liste unie Likoud-Israël notre Maison] et Ayeleth Shaked [La Maison juive].

Mais tel est précisément l’objectif de cette loi : assujettir les valeurs démocratiques de l’État à sa “judéité”. Les législateurs se font aussi les colons de la minorité arabe, soit un cinquième de la population de l’État (voir la récente proposition de “loi de gouvernance” [5] hissant à 4% le seuil d’éligibilité à la Knesseth).

On doit cependant entendre aussi les pressions en faveur de cette législation comme des préparatifs en vue d’un Israël détenteur d’une proportion de Palestiniens de loin supérieure après l’annexion de de territoires supplémentaires – ainsi que ses initiateurs le veulent.

Point n’est besoin d’une nouvelle loi sur la citoyenneté qui viendrait attenter à l’égalité des droits et ferait glisser Israël sur la pente de l’apartheid. Le bon cap est évident, et le Premier ministre l’a compris : Israël doit se forger des frontières dans lesquelles il dispose d’une majorité juive, et œuvrer à l’intégration de ses citoyens palestiniens. L’idée même d’une loi de l’État national, dans quelque version que ce soit, va dans le sens opposé et doit être mise au rebut.


NOTES

[1] Votée par la Knesseth en juillet 1950 au nom du “rassemblement des exilés”, la loi du retour, qui donne à tout Juif/Juive et à sa famille le droit d’immigrer en Israël si il/elle en manifeste le désir, s’applique par définition à qui n’est pas (encore) citoyen/citoyenne de l’État d’Israël.

2] Pour en savoir plus sur les effets de cet amendement de 2003 à la “Loi sur la citoyenneté et sur l’entrée en Israël”, qui invalide le regroupement des familles isaélo-palestiniennes, on peut lire sur le site du Courrier international la traduction de l’article de Tayser Khatib en date du 7 février dernier, « Quand un Arabe israélien épouse une Palestinienne »: [

[3] Membre fondateur de l’Association pour les droits civiques en Israël, Ruth Gavison est professeur (en retraite) de droit public à l’Université hébraïque et à l’Israel Democracy Institute. Spécialisée en philosophie politique, religion et politique, droit des minorités, droits de l’homme, etc., elle a participé à plusieurs commissions nationales d’enquête et obtenu de nombreux prix – dont le Prix de Jérusalem pour la tolérance en 2002 et le prestigieux Prix d’Israël en 2011). Une autorité en matière de droits de l’homme, mais une autorité parfois controversée et qui défend ces dernières années sur les questions qui nous occupent une position hétérodoxe visant à redéfinir l’identité juive dans la loi.

[4] En l’absence de Constitution – différée par David Ben-Gourion (et depuis) du fait du rapport jamais réglé entre État et religion – Israël est régi par un ensemble de “lois fondamentales” encadrant son système juridique.

5] Mesure phare du programme d’Israël Beïtenou, cet amendement aux lois fondamentales d’Israël a été adopté le 31 juillet en première lecture à la Knesseth (il en reste deux, qui auront lieu en octobre). La “loi de gouvernance” fait passer le seuil électoral de 2 % à 4 %, limite les motions de censure à une séance mensuelle… Les petits partis (arabes et ultra-orthodoxes surtout) risquent d’en pâtir et s’y sont vivement opposés, de même que la gauche israélienne, Meretz en tête. Pour en savoir plus : [