[Il n’y a que « deux voies possibles concernant le conflit israélo-palestinien : la solution à deux États ou une descente aux enfers pour toute la région, en comparaison de laquelle les précédentes effusions de sang nous apparaîtront comme de petites chamailleries“, écrit ici Carlo Strenger. Toute prise de position contraire ne fait que favoriser l’attentisme, sinon un mortel quitte ou double de la droite israélienne aujourd’hui au pouvoir.

Professeur de psychologie et chroniqueur régulier dans Ha’aretz, l’auteur, dont nous avons à plusieurs reprises traduit le blog publié dans ce quotidien sous le titre « Strenger than fiction », sera notre invité au cercle Bernard Lazare le mardi 8 février prochain.]


Pour l’instant, les Etats-Unis ont gentiment arrêté l’embarrassant marchandage au sujet du gel de la colonisation. Alors que l’administration Obama affirme officiellement qu’elle continuera à chercher le moyen de relancer le processus de paix, elle comprend en réalité en fait ce qui apparaissait comme évident dès lors que Benjamin Netanyahu choisissait de former une coalition avec ses alliés “naturels“, Avigdor Lieberman et le parti Shass : ce gouvernement n’a ni la capacité, ni même la volonté de parvenir à un accord avec les Palestiniens.

C’est précisément l’heure de vérité pour les Palestiniens. Pendant un siècle, ils ont souffert d’avoir été les victimes de l’Histoire et non ses acteurs. A présent, la roue a tourné puisqu’une seule stratégie peut aujourd’hui parvenir à faire bouger les lignes : le plan de Salaam Fayad visant à proclamer l’indépendance de l’Etat palestinien en 2011 et la recherche d’une reconnaissance internationale pour cette proclamation, mettant ainsi en place une souveraineté de fait sur les terres déjà sous contrôle de l’Autorité palestinienne. Les récents événements, comme la reconnaissance de l’Etat de Palestine par le Brésil, l’Argentine et l’Uruguay, comme la déclaration de l’Union Européenne indiquant qu’elle reconnaîtra un Etat palestinien en temps voulu montrent que la stratégie de Salam Fayad peut s’avérer payante.

Cela peut également signifier que les Palestiniens sont sur le point de revenir sur l’erreur historique majeure faite en 1947, le refus pur et simple du plan de partage de l’ONU, erreur qui eut pour conséquence des décennies de souffrances terribles. Mais ils doivent également s’assurer que cette stratégie permettra au gouvernement israélien suivant, qui succédera à celui de Netanyahu et sa coalition d’extrême droite, de parvenir à un accord de paix.

Ils doivent affirmer clairement que le retour aux frontières de 1967 mettra fin au conflit. Plus important encore, si l’exigence d’une reconnaissance du drame des réfugiés de 1948 est maintenue, ils doivent accepter, comme le préconise Yuval Rabin – le fils d’Itz’hak Rabin – que le droit au retour ne soit pas appliqué sauf dans des cas exceptionnels et symboliques.

Malheureusement, il semblerait que les Palestiniens vont peut-être suivre de nouveau le penchant qui consiste à ne jamais rater une occasion de rater une occasion. Le négociateur palestinien Saeb Erekat affirmait récemment dans le Guardian que le droit au retour était fondamental, prétendant même “que la reconnaissance par Israël du droit au retour des réfugiés, les réparations que l’on devrait accorder et le choix d’exercer pleinement ce droit au retour ne changeront pas du jour au lendemain la réalité du Moyen-Orient et ne conduiront pas à une crise existentielle pour Israël”.

Avec Akiva Eldar [1], j’ai écrit une réponse à Saeb Erekat dans laquelle nous exprimions notre déception quant à ces propos. Nous nous attendions à plus de sagesse et de sens politique de la part du négociateur en chef des Palestiniens. Ses propos jouent en faveur de la droite israélienne, qui clame depuis des décennies que les Palestiniens n’accepteront jamais l’existence même de l’Etat d’Israël. Erekat ne peut affirmer de bonne foi que la réalisation du droit au retour des Palestiniens “ne conduira pas à une crise existentielle pour l’Etat d’Israël”, car l’installation de millions de Palestiniens en Israël ne signifiera rien de moins que la fin du foyer national pour le peuple Juif.

Il faut qu’il soit clair que même des libéraux comme Akiva Eldar et moi, qui avons milité en faveur de la création d’un Etat palestinien avant même que l’OLP et le gouvernement israélien n’envisagent ne serait-ce que d’engager une discussion, avons des lignes rouges infranchissables. Si nous pouvons comprendre le besoin d’une reconnaissance des souffrances subies depuis 1948, une part de responsabilité israélienne et le désir d’une certaine forme de dédommagement, l’arrivée massive de Palestiniens en Israël est une éventualité que nous ne pouvons accepter en tant qu’Israéliens.

La raison pour laquelle les Israéliens sont réticents à signer un accord de paix avec les Palestiniens est qu’ils ne pensent pas qu’un tel accord garantira la sécurité à long terme du pays et sa survie. Ils sont effrayés à l’idée que la solution à deux Etats se transforme en solution à deux étapes : qu’une fois un Etat palestinien établi en Cisjordanie et à Gaza, les Palestiniens continueront à réclamer le droit au retour en Israël. En conséquence, Israël ne serait jamais définitivement accepté par le monde arabe alors qu’il aura cédé sur les implantations. Et l’Etat juif resterait donc un pays menacé par ses voisins.

Par cette demande d’application stricte du droit au retour, telle qu’Erekat semble l’exprimer, les Palestiniens condamnent Israël et toute la région, mais eux-mêmes également, à de nouvelles décennies de violences et de souffrances. Cette théorie qui voudrait que les Israéliens finssent par abandonner le projet d’un Etat pour le peuple juif est erronée. Considérant ce qui s’est passé au XXe siècle, il est sûr qu’Israël se battra jusqu’à son dernier souffle.

Je n’espère pas que les Palestiniens éprouvent soudainement de l’empathie pour l’histoire du peuple juif, car ils n’ont pas besoin de s’identifier à nous pour comprendre qu’il y a un choix à faire : la solution à deux Etats ou une plongée de la région dans le chaos, en comparaison de laquelle les explosions de violence de ces dernières années apparaîtront comme des chamailleries.

Les Palestiniens doivent aussi comprendre que le système politique israélien et la conscience collective du pays sont paralysés. Avec toute la force militaire d’Israël, son incroyable créativité en termes d’innovation technologique et culturelle, très peu de choses peuvent être espérées de l’actuel gouvernement en termes de courage politique. Bien qu’aux yeux du monde Israël soit la plus forte des parties au conflit, le paradoxe est qu’à l’heure actuelle ce sont bien les Palestiniens qui vont décider de l’avenir de la région.

S’ils tentent de capitaliser les succès internationaux obtenus pour pousser l’avantage jusqu’à exiger l’application du droit au retour, ils répèteront l’erreur historique de 1947, en refusant à nouveau la partition de la Palestine mandataire. Il nous reste à espérer qu’ils suivront plutôt Salaam Fayad et choisiront une vie de dignité, de paix et de liberté au côté d’Israël.