Traduction : Bernard Bohbot pour LPM
Auteur : La Paix Maintenant
Photo : Maisons de Batan Al-Hawa menacées d’éviction
Mis en ligne le 21 décembre 2020
Aujourd’hui (23/11/20), le tribunal de district de Jérusalem a rejeté l’appel de la famille Duweik contre la décision de la Magistrate’s Court de février 2020, qui a décidé qu’elle devait quitter sa maison au profit des colons de Batan Al-Hawa à Silwan. Dans un bref verdict, en 240 mots, trois juges du tribunal de district ont décidé du sort de 26 membres de la famille Duweik (cinq familles nucléaires) qui ont vécu dans leur maison à Silwan depuis avant 1967. Le tribunal s’est contenté de citer un verdict rendu une semaine plus tôt en appel par les familles Odeh et Shweiki dans un procès similaire. Les familles Odeh et Shweiki (trois familles de 22 personnes), qui vivent près de la famille Duweik à Batan Al-Hawa, ont également été poursuivies par les colons et le tribunal de première instance a ordonné une expulsion en février de cette année.
Ainsi, en une semaine, l’appel de 8 familles (cinq familles dans la maison de Duweik et trois familles dans la maison d’Odeh et Shweiki) de 45 personnes a été rejeté et le tribunal a ordonné leur expulsion des maisons qu’elles avaient construites sur des terrains qu’elles avaient légalement achetés. Les familles ont l’intention de faire appel auprès de la Cour suprême, une procédure qui a peu de chances d’aboutir et qui peut prendre plusieurs semaines ou plusieurs mois.
Les poursuites judiciaires
Elles font partie d’une action visant à évacuer toute une communauté à Jérusalem-Est sur la base de l’exercice d’un « droit de retour » pour les Juifs. Des dizaines de procès pour expulsion ont été intentés par des membres de l’association de colons Ateret Cohanim contre quelque 84 familles palestiniennes vivant à Batan Al-Hawa, à Silwan. Ces poursuites font courir à une communauté d’environ 700 personnes le risque d’être expulsée. Tous les procès sont basés sur la revendication selon laquelle, à la fin du 19ème siècle, la terre a été attribuée par ses propriétaires juifs à un trust juif au profit des juifs pauvres originaires du Yemen vivant à Jérusalem. Aujourd’hui, cent ans plus tard, au nom de ce même trust, des colons cherchent à évacuer des familles palestiniennes et à les remplacer par des colons.
La famille Duweik, par exemple, a acheté le terrain en 1965 lorsque Silwan était sous domination jordanienne. Le gouvernement jordanien, qui a généralement maintenu les biens juifs sur son territoire et n’a pas permis qu’ils soient repris ou vendus, n’a pas empêché la vente de la terre. Depuis la famille Duweik, comme ses nombreux voisins, a vécu sans contestation pendant des décennies, y compris après l’annexion de Jérusalem-Est à Israël en 1967, jusqu’à l’arrivée d’Ateret Cohanim. Ils ont réussi à se nommer fiduciaires du trust juif (qui a cessé de fonctionner dans les années 1930), et en vertu de ce trust, ils ont pu obtenir des droits fonciers auprès du « Gardien général israélien » (General Custodian) et ont déposé des dizaines de demandes d’expulsion. Depuis 2015, 14 familles ont été expulsées de cette façon de Batan al-Hawa.
Pour en savoir plus sur les poursuites judiciaires dans le Batan Al-Hawa et l’assistance des autorités aux colons, voir le rapport Peace Now et Ir Amim : https://peacenow.org.il/en/broken-trust-state-involvement-private-settlement-batan-al-hawa-silwan
La Paix maintenant : « C’est une tentative de déplacer une communauté palestinienne et de la remplacer par une communauté israélienne, au cœur d’un quartier palestinien de Jérusalem-Est. Les colons n’auraient pas pu réussir sans le soutien et l’aide des autorités israéliennes. Outre le coup dur porté aux perspectives d’une solution à deux États en empêchant l’émergence d’une capitale palestinienne à Jérusalem-Est, c’est une injustice et un acte de cruauté que de jeter à la rue des familles qui vivent légalement dans leurs maisons depuis des décennies.
Pour chaque dunam de Jérusalem-Est qui appartenait à des Juifs et qui a été perdu pendant la guerre de 1948, il y a des dizaines de milliers de dunams en Israël qui appartenaient à des Palestiniens qui les ont perdus pendant la guerre de 1948. La demande des colons de se débarrasser des Palestiniens sur la base de la propriété d’avant 1948 est une menace stratégique sur la justification morale de centaines de milliers d’Israéliens vivant sur des terres qui appartenaient à des Palestiniens ».
Une loi discriminatoire : La loi de 1970 sur les questions juridiques et administratives
La loi sur les questions juridiques et administratives qui a été promulguée par la Knesset en 1970 a été adoptée afin de traiter de nombreuses questions différentes concernant les zones et les personnes annexées à Jérusalem en 1967. L’une de ces questions était le statut des propriétés appartenant aux Juifs avant 1948.
Pendant la guerre de 1948, quelque 35 000 Palestiniens ont fui ou ont été contraints de fuir leurs maisons à Jérusalem-Ouest, et environ 2 000 Juifs ont fui ou ont été contraints de fuir Jérusalem-Est, principalement le quartier juif de la vieille ville. La loi sur les questions juridiques et administratives visait à corriger ce qu’elle considérait comme une injustice historique en restituant les biens à leurs propriétaires juifs d’origine. Cependant, la loi n’a pas été appliquée aux propriétés palestiniennes. Il s’est avéré que dans la même ville, à la suite de la même guerre, deux populations ont perdu des biens mais qu’une seule a le droit de voir l’injustice historique réparée et de retrouver ses biens, tandis que la seconde, qui vit parfois à quelques centaines de mètres de ses biens, ne peut pas les récupérer. C’est le péché originel de la loi et des colonies de Batan al-Hawa.
Un examen des protocoles du processus législatif indique que les législateurs ont envisagé une situation dans laquelle les Juifs pourraient récupérer les propriétés vacantes, tandis que dans les cas où les propriétés seraient occupées, ils recevraient une compensation financière. Les législateurs ont pris en compte le lien personnel d’une personne avec ses biens, mais dans la pratique, la loi est utilisée par des colons qui n’ont rien à voir avec les propriétaires d’origine. En fin de compte, un mécanisme a été créé par le gouvernement et le Gardien général pour exploiter la loi afin de prendre le contrôle des zones peuplées palestiniennes et de les transférer exclusivement aux colons. Il s’agit d’une action gouvernementale, et la tentative de la présenter comme un conflit personnel de restitution de propriété n’est rien d’autre qu’une feinte innocence. Le droit individuel que la loi cherche à protéger a été fait par les colons et avec l’aide du gouvernement au profit du droit d’une communauté (juive) au détriment d’une autre communauté (palestinienne).
Dans le quartier de Sheikh Jarrah, les colons utilisent des méthodes similaires afin d’expulser des centaines de Palestiniens.
Les pressions exercées par les colons
La famille Duweik est l’une des premières familles à avoir fait l’objet d’un procès pour expulsion intenté par les colons, en 2007. Depuis lors, la famille se bat au tribunal, dans le cadre de longues procédures épuisantes et très coûteuses, sous la forte pression des colons, pour tenter de sauver leur maison.
Les colons exercent des pressions dans le cadre d’une stratégie visant à épuiser et appauvrir les familles palestiniennes jusqu’à ce qu’elles acceptent « volontairement » de quitter la maison et de recevoir une compensation financière. Pour les colons, il est préférable que l’évacuation se fasse par consentement : d’abord, parce qu’ils sont ainsi légitimés, et peuvent présenter la situation comme s’il s’agissait d’une transaction immobilière « normale » entre deux parties égales : l’une voulant acheter et l’autre voulant vendre. C’est comme si la motivation des colons n’était qu’une question de biens immobiliers, et comme si elle ne se trouvait pas dans la zone au cœur du conflit israélo-palestinien, à des centaines de mètres du Mont du Temple, Al-Haram a-Sharif.
Outre cette tactique visant à créer un air de légitimité, le consentement peut sauver les colons des procédures judiciaires et du risque de perdre. Par conséquent, même lorsque la base juridique de la demande d’expulsion est supposée être les droits légaux dont les colons ont bénéficié (dans le cas présent, la propriété d’un trust juif d’avant 1948), ils préféreront toujours parvenir à une sorte d’accord avec les familles.
Afin d’obtenir l’accord des Palestiniens pour une vente, ils exercent toutes sortes de pression. Il y a quatre ans, Nir Hasson du journal Haaretz a révélé certaines des actions d’Ateret Cohanim pour faire pression sur les Palestiniens. Deux ans plus tard, N.Hasson a révélé davantage sur la façon dont les colons travaillent. D’autres aspects de leur mode de fonctionnement ont été exposés par Meron Rapaport dans Haaretz.
La famille Duweik a dû dépenser une fortune de sa poche pour payer les avocats, les experts et tous les frais juridiques pour se défendre devant les tribunaux pendant 13 ans. La lutte est longue, exténuante et ruineuse et les colons en profitent pour présenter des offres alléchantes – promettant de grosses sommes d’argent, des assurances de trouver un autre logement, et une base pour une nouvelle vie pour la famille-. Dans le cas de Mazen Duweik, au père de famille, sous dialyse, ils ont même proposé de lui trouver un donneur pour une greffe de rein, si seulement il acceptait de leur vendre la maison.
Et à côté des offres alléchantes, il y a aussi les menaces. Les colons envoient des messages aux familles disant que si elles n’évacuaient pas volontairement, non seulement elles perdraient au tribunal et seraient jetées à la rue sans rien, mais les colons les poursuivraient également pour des « frais d’utilisation » pendant toutes les années où elles ont occupé la propriété, comme une sorte de loyer. Les colons ont poursuivi la famille Duweik pour 670 000 shekels (170 000 euros environ) de « frais d’utilisation », dans une affaire séparée qui sera discutée en janvier 2021.
C’est ce qui est arrivé à Abdullah Abu Nab, un membre d’une famille de réfugiés palestiniens venus de Jérusalem-Ouest en 1948 et installés à Batan Al-Hawa. Il a été l’un des premiers à être poursuivi par les gens d’Ateret Cohanim au nom du trust juif. Abu Nab savait que s’il perdait au tribunal, non seulement il perdrait la maison, mais il devrait aussi payer des sommes énormes, et pourtant il entendait refuser de se rendre et de vendre la maison.
En fin de compte, le tribunal a décidé d’expulser Abdullah et sa famille de la maison, et qu’il devait payer aux colons une somme d’environ 500 000 NIS. En 2015, la police a expulsé la famille Abu Nab de sa maison et les colons s’y sont installés. Les colons ont choisi d’aller jusqu’au bout, même après avoir obtenu ce qu’ils voulaient et avoir pris possession de la maison: ils ont enclenché une procédure contre Abdullah Abu Nab pour recevoir les 500 000 shekels (environ 125 000 euros) que le jugement leur avait attribué.
Ils l’ont fait tout en sachant que la famille était pauvre et ne serait pas en mesure de rembourser l’énorme dette, et que tout ce qu’ils gagneraient ne serait pas le paiement de la dette, mais qu’Abdullah et ses enfants feraient faillite et auraient du mal à s’en remettre pendant des années. Mais pour eux, le message à tous les voisins était important : si vous n’acceptez pas de vendre la maison et que vous insistez pour vous battre devant un tribunal, vous vous retrouverez non seulement sans maison, mais aussi avec d’énormes dettes, comme Abduallh Abu Nab.
L’aide du gouvernement aux colons
À Batan Al-Hawa, le Gardien général a délivré un certificat de dévolution aux colons qui ont pris en charge la gestion du trust juif en 2002. En 2014, les colons ont perdu un procès d’expulsion contre la famille Abu Nab parce qu’ils n’ont pas réussi à prouver les limites de leur propriété. Entre le verdict et l’audience en appel, le Gardien général a délivré un certificat de dévolution révisé détaillant les limites précises de la parcelle. Grâce à ce nouveau document remis par le Gardien général, les colons ont réussi à obtenir gain de cause en appel et la famille a été expulsée de la maison. Ce certificat modifié est utilisé par les colons dans tous leurs procès à Batan Al-Hawa.
En outre, il s’avère qu’en décembre 2005, le Gardien a vendu aux représentants du trust juif quatre autres parcelles qui appartenaient à d’autres Juifs à Batan Al-Hawa, sans appel d’offres et à un prix suspectement bas. Si le gardien était effectivement intéressé par la vente des actifs en toute bonne foi, il aurait dû faire une offre et proposer aux résidents palestiniens de ces propriétés la possibilité de les acheter. Mais au lieu de cela, le Gardien général a tranquillement transféré quatre parcelles sur lesquelles des dizaines, voire des centaines de Palestiniens vivent dans le quartier de Batan Al-Hawah à des colons qui cherchent à expulser les résidents palestiniens et à y installer des Juifs.
Au fil des ans, les colons ont pu prendre le contrôle de nombreux trusts juifs d’avant 1948. Cela inclut la prise de contrôle de nombreuses propriétés dans la vieille ville, et toutes les réclamations en cours contre des familles de Batan Al-Hawa sont des réclamations de colons au nom d’un trust juif (The Benvenisti Trust) de la fin du XIXe siècle, qui était destiné à fournir des unités résidentielles à des familles juives yéménites pauvres. Plusieurs décennies après l’abandon du trust, l’association de colons Ateret Cohanim a fait appel au tribunal et a proposé d’administrer le trust. L’État a soutenu l’idée, bien que l’intérêt représenté par les colons n’ait rien à voir avec l’objectif initial du trust qui était d’aider les pauvres de Jérusalem à cette époque. Malgré cela, le tribunal leur a accordé le contrôle du trust.
Récemment, des familles palestiniennes de Batan Al-Hawa, en collaboration avec l’organisation Ir Amim, ont intenté un procès au ministère de la justice, exigeant que les colons ne gèrent plus le trust juif. Ils affirment que les colons profitent du trust pour atteindre leurs objectifs politiques et idéologiques sans aucun lien avec les objectifs initiaux du trust. https://www.ir-amim.org.il/en/node/2496
La police israélienne aide les colons dans de nombreux domaines. Dans le passé, il y a eu des cas où la police a refusé d’aider à évacuer des familles palestiniennes pour des raisons de sécurité. Aujourd’hui, nous assistons à une coopération étroite avec les colons. Ainsi, par exemple, en octobre 2015, lors d’une période de violence grave à Jérusalem où la police était très occupée, les policiers ont aidé à expulser la famille Abu Nab, ce qui a impliqué l’imposition d’un couvre-feu dans le quartier de Batan Al-Hawa.https://peacenow.org.il/en/curfew-in-batan-al-hawa-east-jerusalem
Nir Hasson, du journal Haaretz, a révélé que la police avait également accompagné les colons alors qu’ils lançaient des appels menaçants aux locataires pour tenter de les faire quitter leurs demeures.