« L’entreprise de colonisation israélienne se fonde avant tout sur des considérations économiques. Le parti de la Maison Juive ne représente qu’une grosse poignée de gens, dont les visées messianiques attentent aux intérêts vitaux de l’État d’Israël », écrit ici Shaul Ariéli.
La tentative de Naftali Bennet de marquer son récent discours d’une phrase vigoureuse – « laisser des agglomérations israéliennes sous souveraineté palestinienne constitue un virage en épingle pour le sionisme » – a révélé le fossé profond, et méconnu en Israël, entre le sionisme religieux de la yeshiva du rabbin Zvi Yehuda Kook et le sionisme originel d’Herzl, Weizmann, Jabotinsky et Ben-Gourion.
Il ne s’agit pas que d’ignorance historique. Après tout, le mouvement sioniste dirigé par David Ben-Gourion entérina le plan de partition du 29 novembre 1947, selon lequel 33 agglomérations juives comptant 10 000 personnes seraient restées dans le cadre de l’État arabe [1]. Le parti HaBayit haYéhoudi (La Maison juive) est allé aux élections avec un programme chimérique proposant d’annexer à Israël la totalité de la zone C [2]. Il s’agit là d’une conception totalement différente du sionisme et de ses buts.
Le sionisme laïque qui fonda l’État d’Israël y voyait avant tout un refuge sûr pour le peuple juif, lequel pourrait dans ce cadre prendre place dans la famille des nations, vivre et forger son destin. La déclaration d’indépendance mit en exergue les valeurs démocratiques et libérales dudit État. Les dirigeants sionistes considéraient le territoire, une fois reconnus les liens originels avec la terre d’Israël, comme une réponse à des besoins spécifiques aux racines culturelles, sociales et politiques.
L’étendue du pays résulterait de valeurs, d’intérêts, d’avantages et de nécessités chaque fois réexaminés et variant selon les circonstances. Son périmètre constitua une subversion du partage de la Commission Peel, en 1937, par le plan de partition, les accords de cessez-le-feu et les accords de paix [3] ; il fut la conséquence de ce que l’on comprit que les objectifs du sionisme ne seraient préservés qu’en limitant le territoire sur lequel construire l’État.
Le sionisme religieux de l’At’halta déGeoula (le commencement de la Rédemption), voit le territoire, même s’il est le fruit de décisions coloniales arbitraires, comme un élément déterminant l’identité nationale. Selon cette approche, le territoire surpasse les acquis, valeurs et symboles nationaux. Le statut de la terre est supérieur à celui de l’État – car la relation à la terre s’accomplit conformément à une promesse divine alors que l’État est une création temporaire de l’être humain – et toute mise en question des “frontières de la patrie” est entendue comme blasphématoire.
À l’opposé de l’approche sioniste laïque, qui regarde Israël comme un État démocratique protégeant les droits de ses habitants sans considération de religion et de race, les gens du Goush Émounim (Bloc de la foi) et leur descendance, quant à eux, voient s’accomplir la promesse divine ancrée dans la geste de Josué. Selon les mots de Menahem Felix adressés à la Cour suprême statuant sur la colonie d’Élon Moreh : « Nous nous sommes implantés, car il nous est commandé de prendre en héritage la terre que Dieu donna à nos pères. »
Les propos de Bennett montrent également une forte crainte que la vérité ne soit dévoilée dans toute sa laideur. L’entreprise israélienne de colonisation se fonde essentiellement sur diverses considérations économiques qui ont porté à 40 % de l’ensemble des Israéliens au-delà de la ligne verte le pourcentage des harédim (les “craignants-Dieu” ou ultra-orthodoxes) ; des dizaines d’autres pour-cent se composent d’immigrants de l’ex-Union soviétique et de gens qui ne font pas partie des classes socio-économiques élevées.
Uri Ariel et ses amis de La Maison juive savent très bien que sans l’irrégulière et généreuse dotation de ressources faite par l’État aux colonies isolées, il ne se trouverait qu’un nombre négligeable sinon nul d’Israéliens désireux de rester sous souveraineté palestinienne.
Le vaste bluff va être mis à nu. L’opinion va découvrir que La Maison juive ne représente qu’une poignée de braillards pénétrés de croyances messianiques qui nuisent aux intérêts vitaux de l’État d’Israël.
Compte tenu de sa contribution insignifiante au débat interne ouvert en Israël sur les rapports entre État et religion, il se peut qu’il ne demeure aucune justification à son existence au sein du système politique israélien.
[1] Adopté par l’Assemblée générale de l’Onu le 29 novembre 1947 (résolution 181), ce plan prévoyait la partition de la Palestine mandataire en trois entités : un État juif, un État arabe, et un corpus separatum formé de Jérusalem et sa proche banlieue placées sous contrôle international. Au nom du yishouv, la population juive de Palestine, l’Agence juive accepta cette résolution et les frontières pour le moins controuvées qu’elle prévoyait.
[2] Sous contrôle administratif et militaire total d’Israël, la zone C représente 62% des terres de la Cisjordanie et est la seule à y jouir d’une continuité territoriale, encerclant et divisant les zones B (sous administration civile palestinienne et militaire israélienne) et A (sept grandes villes ne relevant en théorie que de l’Autorité palestinienne).
[3] Mise en place à la suite de la révolte arabe contre le mandat britannique et la présence juive en Palestine, accompagnée de violences voire de massacres, la Commission royale dirigée par lord William Peel recommanda l’abolition du mandat – à l’exception de Jérusalem et d’un corridor la reliant au sud de Jaffa à la Méditerranée – et la création sur le reste du territoire d’un État juif au nord le long de la côte, d’un État arabe au sud et à l’est.
Tout en conservant les principes généraux de cette proposition (statut international de Jérusalem, un État juif et un État arabe) la résolution 181 de l’Onu modifia considérablement le tracé des frontières entre ces entités en fonction des nouvelles données sur le terrain et fut, nous l’avons dit, entérinée par le mouvement sioniste.
Arguant d’un rapport de population des 2/3 en leur faveur et revendiquant l’ensemble du territoire, les dirigeants arabes rejetèrent quant à eux la résolution 181. Un rejet, qualifié d’erreur par Mahmoud Abbas en 2011, qui entraîna leur immédiate entrée en guerre. Conséquence de la guerre de 1948, de nouvelles frontières furent fixées sur les lignes de cessez-le-feu, dessinant en vert les contours d’un État d’Israël étroit en son centre, mais cette fois d’un seul tenant ; elles séparaient en revanche la bande de Gaza de la Cisjordanie.