« Les chiens aboient, la caravane passe », tel est le message envoyé par Israël aux mouvements qui construisent des colonies illégales au sommet des collines, faisait observer la semaine passée Shlomi Eldar dans un article exclusif pour Al-Monitor [1]. Et de poursuivre, après la traversée d’un hypothétique territoire palestinien : « Des dizaines de milliers de colons dans les implantations aussi bien que dans les avant-postes bénéficient de l’électricité, l’eau, les routes, l’éclairage urbain et la collecte des ordures, et sont ainsi gratifiés d’une certaine qualité de vie ».

Ce témoignage de la participation active de l’État à la mise en place massive d’une colonisation invalidant toute chance d’une solution à 2 États [2] vient conforter la description et l’analyse données par Bradley Burston dans sa chronique du 16 mai dernier, ici traduite.

Pour le chroniqueur du Ha’aretz, c’est « par son absence [que] brille » l’évanescente apogée du « seul vrai secret d’État israélien » ; celui-ci, note-t-il, est « camouflé, caché en plein devant nos yeux. Mais nul ne le sait, et nul ne peut le savoir ».


Dans un pays où tout le monde sait tout, il n’y a qu’un seul vrai secret d’État. Et cela n’a rien à voir avec l’arme nucléaire.

Les titres de la semaine y faisaient allusion, mais divers éléments-clef manquaient. La presse consacrait des kilomètres de lignes à détailler avec finesse les défis posés par les problèmes de sécurité, et les dangers de la pauvreté en Israël, ainsi que les mesures d’austérité qui contribuent à les rendre, les uns et les autres, plus difficiles à supporter. Ce n’est rien de le dire, le seul secret d’État qui reste gardé avec soin brillait par son absence.

Ainsi, nous y voilà : personne ne sait combien d’argent au juste est investi dans les colonies. Personne.

Et personne ne l’a jamais su.

Personne ne peut le savoir, parce que argent est caché en pleine vue, camouflé et enfoui dans les budgets de tous les ministères imaginables, aussi bien que dans la caisse noire du Bureau du Premier ministre, impénétrables, indifférenciés et sans fond.

Un rapport diffusé cette semaine sur Galei Tsahal, la radio de l’armée, a montré qu’il est au sein du gouvernement des ministres qui ignorent eux-mêmes quelle part de leur propre budget ira subventionner, promouvoir, agrandir, protéger et légaliser rétroactivement des colonies, aussi bien que créer de nouvelles incitations financières en vue d’attirer des milliers de nouveaux résidents dans des habitations au-delà de la ligne verte.

Et même alors, note le rapport, des commissions parlementaires de premier plan et des instances gouvernementales veilleront en coulisses à ce que des fonds supplémentaires soient versés, hors de vue et de tout contrôle, aux colonies et avant-postes illégaux sur la Rive occidentale du Jourdain et à Jérusalem-Est.

Ce qui nous amène à un autre élément secret de l’entreprise de colonisation : la pauvreté en Israël est propice aux implantations, et formidable pour la colonisation.

Et il en a toujours été ainsi.

Quand la construction des implantations a pris une tournure sérieuse au début des années 80, les gouvernements du Likoud avaient déjà entrepris de démanteler les réseaux de protection sociale qui formaient l’épine dorsale de l’économie et de la société israélienne depuis sa fondation en 1948.

Au fur et à mesure que la privatisation allait s’accélérant, nombreux sont ceux dans les cités de la périphérie du pays et les quartiers miséreux de ses villes que l’on a laissés perdre pied et se noyer dans une économie minée par l’inflation et la fermeture d’industries et lieux de travail installés de longue date sur place.

Plutôt que s’atteler à redonner souffle aux régions durement frappées où ils jouissaient d’un fort soutien électoral, les gouvernement du Likoud firent miroiter la perspective d’emménager dans les banlieues confortablement financées, dotées de privilèges fiscaux et flambant neuf de la Cité d’Émeraude [3] de l’autre côté d’une frontière qui reculait à grande vitesse.

Tandis qu’un habitat accessible à des prix irrésistibles attirait des dizaines de milliers d’acquéreurs, également séduits par les subsides attribués à l’éducation et aux transports, l’occupation s’étendait pan par pan dans les Territoires. Les bases militaires proliféraient dans toutes les directions afin de protéger les colons – des bases qui se mueraient souvent, avec le temps, en de nouvelles implantations, dotées ou non d’autorisation.

Pendant tout ce temps, et alors que les dirigeants du mouvement des colonies brûlaient d’une flamme idéologique, ce qu’ils vendaient était une marchandise d’un genre entièrement différent : le bien vivre.

Et à un prix correct.

Surtout lorsque nul en Israël n’était censé savoir quel en serait le prix réel pour la nation. Les implantations, construites dans le but spécifique de saper les avancées de la paix, eurent également des répercussions économiques indirectes sur le commerce et l’industrie d’Israël, contraints de combattre une tendance croissante à l’isolement sur la scène israélienne, à un effet “paria”, et à la disparition de la bonne volonté inspirée par le processus de paix.

Mais même les coûts directs, les montagnes de subsides injectés par Israël dans les implantations ont échappé à un examen exhaustif.

En tant que ministre des Finances de l’époque, Yuval Steinitz a indiqué l’année dernière qu’il y a toujours plus de financements accordés aux colonies que ce que le public voit.

« Nous avons doublé les budgets de la Judée et de la Samarie a-t-il déclaré, faisant référence à la rive occidentale du Jourdain, sur une radio destinée aux colons de la région. Nous l’avons fait discrètement, parce que nous ne voulions pas que des partis politiques, en Israël ou à l’étranger, y fassent échec. »

Qui avoue ses mensonges mérite reconnaissance, je suppose.

Il y a des années de cela, alors nouveau conscrit au sein de l’armée israélienne, mon peloton fut envoyé garder l’une des premières implantations, la colonie récemment fondée de Beith-El.

Construite en bonne part sur des terres palestiniennes de droit privé “temporairement” confisquées par le gouvernement à usage militaire, l’implantation consistait en quelques caravanes et une Yeshiva, magnifique construction en pierre de Jérusalem de couleur crème.

Je me souviens de la remarque de l’un des étudiants de la yeshiva, notant que le gouvernement avait payé ce bâtiment. « Quel ministère a donné les fonds, lui demandai-je, le ministère des Affaires religieuses ? L’Éducation nationale ? »

Il secoua la tête : « Le ministère de l’Agriculture. »

« Et qu’est-ce que vous faites pousser ici, au juste ? »

Il eut une ombre de sourire : « Des pierres. »

Ils font encore pousser des pierres. Ils font pousser les pierres que les Jeunes des Collines [4], les troupes de choc du mouvement des colons jettent aux Palestiniens. Ils font pousser les pierres que les jeunes Palestiniens jettent aux Juifs.

J’aurais dû le voir venir, durant toutes ces années. Les colons ne paient pas pour les pierres. Mais ce qu’ils en font a un prix. Il ne nous est pas permis de le connaître mais, d’une manière ou d’une autre, c’est nous qui réglerons la facture.


NOTES

1] Pour en savoir plus : [

[2] On peut également se reporter, à ce propos, à l’article de Chaim Levinson dans Ha’aretz du 27 mai dernier, “Israel’s West Bank settlements grew by twice the size of New York’s Central Park in 2012”. La croissance légale des implantations israéliennes sur la Rive occidentale du Jourdain en 2012 (1 977 acres) y est décrite comme « équivalente à l’ensemble de la ville de Bat Yam » ou encore « deux fois la taille de Central Park à New York ». Dror Etkes, cité dans cet article, note que « la majeure partie des zones passées sous la juridiction municipale des implantations l’année dernière furent attribuées à des colonies isolées dont il est clair qu’elles ne pourraient jamais être rattachées à Israël dans le cadre d’un scénario à deux États ».

Pour en savoir plus : [->http://www.haaretz.com/news/diplomacy-defense/israel-s-west-bank-settlements-grew-by-twice-the-size-of-new-york-s-central-park-in-2012.premium-1.526101]

[3] Allusion à la capitale du Magicien d’Oz, scintillant de tous ses gemmes à travers les lunettes vertes qu’il convient en ce monde de porter.

[4] Pour la plupart des Israéliens, le terme “avant-poste” évoque l’image d’un gang de jeunes délinquants dressant une caravane isolée au sommet d’une colline pour y vivre dans des conditions sommaires, comme s’ils appartenaient à un mouvement clandestin. Ce serait une erreur, tous les avant-postes, et je dis bien tous, profitent des infrastructures fournies par l’État, et l’épithète “illégal” est à peine plus qu’un subterfuge voué à la communication politique, précisait Shlomi Eldar dans l’article d’Al-Monitor cité en chapô.