Trad. : Gérard Eizenberg pour La Paix Maintenant
Ces derniers mois, on nous a dit et répété que la gauche israélienne avait
disparu. Dans les sondages, moins de 20% de l’opinion juive se définit comme
« de gauche », 17% comme « au centre », et plus de 50% comme « modéré de droite »,
ou « d’extrême-droite ». Il semblerait que nous assistions à l’effondrement d’un concept.
Mais un examen plus attentif des attitudes de l’opinion montre que c’est l’inverse qui est vrai : la voie de gauche a triomphé, et la droite idéologique a perdu la sienne. Le coeur du nouveau consensus israélien bat à gauche. Si on définit la gauche politique au moyen de quatre critères, à savoir : l’accord pour un Etat palestinien, pour un retrait de parties considérables de Cisjordanie/Gaza, l’évacuation de la plupart des colonies et un compromis sur Jérusalem, et si l’on étudie leur soutien dans l’opinion, nous trouvons qu’il varie entre 60% (ceux qui se déclarent en faveur d’un Etat palestinien, et l’évacuation d’un certain nombre de colonies), et 35% (ceux qui sont en faveur d’un compromis sur Jérusalem).
Le chiffre le plus surprenant a trait aux positions de la droite israélienne. Selon une étude menée par l’institut Market Watch, et publiée dans le quotidien Maariv, 45% des personnes se définissant comme à droite soutiennent la création d’un Etat palestinien, et l’évacuation d’au moins un certain nombre de colonies.
Au moins aussi surprenant : 20% de la population, et 9% des personnes se
situant à droite, soutiennent le droit au retour des réfugiés dans des proportions limitées. Le soutien aux négociations sous le feu a les faveurs de 48% de l’opinion, dont celles de 13% de la droite. Ces chiffres montrent qu’un des problèmes de la gauche réside dans une implosion complète de la droite idéologique.
Le consensus israélien d’aujourd’hui épouse des thèses que le Parti travailliste n’osait pas exprimer avant Camp David, et que des mouvements comme La Paix Maintenant n’osaient pas adopter il y a seulement quelques années. Cette situation place l’opinion israélienne dans une totale confusion. Tant que les termes du débat politique étaient le « Grand Israël », ou le « compromis territorial », tout était en ordre, et les gens comprenaient. Aujourd’hui que l’idée du « Grand Israël » a rendu l’âme, la différence entre la droite et la gauche s’est déplacée dans les tripes.
Etre de droite, c’est être ouvertement en colère contre les Palestiniens, croire que le véritable visage de Yasser Arafat s’est révélé à Camp David, vouloir « frapper » les Palestiniens de toutes ses forces, et seulement alors, faire ce que la gauche propose. Etre de gauche, c’est être en colère en secret, maintenir qu’à Camp David, des erreurs fatales ont été commises des deux cotes, penser qu’il y a quelqu’un à qui parler, et qu’une opération militaire qui entraînerait le démantèlement de l’Autorité palestinienne provoquerait avec elle un cycle de violences tel qu’elle rendrait impossible un futur accord.
Dans les circonstances présentes, la position de droite suscite une identification sans précédent. Il n’est pas compliqué de convaincre des gens qui passent leur vie d’un enterrement à l’autre que l’autre côté ne veut pas la paix, qu’Israël a offert le maximum à Camp David et a été repoussé, et que maintenant, il ne reste comme solution que la voie militaire. Un nouveau consensus est ainsi en train d’émerger, fondé sur le prémisse que seule la force, exercée par la droite, pourra conduire au compromis proposé par la gauche.
Voilà le fondement du soutien dont jouit Ariel Sharon, qui prétend représenter la nouvelle droite, celle qui nous mènera vers un compromis douloureux, après des frappes militaires encore plus douloureuses.
Ce fondement a commencé à se lézarder pour deux raisons. D’abord, Sharon n’a
jamais donné une seule occasion de penser que sa position sur le retrait des
territoires, le demantèlement des colonies et le compromis sur Jérusalem
serait conforme aux nouvelles valeurs du consensus israélien. Ensuite, la
détérioration de la situation sur le plan de la sécurité fait douter de l’efficacité militaire et politique de ces « frappes douloureuses ».
Apres examen des actions de Sharon, il s’avère que son gouvernement, avec le
soutien et la couverture des ministres travaillistes, fait très fort dans la construction et le soutien aux colonies, dans le refus total d’évacuer les « avant-postes », qui éclosent un peu partout, dans la mise en place de checkpoints qui mettent en danger la vie des soldats, et dans une action militaire qui ne se contente pas de prévention, mais pratique également l’humiliation, en mettant à l’agonie Yasser Arafat et le peuple palestinien tout entier.
Il existe une crainte tout à fait fondée que, lorsque le plan programmé par Sharon sera accompli, nous decouvrions que le compromis politique voulu par la majorité de la nation n’est plus possible. Les colonies nous lient au Grand Israël, et l’Autorité palestinienne est largement affaiblie, ne contrôle plus le terrain, et ne constitue plus un interlocuteur potentiel.
La colère et la douleur dominent chez les deux peuples.
La grande majorité, qui croit que la solution politique nécessaire implique un Etat palestinien, le retrait de la plupart des territoires, l’évacuation de la plupart des colonies et un compromis sur Jérusalem, ne doit pas se préoccuper d’étiquettes politiques sans intérêt. Elle doit exiger du Premier ministre et de son gouvernement qu’ils arrêtent de se cacher derrière les actions militaires, qu’ils révèlent leus objectifs politiques, et qu’ils expliquent ce qu’ils font pour rendre ces objectifs plus proches. S’ils refusent de le faire, on pourrait soupçonner que l’objectif déclaré du gouvernement (le « nettoyage des territoires » suivi de « concessions douloureuses ») ne soit qu’une manière de préparer l’opinion à une série d’opérations militaires, dont le but sera d’empêcher tout accord politique. Si ce soupçon s’avère fondé, ce sera l’un des actes de diversion les plus dangereux de l’histoire d’Israël, un acte susceptible de conduire à la destruction d’Israël en tant qu’Etat juif démocratique.