Ha’aretz, 23 mai 2008

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Traduction : Gérard Eizenberg pour La Paix Maintenant


Les trompettes et les applaudissements se sont tus, les claques sur le dos ont cessé et, pourtant, le discours retentit toujours. Son écho a voyagé ici et surtout là-bas, aux Etats-Unis, d’une côte à l’autre.

Un journal rapportait depuis la Knesset 14 standing ovations. Un autre en avait compté 18, pas moins. Le cœur des élus et des invités au balcon battait la chamade. Et tout cela pourquoi ?

Parce que les Palestiniens s’étaient évanouis dans la nature. La terre s’était ouverte et les avait engloutis. Finalement, le rêve s’accomplit : la « vision de Bush », la « Feuille de route », un Etat palestinien en décembre – tout cela a disparu sans laisser de traces, en même temps que les colonies et les check points. Jamais Jérusalem n’avait été aussi loin d’Annapolis. Jamais la Knesset n’avait été aussi loin de la réalité.

La Knesset est un sous-marin bleu et blanc, dont l’oxygène commence à manquer et dont la vue sur la réalité se brouille. Dans 60 ans, promet le président de la Knesset, la vie ici sera bonne. Alors, pourquoi ne pas se lever et applaudir ?

On peut aisément imaginer le président de l’Autorité palestinienne assis dans son bureau, regardant le discours de George Bush à la télévision sans en croire ses yeux et se demandant s’il devait desserrer les poings et ce qu’il pouvait faire de sa honte alors qu’on se moquait de lui et de ses positions modérées. Maintenant, Mahmoud Abbas pourrait-il avoir l’amabilité d’attendre aussi que les prochains pourparlers avec la Syrie ne portent pas leurs fruits ?

L’excitation ressentie dans la salle plénière va crescendo : « Massada ne tombera pas une deuxième fois », formule encore plus impressionnante en anglais qu’en hébreu. Un nègre doué avait mis les mots dans la bouche de l’orateur, mots dont il ignore totalement le sens. Si, Massada tombera de nouveau, très certainement, si nous nous adossons une fois de plus à un coin de l’Histoire, à une position massadienne : un millier de fanatiques et leurs familles, assiégés et désespérés, choisissant la mort. Du côté droit de la lune, le côté sombre, il sera toujours possible de trouver un personnage mal luné, suicidaire pour lui-même et pour son peuple, une sorte de réincarnation de Ben Yaïr, le chef des fanatiques de Massada.

Et maintenant, le clou de la fête : la machine nous sort Hitler. Quoi de plus émouvant ?

Ainsi parla George W. Bush : « Certains semblent croire que nous devrions négocier avec les terroristes et les radicaux. Comme si une quelconque discussion de bonne foi les convaincrait qu’ils font fausse route. Nous avons déjà entendu cette illusion folle. Alors que les Nazis envahissaient la Pologne en 1939, un sénateur américain avait dit : ‘Seigneur, si seulement j’avais pu parler à Hitler, tout cela aurait pu être évité.’ Nous avons le devoir d’appeler cela le confort fallacieux de l’apaisement, discrédité par l’Histoire. »

Bush évoque un sénateur mort et oublié depuis longtemps, mais il en vise un autre, bien vivant lui, et qui pourrait hériter de son poste dans cinq mois. Peut-être les députés israéliens étaient-ils trop occupés pour suivre, mais ces mots ont déclenché une tempête aux Etats-Unis car la diatribe de Bush était sans fondement. Barack Obama n’a pas réellement proposé de négocier inconditionnellement avec des terroristes, et en outre, nous avons déjà vu où Bush lui-même avait mené le monde par la seule force brutale et arrogante.

Pas un seul député israélien n’est resté assis en signe de désaccord respectueux avec le hourra ambiant.

On peut seulement imaginer ce que le peuple d’Amérique a pu penser de ce comportement : on lave le linge sale américain à l’étranger, et des élus d’un parlement étranger mettent leur nez dans le linge souillé pour le respirer avec un délice ouvertement affiché. Ce que nous détestons que l’on nous fasse, nous venons de le faire à nos amis.

Nos députés et ministres seraient peut-être intéressés d’apprendre ce qui s’est passé aux Etats-Unis le jour même du discours de Bush : dans une élection partielle au Mississipi, dans une circonscription clairement républicaine, un candidat démocrate a été élu au Congrès. Il s’agit de la troisième défaite d’affilée pour un candidat républicain, et certains considèrent cela comme un signe avant-coureur de ce qui se produira en novembre. Des Républicains de premier plan disent maintenant aux autres candidats de leur parti de se démarquer du président. Même John McCain, le candidat aux présidentielles, préfère ne pas être vu en compagnie de Bush [[John McCain a, lui aussi, eu droit à sa petite affaire Hitler. L’un de ses soutiens téléévangélistes du Texas (du nom de John Hagee) avait déclaré : « Dieu a envoyé Adolf Hitler pour aider les Juifs à atteindre la terre promise. » McCain a dû se désolidariser. On vit une époque formidable (ndt)]].

Pendant sept ans, Bush est resté en dehors et nous a laissés saigner, nous et les Palestiniens. Soudain, il nous rend deux visites en quatre mois. En fin de règne, clopin-clopant, Bush n’a plus nulle part où aller. Or, personne ne le serrera dans ses bras davantage que Shimon Peres, Ehoud Olmert et Dalia Itzik. Cette démonstration de servilité ne pouvait avoir lieu qu’en Israël. Même les trompettes auraient dû avoir honte.

Bientôt, un nouveau président américain sera élu. Les chances d’Obama augmentent. Lui n’aura pas besoin de sept ans pour venir. Du moins peut-on l’espérer.

Et quand il viendra, il sera invité à s’adresser à la Knesset, et lui aussi prononcera de jolis mots d’amitié. Corrigera-t-il aussi ceux qu’il aime ? On peut seulement l’espérer.

Et ne vous inquiétez pas : la Knesset se lèvera et ovationnera. Le roi est mort, vive le roi. Et elle s’agenouillera. Car telle est la coutume dans une fière république bananière.