New York Times, 14 février 2006


Selon certains représentants israéliens ainsi que des diplomates occidentaux, les Etats-Unis et Israël discutent en ce moment d’une politique destinée à déstabiliser le gouvernement palestinien, de sorte que les nouveaux élus du Hamas échouent et que des élections soient de nouveau organisées.

L’intention est de priver l’Autorité palestinienne d’argent et de relations internationales jusqu’à ce que, dans quelques mois, son président Mahmoud Abbas soit obligé d’organiser de nouvelles élections. L’espoir est que les Palestiniens soient si mécontents de la vie sous un régime Hamas qu’un Fatah réformé et aux ambitions réduites revienne au pouvoir.

Ces représentants soulignent aussi qu’un examen attentif du résultat des élections montre que le Hamas bénéficie d’un mandat moins clair que ce que l’on pensait généralement.

Les sources en question, qui affirment que cette approche est discutée en ce moment au plus haut niveau du Département d’Etat et du gouvernement israélien, s’expriment sous le couvert de l’anonymat car ils ne sont pas autorisés à en faire état publiquement.

Ils disent qu’un choix sera offert au Hamas : ou bien reconnaître le droit d’Israël à exister, abandonner la violence et accepter les accords israélo-palestiniens précédents, ou risquer l’isolement et l’effondrement.

Les sondages indiquent que la promesse d’une vie meilleure faite par le Hamas aux Palestiniens a largement expliqué sa victoire. Mais les Etats-Unis et Israël affirment que la vie des Palestiniens n’en sera que plus dure si le Hamas ne répond pas à ces trois exigences. Ils disent que le Hamas compte renforcer ses milices et intensifier la violence. En conséquence, son pouvoir doit lui être retiré.

Les officiels en charge de ces plans, savent que les dirigeants du Hamas ont depuis longtemps rejeté les exigences de changement qu’on leur a présentées, et ne s’attendent pas à ce que le Hamas y réponde. « L’important est de faire porter la responsabilité de ce choix au Hamas », dit un diplomate occidental de premier plan. « S’ils font le mauvais choix, toutes les options conduisent vers une mauvaise direction ».

Cette stratégie comporte de nombreux risques, en particulier compte tenu du fait que le Hamas va tenter d’obtenir le soutien dont il a besoin auprès du monde musulman au sens large, dont ses alliés syriens et iraniens, ainsi que de la part de donateurs privés.

Il fera porter à Israël et aux Etats-Unis la responsabilité de ses difficultés, appellera l’opinion mondiale à ne pas punir le peuple palestinien pour leur choix libre et démocratique, montrera les souffrances réelles que provoquerait un manque de fonds, pourrait avoir recours à la confrontation militaire ouverte avec Israël, et en un sens, déclencher une troisième intifada.

Pour nos sources, le plan de déstabilisation va s’effectuer essentiellement au niveau financier. L’Autorité palestinienne connaît un déficit mensuel de quelque 60 à 70 millions de $ après l’encaissement de 50 à 55 millions de $ mensuels, produit des taxes et droits de douanes collecté par Israël et due aux Palestiniens.

Israël affirme qu’il cessera ces versements une fois que le Hamas aura pris le pouvoir, et qu’il placera l’argent sous séquestre. Pour couronner le tout, une partie de l’aide que l’Autorité palestinienne reçoit actuellement sera coupée ou réduite par les Etats-Unis et par les gouvernements de l’Union européenne, qui vont être contraints, que les considérations soient légales ou politiques, à ne pas fournir des fonds à une Autorité palestinienne dirigée par le Hamas. Cette organisation figure sur la liste des organisations terroristes, à Washington et dans l’Union européenne.

Israël dispose d’autres leviers pour peser sur l’Autorité palestinienne : le contrôle des entrées et des sorties depuis la Cisjordanie et la bande de Gaza pour les biens et les personnes, le nombre de travailleurs autorisés à travailler chaque jour en Israël, et même la monnaie utilisée dans les territoires palestiniens, qui se trouve être le shekel israélien.

Au sein de l’armée israélienne, il a été envisagé de couper totalement Gaza de la Cisjordanie et de faire de la frontière Gaza-Israël une frontière internationale. Il est également envisagé de ne pas autoriser les députés du Hamas , dont certains sont recherchés par les forces de sécurité israéliennes, à se déplacer librement entre Gaza et la Cisjordanie.

Dimanche dernier, Ehud Olmert a annoncé après une réunion du conseil des ministres qu’Israël considérerait que le Hamas serait au pouvoir le jour où le parlement palestinien prêtera serment (soit ce samedi 19 février).

A partir de mars prochain, l’Autorité palestinienne va devoir faire face à un déficit d’au moins 110 millions de $ par mois, soit plus d’un milliard de $ par an, somme dont elle a besoin pour payer ses 140.000 fonctionnaires, qui nourrissent au moins un tiers de la population palestinienne. Ce chiffre comprend environ 58.000 membres des forces de sécurité, dont la plupart sont affiliés au Fatah.

Si un gouvernement Hamas est dans l’incapacité de payer ses fonctionnaires, d’importer des biens, de transférer des fonds et de recevoir des aides importantes de l’extérieur, le président Mahmoud Abbas aurait alors le pouvoir de dissoudre le parlement et d’appeler à de nouvelles élections, même si ce pouvoir n’est pas explicite d’après la constitution palestinienne.

Il existe un réel risque de crise économique. La bourse palestinienne a déjà chuté de 20% depuis les élections du 25 janvier, et l’Autorité palestinienne a épuisé ses capacités d’emprunt auprès des banques de l’intérieur.

Selon nos sources, le Hamas reçoit environ 100.000 $ en espèces par mois de l’étranger, « mais il est difficile de transporter des millions de $ dans des valises ». Cela dit, les Etats-Unis, et surtout l’Union européenne, souhaitent qu’un échec éventuel du Hamas ne soit pas considéré comme de la responsabilité d’Israël ou des pays occidentaux, mais qu’il soit attribué au Hamas lui-même.

Nos sources affirment qu’aujourd’hui, beaucoup va dépendre du comportement de Mr Abbas, à qui il reste 4 ans de mandat présidentiel et qui insiste pour dire que le Hamas a un droit démocratique à gouverner. Mais en même temps, Mr Abbas a menacé de démissionner s’il n’a pas un gouvernement qui applique les principes de sa politique, dont, dit-il, des négociations avec Israël en vue d’un traité de paix définitif su la base d’une solution à deux Etats. Les Etats-Unis et l’Union européenne lui auraient fortement demandé de rester en poste et d’assumer ses responsabilités.

Certains diplomates occidentaux disent qu’ils s’attendent à ce que Mr Abbas réitère ses positions samedi à l’occasion de son discours devant le nouveau Parlement, annonçant ainsi une future confrontation avec le Hamas. [[cela a bien été le cas.]]

Dans le cas de ses préparatifs face à la perspective d’un gouvernement dirigé par le Hamas, Mr Abbas devrait tenter de renforcer sa position de commandant en chef de toutes les forces armées palestiniennes, même si le Premier ministre et le ministre de l’Intérieur disposent également d’un contrôle à travers un conseil de sécurité présidé par le Premier ministre.

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Les nouveaux députés du Hamas affichent la sérénité. Farhat Asaad, l’un des porte-parole du Hamas, et Nasser Abdaljawad, qui a remporté le siège de Saffit à cause de deux candidatures du Fatah, ont donné aux Etats-Unis « un an ou deux » pour accepter l’idée de traiter ouvertement avec le Hamas.

Mr Asaad, anciennement détenu par Israël, a dit : « nous espérons que ce n’est pas la politique américaine. Parce que quiconque tentera de nous isoler sera lui-même isolé dans la région ». Selon lui, le Hamas va agir sur deux fronts : réformer la vie politique palestinienne et « rompre l’isolement de notre gouvernement ». Si le Hamas réussit sur ces deux fronts, dit-il, « nous aurons accompli une grande tâche pour notre peuple : une vie normale avec la sécurité, et un état de droit sans abus de pouvoirs ».

Le Hamas trouvera l’argent dont il a besoin dans le monde musulman, dit Mr Abdaljawad, qui a passé 12 ans dans les prisons israéliennes et y a décroché un doctorat. Le Hamas économisera de l’argent en mettant fin à la corruption et optimisant les services. Le Hamas rompra la dépendance des Palestiniens vis-à-vis d’Israël, dit-il.

Mr Asaad ajoute en riant : « d’abord, je remercie les Etats-Unis qui nous a donné l’arme de la démocratie. Maintenant, il n’y a pas de retour en arrière possible : les Etats-Unis et le monde ne peuvent pas tourner le dos à une démocratie élue ».


New York Times, 15 février

Les Américains et les Israéliens démentent

« Il n’existe ni plan, ni projet, ni complot, ni conspiration de la part des Etats-Unis et d’Israël pour déstabiliser un futur gouvernement palestinien », a déclaré Sean McCormack, porte-parole du Département d’Etat. Il; réagissait aux informations du New York Times (données plus haut).

Scott McClellan, responsable de la presse pour la Maison Blanche, a démenti toute information « sur quelque sorte de plan que ce soit qui parlerait de chasser le Hamas du pouvoir et d’organiser de nouvelles élections ».

Ce qui existe, ont dit McCormack et McClellan, c’est une menace de couper l’aide fournie aux Palestiniens si le Hamas ne renonce pas à la violence, ne reconnaît pas Israël et n’accepte pas les accords antérieurs.

Daniel Ayalon, ambassadeur d’Israël aux Etats-Unis, a déclaré : »nous voulons souligner que nous ne voulons aucun mal au peuple palestinien, et qu’il est de leur choix, ou bien de respecter les normes internationales, ou bien de devenir une entité terroriste ».

Néanmoins, un responsable israélien, s’exprimant sous le couvert de l’anonymat à cause du caractère spéculatif de ses commentaires, a dit que certains responsables pourraient avoir commencé à réfléchir à des scénarios où le Hamas chuterait si l’aide était coupée. « Cela fait partie de la diplomatie que d’échafauder différents scénarios, mais sans intention de les rendre opératifs », a-t-il ajouté.

A Gaza, un responsable du Hamas, Mushir al-Masri, a déclaré que toute tentative de faire tomber un gouvernement Hamas librement élu consisterait « un rejet du processus démocratique que les Américains appellent de leurs voeux jour et nuit ».