38eme numero de » Chroniques pour la paix « , notre emission de radio
bimensuelle, le vendredi a 10h15 sur Judaiques-FM, 94.8 FM.
Emission du 25/12/03 : entretien sur le sens de Hanouka, en direct de
Jérusalem avec Daniel Epstein . (Daniel Epstein est rabbin, philosophe,
traducteur en hébreu des oeuvres de Levinas et enseignant à l’institut Matan
de Jérusalem, centre d’études juives de haut niveau destinées à un public
féminin).
La Paix Maintenant :
Vous avez évoqué l’importance que revêt le miracle de Hanouka pour la
tradition juive, alors qu’en regard elle manifeste une mefiance extrême à
l’égard de la victoire militaire remportée sur les Grecs. Quelle est la
raison de cette méfiance ?
Daniel Epstein :
On peut l’expliquer par deux textes. Le premier est une beraita[[Au pluriel, beraitot: textes contemporains de la Mishna, qui n’ont pas été inclus dans celle-ci]] du traité talmudique Shabbat, qui nous raconte la découverte de la fiole d’huile dans
le temple. On y évoque la victoire des Hasmonéens certes[[famille qui leva l’étendard de la revolte et donna naissance à une dynastie, laquelle fut à la tête du peuple juif jusqu’à la fin du premier siècle avant l’ère chrétienne]], mais seulement
comme un simple prélude, exprimé en quelques mots, » lorsque les Hasmonéens remportèrent la victoire sur les Grecs, on rechercha alors dans le
temple… ». Cela attire notre attention sur ce qui constituait l’essentiel aux yeux des sages du talmud, la véritable victoire, à savoir la découverte d’une autre lumière, celle que j’appellerais la lumière de l’intelligence-éclairée- par-la-Révélation. La décision ne pouvait pas être emportée sur le champ de bataille, mais uniquement dans le domaine de l’esprit. On peut ainsi parler de « lumière pour lumière ». Le deuxième texte-clé, c’est la prière que nous récitons pendant la fête de Hanouka, où il est également et plus nettement question de la victoire militaire, mais cette victoire est tout simplement attribuée à Dieu, ce n’est pas une victoire humaine.
L.P.M. :
Est-ce pour autant que la tradition juive récuse dans son principe le recours à la force lorsque c’est necessaire, ou le recours à la politique ?
D.E. :
Non, je ne dirais pas cela, les sages n’excluent en aucune manière la perspective d’une guerre de défense, mais je dirais que c’est de l’ordre de la politique et pas plus. La victoire militaire des Hasmonéens n’a absolument pas la charge symbolique portée par le miracle de Hanouka. Cela veut dire, et c’est très important, que le sort d’Israël ne se joue pas là, il se joue ailleurs : dans le talmud, on parlait du Beit Hamikdach, du temple, et tout à coup l’attention va se porter sur le Beit Hamidrach, la maison d’étude, qui est le véritable foyer de la vie juive. Et l’étude, ne l’oublions pas, c’est l’apprentissage de la rationalité et de la discussion. Et là, me semble-t-il, on nous laisse entendre qu’un certain rapprochement est possible avec ce que représente la Grèce dans ce qu’elle a de meilleur, dans le domaine de la rationalité, de l’échange, un certain acheminement d’Israël vers une forme de vie démocratique et éclairée.
L.P.M. :
Pourtant on a l’impression, à l’écoute de certains commentaires, que la fête de Hanouka rappelle une sorte de conflit inexpiable entre le judaïsme et la Grèce en général. Or les relations entre Juifs et Grecs ont longtemps été correctes, du moins avant les mesures d’oppression décrétées par Antiochus IV …
D.E :
Les expressions telles que « conflit inexpiable » ne sont nullement employées par les sages ! Ils avaient au plus haut point le sens des nuances, ils étaient capables de faire leurs choix et savaient apprécier dans une civilisation aussi importante que celle de la Grèce ce qu’il y avait à prendre et à rejeter. C’est pourquoi on nous dit, dans un passage qui devrait être médité, que les textes sacrés peuvent être traduits dans la langue de la Grèce ; le passage à la traduction n’est pas considéré comme interdit, il est au contraire souhaité. Cet enseignement a une grande force : la possibilité de la traduction signifie la possibilité d’un dialogue. Dialogue ne veut pas dire soumission. Simplement, nous comprenons que l’esprit des sages est inspiré certes par la tradition et les textes , mais il s’agit quand même de l’esprit humain. Il y a donc un dialogue possible. Et je crois que beaucoup plus qu’une réflexion sur une victoire, c’est en ce sens qu’il faudrait réfléchir a Hanouka.
L.P.M . :
Comment jugez-vous l’évolution du monde juif aujourd’hui ?
D.E :
On constate à l’évidence ce que j’appellerai avec beaucoup de peine une sorte de tribalisme, de repli sur soi. Bien sûr, une telle attitude est la conséquence d’une certaine lecture de la réalité tragique que nous vivons, mais je crois que ce n’est pas la seule option possible, et ce repli peut avoir des conséquences desastreuses pour nous.
L.P.M. :
Quel message voudriez vous délivrer aux Juifs de France ?
D.E. :
Je conclurai par la haftara que nous lisons à Hanouka. C’est un chapitre du
prophète Zacharie qu’il faudrait lire tout entier, mais je me contente du dernier verset (chapitre 4 verset 6) : « Lo behail velo bekoah ki im berouhi’ amar hachem « , Ni par la force, ni par la violence, mais par Son esprit, c’est ainsi que s’exprime Dieu.
Prochaine emission : vendredi 9/01/04 a 10 h 15.