[« Ce sont les Israéliens sortis dans les rues pour le plus grand mouvement de protestation de l’histoire nationale qui détiennent le pouvoir réel », écrit ici Yaïr Lapid.
« On l’appelle le “petit“ citoyen », titrait quant à elle Talia Sasson le même jour [1]. Et d’enchaîner : « Cela fait des années que la colère lui reste en travers de la gorge, qu’il paye des impôts retenus à la source sur son salaire et effectue ses périodes de réserve. Et où sont ses représentants à la Knesseth ? Pourquoi n’essayent-ils pas de l’arracher à ses problèmes, et ne font-ils que légiférer sur le boycott… »
Ainsi, c’est la prise de conscience et la montée en puissance de l’Israélien “moyen“, comme nous le qualifierions peut-être ici, qui ont retenu l’attention des commentateurs de Yedioth à l’issue des manifestations de masse de samedi soir à Tel-Aviv ou Haïfa, mais aussi à Qiryath Shmoneh, Hederah, Naharia ou Eilath ; tout comme la liberté de parole mise en exergue par la photo d’un manifestant brandissant cette pancarte dans la foule de Kikar haMedinah (la “place de la Nation” à Tel-Aviv) : « Me’hapess ishah âchirah / Cherche femme riche ». Une photo ainsi légendée : « Déjà plus seul. La nation sur la place, hier. »]
Hier, les nouveaux citoyens sont venus dire « Assez ! ».
Il y a quelque huit semaines, j’écrivais dans ces colonnes : « C’est là le trait le plus éclatant des esclaves – ils sont invisibles. Notre régime, tandis qu’il échange en secret des dessous-de-table avec les courtiers des magnats et de divers groupes d’intérêts, oublie la plupart du temps que les esclaves existent. »
Huit semaines plus tard, c’en est fini. Les nouveaux citoyens qui ont afflué samedi soir sur Kikar haMedinah ne sont plus invisibles. Ils sont venus dire qu’ils sont malheureux, qu’ils ne peuvent plus continuer ainsi, et qu’aucune des tentatives de les faire disparaître à nouveau ne réussira.
Le débat sur l’aspect politique ou non de ce mouvement de protestation est superflu ; il est posé par les citoyens du passé pour la simple raison qu’ils ne connaissent pas d’autre langage. Il est clair, après tout, que cette contestation est politique.
Si nos impôts ne sont pas affectés au bon endroit, c’est politique. Si les strates productives de la société obtiennent le moins de droits, c‘est politique. Si l’ordre actuel des priorités veut que ceux qui gagnent le plus ne soient pas ceux qui le méritent, mais bien ceux qui savent user de la force, c’est politique. Si ce n’est pas la majorité qui gouverne, c’est politique.
Il s’agit là d’une politique destructrice et dangereuse, et tout aussi indécente. La soirée de samedi fut le premier pas d’un long cheminement visant à y mettre un terme.
Les nouveaux citoyens ne tentent pas de détruire le régime. C’est plutôt l’inverse qui est vrai : ils essayent de toutes leurs forces de contraindre le gouvernement à faire son travail : « OK, disent-ils à nos dirigeants, si vous ne comprenez que la force, nous allons en user. »
Car ceux qui composent un cabinet boursouflé et dispendieux de 39 ministres et secrétaires d’Etat ne comprennent que la force.
Car ceux qui laissent les magnats jouer avec les deniers publics ne comprennent que la force. Ceux qui capitulent devant la masse coalisée des groupes de pression ne comprennent que la force.
Ceux qui affirment à un secteur social qu’ils ne disposent d’aucun subside, tout en lâchant quasi sans frein des fonds à un autre, ne comprennent que la force.
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Ceux qui affichent leur inflexibilité aux dépens des internes en médecine, des fonctionnaires de police et des travailleurs sociaux, mais cèdent aux grands syndicats ou à divers milieux, ne comprennent que la force.
Quoi qu’il en soit, ceux qui ne comprennent que la force connaissent aujourd’hui des problèmes car, la nuit dernière, les nouveaux citoyens leur ont montré – sans user un seul instant de la force – où se trouve le véritable pouvoir. Ils ont continué à affluer, et à chaque personne de plus, chaque pancarte improvisée, chaque discours martelé, ce pouvoir a grandi.
Au fil des heures, leur puissance est allée croissant, jusqu’à devenir ce qu’elle était dès le départ, ce qu’elle était depuis le premier jour, ce qu’elle était depuis l’instant où les esclaves décidèrent de rompre leurs chaînes – elle est devenue la plus grande force jamais vue ici.
En politique, le seul crime impardonnable est de se montrer faible. La nuit dernière, les nouveaux citoyens ont afflué sur les places aux quatre coins du pays, et ont dit au gouvernement : « Nous sommes là, nous sommes malheureux, et le pouvoir nous appartient. Si vous ne faites rien, nous avons l’intention d’en user. »
NOTES
1] Dans la rubrique “Opinions“ de Yedioth A’haronoth en version hébraïque [