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Ha’aretz, 26 septembre 2005
Trad. : Gérard Eizenberg pour La Paix Maintenant
« Si vous avez besoin d’un voleur, faites-le descendre de l’échafaud ». Ce proverbe peut s’appliquer aujourd’hui au député palestinien Marwan Barghouti, condamné à perpétuité. Sa libération de prison pourrait sauver la mise à Mahmoud Abbas et au Fatah lors des élections prévues fin janvier. Cela est encore plus vrai compte tenu de la situation sécuritaire ce week-end, qui a vu l’exacerbation des luttes de pouvoir entre les différentes factions palestiniennes, alors que le Hamas semble prendre le contrôle de la bande de Gaza.
Malgré tout le respect dû aux arguments moraux et juridiques concernant Barghouti, le facteur essentiel ici tient aux circonstances politiques. Dans le climat israélien actuel, sa libération est quasiment impossible : les luttes de pouvoir à la tête de l’Etat empêcheront les ministres de soutenir une pareille proposition. Néanmoins, il est important de noter que, par le passé, dans d’autres circonstances, des gouvernements israéliens ont libéré des prisonniers bien pires que Barghouti, comme le leader du Hamas, Sheikh Ahmed Yassine, et plus de 1.000 terroristes, dont plusieurs centaines étaient des assassins condamnés à perpétuité. dans le cadre d’un échange avec Ahmed Jibril. Sans parler de négociations et de partenariats diplomatiques que certains gouvernements israéliens ont mis en oeuvre, y compris actuellement, avec des commanditaires et des planificateurs d’attentats qui ont occupé et occupent toujours des positions clés au sein de l’Autorité palestinienne. Et tous ceux-là ne valent pas mieux que Barghouti.
Il ne fait aucun doute que Barghouti est la personnalité du Fatah qui jouit de la plus grande popularité auprès de la rue palestinienne. Depuis sa condamnation, c’est lui qui, sans discontinuer, atteint les cotes de popularité les plus hautes après Mahmoud Abbas. Même Mahmoud Zahar, le leader du Hamas, se situe en-dessous. Lors d’un sondage réalisé en mai 2005, la cote de Barghouti a baissé, à cause du retrait de sa candidature contre Abbas aux élections, mais même alors, ses partisans étaient plus nombreux que ceux de Zahar.
Bien sûr, il est probable que la popularité de Barghouti ait à voir avec le fait qu’il est incarcéré dans une prison israélienne. Mais il existe d’autres prisonniers célèbres, comme Wassam Hader, de Naplouse, lui aussi député au parlement palestinien, mais son nom n’est jamais cité parmi les prétendants à des positions de pouvoir.
Dans les médias palestiniens, on parle souvent de Barghouti. Tous les lundis et jeudis, il signe des déclarations politiques qui sont publiées en première page des journaux. Il reçoit les visites de Palestiniens et d’autres, occupant d’importantes fonctions, qui viennent fréquemment le consulter. Il a des gens qui travaillent pour lui depuis la prison, et il intervient dans les affaires publiques. Certains hommes politiques, qui préparent les listes de candidats dans la perspective des élections législatives déclarent qu’ils sont disposés à le placer en tête de liste.
Les élections sont prévues pour la fin janvier, et au sein du Fatah, la confusion et les turbulences sont grandes. Yasser Arafat a laissé un vide immense, et il n’y a plus de patron. Arafat avait mis en place un régime centralisé pour l’OLP et surtout pour le Fatah, et Abbas n’a pas l’intention de l’imiter. Nasser Youssouf, le ministre de l’Intérieur, n’arrive pas à prendre le contrôle de l’appareil de sécurité, qui est devenu un agrégat de milices privées. A côté d’eux, un certain nombre de bandes armées et de bandits prétendent parler au nom du Fatah. Au milieu de tout cela, il y a une rivalité très dure entre les vétérans de Tunis et la jeune garde, dont le leader indiscutable est Barghouti. La vieille garde de Tunis, membres du comité central du Fatah, approchent aujourd’hui des 70 ans et refusent de céder la place. Ils méprisent Barghouti, le traitent de puéril et de débutant, mais ils savent que le danger vient de lui.
Barghouti a une réputation d’incorruptible, ce qui n’est pas le cas de beaucoup d’autres au sein des instances dirigeantes du Fatah. L’opinion palestinienne l’apprécie pour cela, et pas seulement parce qu’il est emprisonné en Israël en tant qu' »ingénieur de l’intifada » (comme on le nomme parfois). C’est peut-être le seul qui puisse conduire le Fatah à la victoire sur le Hamas.