Ha’aretz, 19 décembre 2007

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Traduction : Gérard Eizenberg pour La Paix Maintenant


Il y a une vieille histoire juive qui raconte qu’une mère aimante prodiguait ses derniers conseils à son fils avant son départ pour la guerre : « Tue un Turc, puis repose-toi. » Le fils : « Et si c’était le Turc qui essayait de me tuer ? » La mère écarquille les yeux : « Pourquoi voudrait-il te tuer ? Qu’est-ce que tu lui as fait ? »

Voilà exactement le genre de bonne conscience qui accompagne notre attitude à l’égard des Palestiniens. Cela saute aux yeux avec les reportages de la télévision, la radio et les journaux, qui ne rendent qu’une image partiale du conflit. Car quand l’emportent les considérations d’Audimat, ou de pure lâcheté, l’information à laquelle le public a droit est biaisée. C’est ainsi que se forme une opinion publique extrémiste, qui pense que la justice est de notre seul côté, car après tout, « qu’est-ce qu’on leur a fait ? »

Mercredi dernier, les médias ont rapporté les graves attaques à la roquette sur Sderot. Vingt roquettes avaient été tirées sur la ville, et le maire Eli Mouyal présentait sa démission en direct à la radio (démission retirée le même jour, à la demande d’Ehoud Barak, ndt). Les bulletins d’information, sur les trois principales chaîne de télévision, étaient dramatiques. Les journalistes ont interviewé des habitants de Sderot furieux, qui exigeaient une action militaire immédiate et très dure dans la bande de Gaza. L’une des Qassam avait frappé la maison d’Aliza Amar. Celle-ci, blessée, était transportée dans un hôpital d’Ashkelon,

Il est clair que la situation à Sderot et dans les localités proches de la bande de Gaza est très difficile, et qu’elle mérite d’être couverte le plus largement possible. Mais cette histoire comporte plusieurs angles, que les chaînes de télévision ne présentent absolument pas. Aucune des chaînes n’a jugé bon de rappeler au téléspectateur que plusieurs jours avant les attaques sur Sderot, l’armée avait entamé une action à grande échelle à Gaza, la deuxième en importance depuis le désengagement.

Mardi dernier, la veille du tir de barrage sur Sderot, trois personnes étaient tuées à Gaza par un obus tiré par un tank sur une maison, au sud-est de Khan Younis. Deux autres tuées par une bombe larguée par un avion sur leur véhicule, et une autre a « trouvé la mort » dans la région de Beit Hanoun. D’après Tsahal, tous ces morts étaient des terroristes membres du Jihad islamique. Au total, 13 personnes tuées au cours de l’action, et 40 arrêtées pour être interrogées.

Le Jihad islamique annonça qu’il se vengerait, et le lendemain, les roquettes plurent sur Sderot. Le lien était clair. Mais en images, cela ne rend pas bien. Parler d’Arabes qui « vengent » leurs morts n’est pas bon pour l’Audimat. Il est bien plus facile et « fédérateur » de ne montrer qu’un côté de l’histoire : la souffrance des habitants de Sderot. Ainsi, l’histoire devient simple : des Arabes, méchants et irrationnels, tirent sur nous sans raison.

Le discours sur le retrait de Gaza souffre des mêmes syndromes de superficialité et de partialité. On nous raconte que nous nous sommes retirés de Gaza, et que, bizarrement, ils nous tirent toujours dessus. Or, nous nous sommes retirés de Gaza de la pire des manières possible. Ariel Sharon n’a pas voulu parler à Mahmoud Abbas, ni coordonner le retrait avec lui. Il n’a pas voulu qu’Abbas en retire un quelconque bénéfice. Et nous nous sommes retirés unilatéralement. Après, on s’étonne qu’à Gaza, le Hamas ait renversé Abbas ?

En réalité, immédiatement après le retrait, le calme a régné. Mais qui s’en souvient et qui a envie de nous le rappeler ? Il n’y avait pas de tir de Qassam et la trêve était respectée. Mais c’est alors qu’Israël a dit que, bien qu’il se soit retiré de Gaza, il continuerait à pourchasser les membres du Jihad islamique en Cisjordanie. L’armée s’est lancée dans une grande campagne d’opérations d’assassinats en Cisjordanie, puis le Jihad a annoncé son intention de se venger dès que cela serait possible. Ainsi, les tirs sur Sderot reprirent, à un rythme plus élevé, et Tsahal réagit par des assassinats à Gaza. Depuis lors, le cycle infernal ne s’est jamais arrêté, y compris les événements de ces derniers jours, qui promettent une escalade supplémentaire.

Il y aurait beaucoup à dire sur le retrait de Gaza, mais personne ne rappelle que Gaza est encerclée et affamée. Depuis le retrait, la situation se détériore. Le taux de chômage atteint 60%. Sur les 1,5 million d’habitants, 1,1 million ne vivent que grâce à la nourriture qu’ils reçoivent de diverses organisations des Nations unies, soit le pourcentage le plus élevé au monde. Récemment, Israël a réduit la quantité de produits livrés à la bande de Gaza, y compris la nourriture, ainsi que l’approvisionnement en fioul. Tout cela provoque des pénuries extrêmes, un immense désespoir et le sentiment qu’il n’y a plus rien à perdre. Il est clair que dans une telle situation, la haine l’emporte et le désir de vengeance est le seul espoir. Mais ici, tout ce dont on parle, c’est la souffrance des habitants de Sderot. Exactement comme la mère juive de l’histoire : « Mais qu’est-ce qu’on leur a fait ? »