Israel 21c, 1er février 2007
Trad. : Gérard Eizenberg pour La Paix Maintenant
Plus de 9.000 élèves juifs d’Israël vont avoir l’occasion d’apprendre cette année l’arabe parlé, dans le cadre du projet « la langue en tant que pont culturel » de la Fondation Abraham.
« L’un de nos objectifs est de renforcer l’aspect multiculturel de la société israélienne, et la question de la langue est cruciale », dit Amnon Beeri-Sulitzeanu, directeur exécutif de la fondation, une association à but non-lucratif dont la vocation est de promouvoir la coexistence et l’égalité en Israël. « Le fait d’enseigner la langue et la culture arabes dans les écoles juives diminue la peur et les stéréotypes, et crée les conditions d’un dialogue honnête et informé entre les communautés juive et arabe. »
Ce programme, qui a débuté en automne 2004, s’est développé de façon spectaculaire chaque année. La première année, 890 élèves de CM2 dans 15 écoles participaient au projet. L’année suivante, 3.570 élèves dans 41 écoles. Cette année, 6.704 élèves de CM2, de sixièmes et de cinquièmes dans 65 écoles. L’année prochaine promet d’être encore plus importante, après la promesse de l’Agence juive de soutenir 80 écoles de plus au Nord d’Israël, en plus des 68 qui participeront au projet par l’intermédiaire de la Fondation Abraham.
En Israël, 20% de la population est arabe ou druze, soit plus de 1,25 miilion de personnes, leur langue maternelle est l’arabe, mais seul un petit pourcentage de la population juive est capable de communiquer en arabe. En dehors de quelques exceptions notables, les enfants juifs et arabes sont dans des systèmes éducatifs séparés. Et, tandis que dans le système éducatif arabe, l’arabe, l’hébreu et l’anglais sont obligatoires et font partie intégrante du programme, dans le système juif, l’arabe ne constitue pas une priorité.
« L’arabe est langue officielle de l’Etat d’Israël, et son enseignement est censé être obligatoire dans les écoles, mais cela n’est que mal appliqué », dit Beeri-Sulitzeanu. Il estime qu’environ 60 à 65% des enfants apprennent un peu d’arabe, quelque part entre le cours préparatoire et la terminale.
De plus, on n’enseigne aux élèves juifs que l’arabe littéraire, et non l’arabe idiomatique, employé dans les conversations de tous les jours. « C’est comme deux langues différentes. On peut exceller en arabe classique et ne pas pouvoir dire un mot dans la langue réelle », dit Beeri-Sulitzeanu.
Ces dernières années, il y a eu de nombreuses tentatives d’enseigner l’arabe dans les écoles, mais la plupart ont échoué, souvent parce que les enseignants étaient juifs. « Dans le passé, le but de l’enseignement de l’arabe était de connaître son ennemi », explique-t-il. « L’armée voulait des gens qui maîtrisent l’arabe et rejoignent les services de renseignement. Pour nous, c’est différent. Ce n’est pas la connaissance de l’ennemi qui nous intéresse, nous voulons connaître nos amis et voisins. »
Résultat : le programme est enseigné en priorité par des professeurs arabes. Et l’enseignement ne concerne pas seulement la langue, mais aussi la culture et la vie quotidienne. « Nous présentons aux enfants cette culture arabe, si riche, si fascinante. Ils font connaissance avec les films, les livres, l’artisanat, la cuisine, ils apprennent les belles histoires du peuple arabe. Il s’agit d’un système totalement différent », dit Beeri-Sulitzeanu,.
Le programme comprend une série d’activités culturelles autour de l’arabe parlé. Les enfants prennent des leçons de cuisine, lisent des livres, voient des pièces de théâtre, apprennent des chansons et des musiques, et même participent à des activités physiques – toutes choses qui leur permettent de faire l’expérience par eux-mêmes des différents aspects de la culture arabe.
« C’est un programme très contraignant », reconnaît Beeri-Sulitzeanu, qui ajoute que son association a étudié des modèles en Belgique, au Canada, en Espagne et au Royaume-Uni. « Ils ont les mêmes problèmes que nous. L’un des défis auxquels nous avons à faire face est d’échanger et d’adapter différents modèles. »
Pour le moment, la Fondation se consacre essentiellement aux élèves du CM2 à la cinquième, mais elle travaille sur un nouveau programme pour les quatrièmes et troisièmes, dont elle espère qu’il sera bientôt introduit. L’objectif ultime est de l’étendre du CE2 aux terminales et d’introduire un test au bac. « Nous voulons que l’arabe soit une condition préalable pour faire des études supérieures », dit Beeri-Sulitzeanu.
La Fondation Abraham a lancé ce projet de langues d’abord à Haïfa et à Carmiel, parce que les maires de ces deux villes se sont montrés enthousiastes. Pour Haïfa, cela était naturel, car c’est une ville mixte judéo-arabe. Carmiel, elle, est située en Galilée, une région elle aussi mixte. Le financement provient de différentes sources, dont l’Union européenne, le gouvernement israélien (plus précisément, le ministère de l’éducation), l’Agence juive, différentes municipalités et des fonds privés.
A ce jour, le projet a été accueilli chaleureusement, aussi bien par les élèves que les enseignants, les parents et les directeurs d’établissements. Des évaluateurs neutres ont mesuré le succès du programme. Le résultat a été un impact important sur les attitudes des enfants. Des tests ont été effectués, avant, pendant et après la première année. « Nous avons découvert qu’il y avait un certain nombre d’élèves qui n’étaient pas intéressés à apprendre l’arabe, et qui exprimaient des attitudes négatives à l’égard des citoyens arabes israéliens. Quand nous les avons testés six mois plus tard, puis un an plus tard, ces attitudes négatives avaient changé. Ces enfants étaient plus positifs, plus ouverts, et ils montraient même de l’intérêt et de la curiosité. Ils voulaient apprendre et en savoir plus. »
L’un des effets inattendus de ce programme a été que les enfants issus de familles « orientales » (des Juifs venus de pays comme le Maroc, l’Irak, la Syrie, etc., qui ont souvent été victimes de préjugés de la part des Juifs venus d’Europe) en sont venus à comprendre et apprécier leur propre culture, parfois pour la première fois. « Des parents et des grands-parents qui avaient émigré de pays arabes sont soudain considérés comme des sources d’information par leurs petits-enfants. Cela les rend fiers de leur héritage. C’est quelque chose que nous n’avions absolument pas prévu », dit Beeri-Sulitzeanu.
« Nous essayons de changer la situation en Israël dans le domaine des relations entre Juifs et Arabes », dit Beeri-Sulitzeanu. « Il faut identifier les points « chauds » de la coexistence, ces domaines de la vie sociale qui ont cruciaux pour les Juifs et pour les Arabes. Dans chacun de ces domaines, nous essayons de développer un modèle qui démontre à l’opinion publique israélienne et aux décisionnaires que nous pouvons vivre différemment, que nous pouvons réellement cohabiter. »
Le projet linguistique faisant de progrès rapides, l’association se fixe aujourd’hui pour objectif de convertir ce succès en subventions gouvernementales. « Nous demandons que le gouvernement adopte et applique ce programme, avec la législation idoine », dit Beeri-Sulitzeanu. « Dans une génération ou à peu près, il serait normal que tous les Israéliens parlent hébreu, arabe et, espérons-le, anglais. Nous devons garantir que le statut de la langue arabe soit assez fort et reconnu. Et il ne s’agit pas seulement de l’enseignement de l’arabe. Il faut que cette langue soit représentée pleinement dans la sphère publique. »
En France aussi
Pub (gratuite) pour nos amis de « Parler en Paix »
Cette association, créée il y a trois ans, a pour vocation d’enseigner à la fois l’hébreu et l’arabe. Quel que soit le niveau de l’étudiant dans l’une ou l’autre de ces deux langues, le principe est : étudier conjointement les deux langues.
Pour en savoir plus : [->http://www.parlerenpaix.org/]